RSOC Vol. 04 No. 04 2007 pp 28 - 29. Publié en ligne 01 août 2007.

Augmenter l’utilisation des services de cataracte et créer une demande

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Cette patiente est heureuse d’avoir retrouvé la vue. TANZANIE. Suzanne Porter/Sightsavers
Cette patiente est heureuse d’avoir retrouvé la vue. TANZANIE. Suzanne Porter/Sightsavers

Introduction : l’équilibre entre l’offre et la demande

La promotion des services de cataracte requiert un équilibre entre l’offre et la demande (Figure 1). Dans ce numéro, nous concentrons notre réflexion sur l’utilisation plutôt que sur l’offre des services. Dans son analyse sur la demande des services, Standing1 a identifié deux composantes : « Il faut, dans un premier temps, comprendre les comportements de recours aux soins et les modes d’utilisation des services, dans le but de les modifier ou de mieux s’y adapter. Il s’agit ensuite, dans un second temps, d’identifier les moyens d’exploiter la demande, afin de pousser au changement et d’améliorer la capacité de réaction du côté de l’offre ». Si l’importance de la première composante est largement admise, les prestataires de santé oculaire se sont en revanche moins préoccupés de la seconde. Cette dernière recouvre certaines notions exprimées dans le Rapport sur le développement dans le monde publié en 20042, consacré à l’amélioration des services offerts aux personnes démunies. L’obligation de rendre compte est une notion liée à l’autonomisation et à l’écoute des consommateurs. Pour y parvenir avec succès, il faut consolider la confiance, l’assurance et la motivation des patients, afin qu’ils se présentent d’eux-mêmes aux services de santé oculaire. Il est également important que les communautés aient leur mot à dire pour que l’on puisse adapter les services à leurs besoins.

Figure 1. Maintenir un équilibre entre l’offre et la demande des services
Figure 1. Maintenir un équilibre entre l’offre et la demande des services

Toute réflexion sur l’utilisation des services pose trois questions principales. Les services sont-ils accessibles ? La réponse dépend de l’emplacement géographique, de la disponibilité des moyens de transport et de facteurs organisationnels tels que le calendrier des services. Les services sont-ils abordables, c’est-à-dire accessibles financièrement ? Nous devons examiner le coût direct du traitement, les coûts indirects (transport, repas, perte de revenus) et leur impact sur le budget du ménage. Enfin, les patients et leur famille considèrent-ils que les services sont acceptables ? La confiance dans la qualité des soins, la manière d’offrir des services en respectant la culture locale, la communication interpersonnelle et la dignité accordée au patient sont ici des notions pertinentes.

Faire en sorte que les services de cataracte soient accessibles

Certains groupes doivent faire face à des problèmes spécifiques. Par exemple, en page 30, l’article de Lewallen et Courtright recense les obstacles à l’utilisation des soins oculaires dans le cas particulier des femmes. Un désavantage lié au sexe signifie non seulement que les femmes sont plus souvent affectées par la cataracte que les hommes, mais qu’elles ont également moins accès à l’information, ont plus de difficultés à se déplacer jusqu’aux services de santé oculaire et ont plus tendance à se résigner à la cécité (leur perte de mobilité est moins apparente que celle des hommes, car elles ont tendance à rester à la maison). Lewallen et Courtright décrivent une stratégie qui permet de rapprocher les femmes des services de soins oculaires, non seulement sur le plan géographique, mais également sur le plan culturel.

Faire en sorte que les services de cataracte soient abordables

Il est important de considérer cette question dans le cadre plus large de l’accessibilité financière des soins de santé en général. Il existe des preuves solides démontrant que la maladie a un impact catastrophique, qui résulte de la perte de revenus et de l’importance des frais engendrés par le recours aux soins de santé. Selon Xu et al.3 , on peut considérer que les dépenses de santé sont d’ordre catastrophique si la contribution financière d’un ménage au système de santé dépasse 40 % des revenus qui lui restent après déduction des simples frais de subsistance. Si les affections de caractère grave ou aigu entraînent un appauvrissement des ménages par « chocs financiers » successifs, il ne faut pas s’étonner que la cataracte, une affection considérée comme une conséquence naturelle et non grave du vieillissement, ne soit pas considérée comme une dépense prioritaire dans le budget du ménage. Le traitement de la cataracte devrait être abordable pour tous les ménages et le prix devrait varier en fonction des moyens de chacun. Plusieurs programmes se sont attelés à ce problème et ont conçu des stratégies et des formules permettant de rendre les soins financièrement accessibles, même aux plus démunis (voir Ressources utiles à la page 48). Une étude de cas menée en Chine, décrite dans le numéro 60 de Community Eye Health Journal, fait clairement ressortir un « déséquilibre très important entre les frais d’hôpital pour le traitement de la cataracte et les moyens financiers des patients » 4. Des enquêtes menées dans les villages de la région ont mis en évidence que la population serait prête à payer pour une opération de la cataracte si celle-ci ne coûtait pas plus de 25 % du salaire annuel ; or, en Chine, le coût d’une opération de la cataracte peut s’élever à un an de salaire. Dans ce cas particulier, il s’est avéré possible d’augmenter à la fois le nombre des opérations de la cataracte et les revenus nets de l’hôpital, en rapprochant les services de la population, en établissant des réseaux de communication et d’orientation vers des spécialistes, et en introduisant un système de tarification variable en fonction des revenus.

Faire en sorte que les services de cataracte soient acceptables

Par « services acceptables », nous entendons ici que les services soient tels que les patients se « sentent à l’aise » lorsqu’ils les utilisent. La notion d’acceptabilité soulève la question de l’écart culturel entre dispensateurs de soins et bénéficiaires. On considère généralement que certaines personnes appartenant à la communauté se trouvent les mieux placées pour convaincre la population d’utiliser les services à sa disposition. Parmi elles, un rôle important peut être confié aux personnes qui ont bénéficié d’une intervention de la cataracte. Ces nouveaux « auxiliaires », que les auteurs anglo-saxons baptisent aphakic motivators ont pour rôle de motiver les personnes atteintes de troubles visuels qui hésitent ou redoutent d’utiliser les services dont elles pourraient disposer. D’autres catégories de travailleurs villageois peuvent être amenés à dépister les troubles de la vision et à encourager les personnes dépistées à se confier aux services existants. Dans certains programmes en Afrique de l’Ouest francophone, cette deuxième option est la plus utilisée. Dans ce numéro, l’article de Christopher Ogoshi montre comment le rôle des distributeurs d’ivermectine sous directives communautaires a été élargi au Nigeria (voir page 36). Il existe bien entendu d’autres solutions pour accroître la demande pour des services de soins oculaires. Les agents communautaires peuvent incorporer la santé oculaire à leurs tâches habituelles et fournir un service important pour la communauté, par exemple en prescrivant des verres correcteurs pour la presbytie5. La mise en œuvre de missions faisant appel à la « stratégie avancée » aide certainement à rapprocher la population et les services de santé.

Nombreux sont les patients qui répugnent à subir l’épreuve d’une opération de la cataracte soit parce que le milieu hospitalier leur paraît étrange, soit parce que, dans le passé, certains personnels médicaux ont manqué à leur égard de courtoisie et de sensibilité. Il s’agit là de questions qui concernent en fait plus l’offre que la demande. Dans quelle mesure l’environnement hospitalier est-il acceptable lorsque les normes culturelles de la population sont prises en considération ? A-t-on satisfait les besoins des femmes, en créant par exemple des salles ou des espaces d’attente séparés, en s’assurant de la présence de femmes parmi les conseillers ou encore en mettant des toilettes spécifiques à la disposition des patientes ? Ou encore, tout simplement, préserve-t-on la dignité de chaque patient ?

Les deux concepts de confiance et d’acceptabilité sont en fait très proches l’un de l’autre. Une expérience positive, une réputation construite sur les succès thérapeutiques, des témoignages de patients satisfaits permettent, au fil du temps, à un service de gagner la confiance des populations et des patients. Pourtant, cette confiance accordée aux services de proximité peut se trouver érodée par la conviction que des intervenants extérieurs sont très certainement susceptibles d’offrir de bien meilleurs services. Lorsque des programmes, certes bien intentionnés, offrent des services gratuits lors d’une mission à caractère exceptionnel, cela risque d’entraîner une série de problèmes et de perturbations. Ainsi, lorsque la population mal informée doute des capacités des ophtalmologistes desservant leur région, la venue d’une équipe « extérieure » offrant des services gratuits peut contribuer à renforcer cette méfiance et à détruire le peu de confiance que les ophtalmologistes basés sur place avaient réussi à gagner petit à petit6. Dans ce numéro, Ogoshi remarque à juste titre que les missions de chirurgie mobile qui offrent des opérations gratuites de la cataracte mettent en péril le développement durable des services hospitaliers permanents (voir page 37).

Accroître la motivation pour augmenter l’utilisation des services de cataracte

Bien qu’il soit crucial d’éliminer, dans la mesure du possible, les différents obstacles qui retardent ou entravent le recours à la chirurgie, il se peut que cela ne soit pas suffisant. Les gens n’agissent que s’ils sont motivés. En termes de marketing, on désigne sous le terme « raisons du consommateur » ce qui incite à modifier un comportement ou à dépenser de l’argent et de l’énergie pour acquérir quelque chose. Ce concept recouvre la tension interne qui existe entre l’état idéal désiré (dans le cas qui nous préoccupe, une meilleure vision pour soi-même ou un membre de sa famille) et l’état réel (diminution ou perte de la vision). Cette tension engendre une motivation, qui pousse l’individu et ses proches à trouver des solutions. La diffusion de l’information sur le caractère curable de la cataracte peut ne pas être suffisante pour inciter l’individu à utiliser les services à sa disposition. Toutefois, la valeur que l’on attribue au maintien d’une bonne vision tout au long de la vie peut motiver à agir. Chaque contexte est unique, c’est pourquoi on a de plus en plus recours à des méthodes qualitatives pour mieux comprendre l’état d’esprit et la motivation des utilisateurs potentiels.

Une plus grande obligation de rendre compte

Chacun s’accorde à penser que c’est une bonne idée d’impliquer les « patients satisfaits », c’est-à-dire celles et ceux qui ont tiré avantage des services et des soins qui leur ont été prodigués. Toutefois, les patients « moins satisfaits » ont peut-être aussi leur mot à dire ! Il s’agit certes là d’une question délicate, mais il nous semble que mieux comprendre l’expérience vécue par des patients de ce type et connaître et apprécier les raisons de leur mécontentement ouvrira de nouvelles perspectives. Cela aidera les prestataires à faire en sorte que les services soient susceptibles d’être appréciés par la majorité des utilisateurs. Il est intéressant de noter, dans l’article de Kuper et al. (voir page 40), que la méthodologie d’appréciation rapide de la cécité évitable comporte un entretien avec les personnes qui ont subi une opération de la cataracte, pour obtenir des détails sur l’intervention et sur la cotation d’un indice de satisfaction.

Conclusion

La littérature spécialisée propose régulièrement de nombreux articles qui énoncent les obstacles qui freinent l’utilisation des services dispensant des prestations de chirurgie de la cataracte dans différentes régions du monde. Des solutions pratiques pour contourner ces obstacles ne sont pas toujours clairement énoncées. Comme l’a fait remarquer un membre du comité de rédaction de la Revue, malgré d’indiscutables progrès, nous avons beaucoup de connaissances sur la façon de mettre en place des services de santé oculaire, mais nous en savons beaucoup moins sur la façon d’amener les patients à les fréquenter.

Références

1 Standing H. Understanding the ‘demand side’ in service delivery: definitions, frameworks and tools from the health sector. DFID Health Systems Resource Centre Issues Paper, March 2004. www.dfidhealthrc.org/publications/health_service_delivery/Standing.pdf (accédé en nov. 2006).

2 The World Bank. World Development Report 2004: Making services work for poor people. http://publications.worldbank.org/ecommerce/ (accédé en nov. 2006).

3 Xu K, Evans DB, Kawabata K, Zeramdini R, Klavus J, Murray CJ. Household catastrophic health expenditure: a multicountry analysis. Lancet 2003 Jul 12;362(9378): 111-7.

4 Tan L. Increasing the volume of cataract surgery : an experience in rural China. Community Eye Health Journal 2006;19(60): 61-63.

5 Michon J et Michon L. Popularising eye health services in southern Mexico : community workers meet a felt need. Community Eye Health Journal 2006;19(60): 64.

6 Cains S et Sophal S. Creating demand for cataract services : a Cambodian case study. Community Eye Health Journal 2006;19(60): 65-66.