RSOC Vol. 13 No. 16 2016 pp 04 - 07. Publié en ligne 10 octobre 2016.

Diagnostic et prise en charge de la kératite microbienne

Madan P Upadhyay

Président, BP Eye Foundation, Kathmandu, Népal


Muthiah Srinivasan

Directeur et Chef du Service cornée, Aravind Eye Hospital, Madurai, Inde.


John P Whitcher

Professeur émérite, Francis I Proctor Foundation and Department of Ophthalmology, University of California, San Francisco, États-Unis


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Quels sont les signes de la kératite microbienne et comment prendre en charge cette urgence ophtalmologique aux niveaux primaire, secondaire et tertiaire du système de santé ?

Les infections de la cornée peuvent entraîner une opacité cornéenne et une cécité si elles ne sont pas rapidement identifiées et prises en charge. Les termes kératite microbienne, kératite infectieuse et kératite suppurative ou purulente sont tous utilisés pour décrire une infection purulente de la cornée. Dans ce numéro, nous utiliserons le terme « kératite microbienne ». Ce type d’infection se caractérise par la présence d’infiltrats blancs ou jaunâtres dans le stroma cornéen, accompagnée ou non par une anomalie de l’épithélium cornéen, et associée à des signes d’inflammation (Figures 1 et 2).

Figure 1.
Figure 1. Kératite microbienne grave causée par une infection à champignon filamenteux. Noter la présence d’un infiltrat important, de lésions satellites et d’un hypopion. MATTHEW BURTON
Figure 2.
Figure 2. Ulcère bactérien. L’oeil est très rouge et très enflammé. Noter l’infiltrat cornéen en anneau et la présence d’un hypopion important dans la chambre antérieure. DR M SRINIVASAN/ARAVIND EYE HOSPITAL

Les patients présentant une kératite microbienne se plaignent le plus fréquemment des symptômes ci-après, dont la gravité peut varier d’un patient à l’autre :

  • Rougeur oculaire
  • Douleur
  • Vision trouble
  • Photophobie
  • Larmoiement ou écoulement oculaire.

Cet article vise à dresser un tableau de la kératite bactérienne et de la kératite fongique, en mettant l’accent sur leur identification et leur prise en charge aux niveaux primaire, secondaire et secondaire. Il contient également des recommandations utiles concernant l’orientation-recours des patients.

Diagnostic

Recueil des antécédents

Le recueil des antécédents est une étape importante de la prise en charge d’une infection cornéenne. S’il y a eu traumatisme oculaire, demandez notamment : quand et où s’est produit le traumatisme ? Quelle était l’activité du patient au moment où il a eu lieu ? Le patient a-t-il reçu des soins après le traumatisme, notamment prodigués par un tradipraticien ? Des antécédents de conjonctivite peuvent indiquer que l’infection cornéenne est secondaire à une infection par un agent pathogène conjonctival.

Examen

1 Acuité visuelle

Il faut toujours mesurer et enregistrer l’acuité visuelle du patient si celui-ci est en mesure de coopérer. S’il s’avère impossible de mesurer l’acuité visuelle, par exemple dans le cas d’un enfant, il est recommandé de préciser dans le dossier que cette mesure n’est pas possible. Testez d’abord la vision de l’oeil non atteint, puis celle de l’oeil affecté, avec ou sans lunettes de correction. Ceci sera utile pour évaluer le pronostic et la réponse au traitement et sera également de première importance en cas de problème médico-légal.

Figure 3.
Figure 3. Cornée après imprégnation de fluorescéine. En lumière bleue, la fluorescéine colore en vert brillant toute partie de la cornée qui s’est désépithélialisée. ICEH
Figure 4.
Figure 4. Ulcère fongique quasi-total. DR WHITCHER/UCSF

2 Examen de la cornée

Il est essentiel d’utiliser une lampe torche offrant un bon éclairage focal ainsi qu’une loupe permettant un agrandissement. Le microscope d’une lampe à fente, si vous en disposez, sera toujours utile, mais il n’est pas absolument essentiel.

Un autre outil essentiel est la fluorescéine, sous forme de bandelettes stériles ou de solution stérile. En lumière bleue, la fluorescéine colore en vert brillant toute partie de la cornée qui s’est désépithélialisée, même à la suite d’une blessure bénigne (Figure 3).

3 Signes cliniques

Lorsque vous examinez l’oeil du patient, recherchez la présence des signes énumérés ci-après. Consignez soigneusement vos observations dans le dossier clinique du patient ; elles s’avéreront utiles lorsqu’il faudra déterminer si l’oeil réagit ou non au traitement.

  • a. Anomalies palpébrales, telles que trichiasis ou lagophtalmie
  • b. Sensibilité cornéenne réduite
  • c. Inflammation conjonctivale et écoulement
  • d. Anomalies de l’épithélium cornéen (confirmées par coloration à la fluorescéine) ; noter leur taille et leur forme
  • e. Infiltrat inflammatoire cornéen ; noter sa taille et sa forme
  • f. Amincissement ou perforation de la cornée
  • g. Hypopion.

Se référer à l’article sur les signes cliniques en page 8, pour plus d’information sur les causes probables de l’infection.

4 Microbiologie

Si le diamètre de la lésion est supérieur à 2 mm, et si les conditions le permettent, prélever un frottis de cornée et réaliser une analyse microbiologique (voir page 10).

Prise en charge au niveau primaire

La kératite microbienne est une urgence ophtalmologique. Il faut orienter les patients vers le centre ophtalmologique secondaire ou de district le plus proche, afin qu’ils puissent être pris en charge de manière appropriée. Voici quelques conseils utiles lorsque vous orientez le patient vers un centre secondaire :

À faire :

  • Appliquer un collyre ou une pommade antibiotique.
  • Dire aux patients et/ou à leurs accompagnants d’instiller le collyre très régulièrement jusqu’à ce que le patient soit vu en consultation au centre ophtalmologique secondaire.
  • Dire aux patients et/ou à leurs accompagnants d’éviter de recourir à des remèdes traditionnels.

À ne pas faire :

  • Il ne faut pas prescrire d’antibiotiques par voie générale ; ils ne sont pas efficaces.
  • Il ne faut pas appliquer de collyre ou pommade aux corticostéroïdes, car ils peuvent être dangereux.
  • Il ne faut pas systématiquement appliquer un pansement oculaire ; ce n’est pas nécessaire.

Prise en charge au niveau secondaire

Au niveau secondaire, les infections cornéennes peuvent être prises en charge de façon plus complète, par un ophtalmologiste et/ou un infirmier spécialisé en ophtalmologie, ou encore un généraliste formé à la prise en charge des maladies oculaires courantes. Au niveau secondaire :

  • Réaliser un frottis cornéen, si vous avez accès à un service de microbiologie diagnostique (voir page 10).
  • Certains centres n’ont pas accès à des services de microbiologie. Dans ce cas, le choix du traitement se fera de façon empirique, en se basant sur le tableau clinique (voir page 8) et sur les types de maladies rencontrées localement.
  • Il est bon de se souvenir que, dans les régions tropicales, les infections bactériennes et fongiques se produisent à une fréquence semblable.
  • Admettre le patient à l’hôpital, afin qu’il puisse recevoir un traitement adéquat et un suivi à intervalles fréquents.
  • Faire en sorte d’enregistrer clairement toute observation sur l’état clinique du patient, sur son évolution et sur les traitements spécifiques administrés.

Traitement initial spécifique

1 Pas d’éléments fongiques visibles dans le frottis, ou pas de suspicion de kératite fongique au vu de l’examen clinique (voir page 8).

Dans ce cas, administrez l’un ou l’autre de ces traitements :

  • Instillation toutes les heures de céfazoline à 5 % et de gentamicine à 1,4 %.
    ou bien
  • Instillation toutes les heures de collyre à la ciprofloxacine ou à l’ofloxacine.

Si une instillation toutes les heures s’avère difficile à respecter, administrez une injection sous-conjonctivale.

2 Présence d’éléments fongiques visibles ou suspicion de kératite fongique au vu de l’examen clinique :

Instillez toutes les heures un collyre de natamycine à 5 %, en particulier si l’examen au microscope a révélé des champignons filamenteux. Si vous suspectez des levures (Candida), instillez toutes les heures un collyre à 0,15 % d’amphotéricine B fraîchement reconstituée. Dans ce type de cas, les antibiotiques ne peuvent jouer qu’un rôle limité et sont parfois dangereux. Le jugement clinique, corrélé par des tests de laboratoires, sera votre meilleur guide.

Traitement complémentaire

  • L’atropine à 1 % ou l’homatropine à 2 % peuvent être utilisées 2 fois par jour pour dilater la pupille ; ceci aidera à prévenir les synéchies et soulagera la douleur.
  • Des analgésiques par voie orale permettront de minimiser la douleur.
  • Les médicaments antiglaucomateux sont conseillés si la pression intraoculaire est élevée.
  • Une supplémentation en vitamine A peut être utile, en particulier lorsqu’il existe une forte prévalence de carence en vitamine A.

Vous pouvez utiliser cet aide-mémoire : les « cinq A » sont Antibiotique/antifongique, Atropine, Analgésiques, Antiglaucomateux et vitamine A.

Prise en charge ultérieure

Les patients présentant une kératite microbienne doivent être admis à l’hôpital et examinés tous les jours (si possible avec une lampe à fente), afin d’évaluer leur réponse au traitement et d’ajuster en conséquence la fréquence des antibiotiques.

Il faut réduire la fréquence du traitement antibiotique lorsque les symptômes du patient s’améliorent (diminution du larmoiement, de la photophobie, de la douleur et amélioration de la vision) et lorsque l’on observe une amélioration de l’ulcère, y compris :

  • Diminution de l’oedème palpébral.
  • Diminution du chémosis conjonctival et de l’injection de la conjonctive bulbaire.
  • Réduction de la densité de l’infiltrat et de la zone d’ulcération épithéliale.
  • Réduction de l’aspect voilé du périmètre de l’ulcère et de l’infiltrat stromal.
  • Diminution de l’inflammation ; diminution du nombre de cellules inflammatoires, de la quantité de fibrine et du niveau de l’hypopion.
  • Dilatation pupillaire.

En cas d’ulcère bactérien, si vous estimez que l’état du patient s’est amélioré, vous pouvez diminuer les administrations de collyre antibiotique et/ou antifongique en passant d’instillations toutes les heures à des instillations toutes les 2 heures, puis toutes les 4 heures au cours des 15 jours qui suivent.

En cas d’ulcère fongique, il faut continuer le traitement sous forme d’instillations toutes les 3 heures pendant au moins 3 semaines, car l’infection peut se réactiver plus tard. Dans les cas les plus graves, un traitement plus long peut s’avérer nécessaire.

Remarque : Dans le cas d’une infection bactérienne, la réaction inflammatoire peut être aggravée par la libération d’endotoxines pendant les premières 48 heures du traitement ; toutefois, il est inhabituel que l’infection progresse à ce stade et cela signifie généralement que les microorganismes sont résistants au traitement ou que le patient n’a pas instillé son collyre de la façon qui lui a été prescrite1.

Directives pour l’orientation vers un centre tertiaire

Orientez le patient dès qu’il se présente à vous si :

  • L’ulcère affecte un oeil unique.
  • Le patient est un enfant.
  • Il y a perforation de l’ulcère ou celle-ci est imminente.

À la suite du traitement initial, si vous n’observez aucune amélioration au bout de 3 jours (dans le cas d’un ulcère bactérien) ou au bout d’une semaine (dans le cas d’un ulcère fongique), orientez le patient vers un centre tertiaire.

Prise en charge au niveau tertiaire

Beaucoup de centres tertiaires ont leur propre protocole de prise en charge des ulcères cornéens. Celui que nous proposons ici est basé sur les aménagements recommandés par l’Organisation mondiale de la Santé dans certaines circonstances2.

Antécédents, examen et enregistrement des résultats

Lorsque les patients arrivent au centre tertiaire, il se peut qu’ils se soient déplacés de centre en centre, avec tous les inconvénients que cela implique, qu’ils aient reçu plusieurs traitements, qu’ils ne fassent maintenant plus confiance au personnel médical et il se peut aussi qu’ils soient à court d’argent, en particulier dans les pays à faible revenu. Il est particulièrement important de considérer ces aspects personnels lorsque vous prenez en charge des patients présentant un ulcère cornéen.

Un relevé soigneux des antécédents mettra peut-être en évidence l’existence d’une affection prédisposante comme le diabète, d’une immunosuppression due à des corticoïdes locaux ou généraux (ou autres immunosuppresseurs), d’une dacryocystite, ou d’autres affections oculaires. Vous devez obtenir la liste complète des médicaments utilisés par le patient, pour vous assurer de ne pas prescrire à nouveau un médicament qui n’a pas apporté d’amélioration ; ceci vous permettra aussi de découvrir des allergies potentielles aux médicaments. Le résultat de ce relevé des antécédents doit être consigné soigneusement dans un formulaire standard. L’analyse au laboratoire d’un frottis cornéen méticuleusement prélevé est souvent un excellent guide pour déterminer l’approche thérapeutique (voir page 10).

Hospitalisation

L’hospitalisation permet au patient de se reposer et de recevoir les médicaments adéquats ; en outre, celui-ci pourra bénéficier d’un suivi régulier et fréquent, de la prise en charge de tout problème d’ordre général, comme un diabète, et, si nécessaire, d’une intervention chirurgicale.

Traitement

Le traitement initial (voir Tableaux 1 et 2) dépend des résultats de l’analyse du frottis cornéen, du type de pathogènes rencontrés localement et de leur résistance éventuelle à certains antibiotiques.

  • Si l’analyse au microscope s’avère négative, ou s’il est impossible de réaliser un frottis de cornée, ou encore si vous visualisez des bactéries Gram négatives ou positives, alors traitez le patient avec un collyre antibiotique. Utilisez soit une combinaison de céfazoline 5 % et de gentamicine 1,4 %, soit une fluoroquinolone en monothérapie (par exemple ciprofloxacine 0,3 % ou ofloxacine 0,3 %). Commencez par instiller le collyre toutes les heures pendant 2 jours, puis diminuez progressivement la fréquence des instillations en fonction de la réponse du patient.
  • Si l’analyse au microscope révèle des hyphes fongiques, administrez localement de la natamycine à 5 % ou de l’amphotéricine B à 0,15 %, toutes les heures pendant une semaine, puis diminuez progressivement la fréquence des instillations.
  • Si l’ulcère semble bien réagir au traitement, continuez le traitement décrit ici, pendant 2 semaines pour un ulcère bactérien et pendant 3 semaines ou plus pour un ulcère fongique.
  • Si l’ulcère ne réagit pas bien au traitement et la mise en culture révèle un organisme bactérien, le choix de l’antibiotique sera alors guidé par la sensibilité de ce dernier.

Bien qu’il existe un grand nombre de médicaments antifongiques dans le commerce pour traiter les mycoses systémiques, seuls quelques-uns d’entre eux s’avèrent efficaces dans la prise en charge d’un ulcère cornéen. Les antifongiques couramment recommandés sont présentés dans le Tableau 2. Dans la plupart des cas de kératite fongique filamenteuse, particulièrement ceux causés par un Fusarium, un traitement par une suspension de natamycine à 5 % est recommandé. Une étude clinique récente a montré que la natamycine à 5 % était plus efficace que le voriconazole.

La plupart des données cliniques et expérimentales indiquent que l’amphotéricine B par voie locale (1,5 % à 5 %) est l’agent le plus efficace pour traiter une kératite causée par des levures. L’amphotéricine B est également efficace pour traiter une kératite fongique causée par n’importe quel type d’Aspergillus.

Dans les cas plus graves de kératite fongique intéressant la cornée profonde et les tissus intraoculaires, vous pouvez administrer en traitement de soutien des antifongiques par voie orale. Le fluconazole par voie orale (200 à 400 mg/jour) donne de bons résultats dans le cas d’une kératite grave causée par des levures. L’itraconazole par voie orale (200 mg/jour) présente une activité à large spectre contre toutes les infections par Aspergillus et Candida, mais son activité peut varier quand il s’agit de Fusarium. Il a été montré récemment que le voriconazole pouvait être utilisé dans les cas de kératite due à un champignon filamenteux.

D’autres agents ont des propriétés antifongiques variables et peuvent être utilisés en l’absence d’autres médicaments : le polyhexaméthylène biguanide (PHMB) à 0,02 %, la chlorhexidine à 0,02 %, la povidone iodée de 1,5 % à 5 % et la sulfadiazine argentique à 1 %.

Les infections fongiques intéressant le stroma cornéen profond risquent de ne pas réagir à un traitement antifongique local, car ces agents pénètrent mal si l’épithélium est intact. Certains auteurs ont observé qu’un débridement épithélial de 5 mm (qu’il s’agisse d’un frottis à visée diagnostique ou d’une procédure thérapeutique) augmentait fortement la pénétration des antifongiques.

L’expérimentation chez l’animal indique que des applications locales fréquentes (toutes les 5 minutes) pendant une heure permettent facilement d’atteindre une concentration thérapeutique.

Tableau 1. Préparation de collyres antibiotiques fortifiés

Antibiotique Préparation Concentration finale
Céfazoline/céfuroxime Ajouter 10 ml d’eau stérile à 500 mg de poudre de céfazoline ; mélanger et utiliser comme collyre. Durée de conservation : 5 jours 50 mg/ml (5 %)
Gentamicine (tobramycine) Ajouter 2 ml de gentamicine à usage parentéral (40 mg/ml) à un flacon de 5 ml de gentamicine à usage oculaire trouvée dans le commerce (3 mg/ml) 14 mg/ml (1, 4 %)
Pénicilline G Ajouter 10 ml de larmes artificielles dans un flacon de poudre de pénicilline G (1 million d’unités) ; mélanger, puis transvaser dans un flacon vide de 30 ml (par ex. flacon de larmes artificielles ou de xylocaïne vide) 100 000 unités/ml
Vancomycine Ajouter 10 ml d’eau stérile dans un flacon de 500 mg de poudre de vancomycine ; mélanger, ajouter un bouchon stérile et utiliser immédiatement 50 mg/ml (5 %)
Amikacine Mélanger 2 ml d’amikacine à usage parentéral (contenant 200 mg de cet antibiotique) et 8 ml de larmes artificielles ou d’eau stérile dans un flacon vide stérile 20 mg/ml (2 %)

Tableau 2. Médicaments antifongiques couramment recommandés

Médicament Traitement local Traitement général
Amphotéricine B Collyre à 0,15–0,5 % Perfusion intraveineuse
Natamycine Collyre à 5 % Non disponible
Éconazole Collyre à 2 % Non disponible
Voriconazole Collyre à 1 % Comprimés par voie orale 100–200 mg/jour

Prise en charge chirurgicale

Les interventions chirurgicales possibles comprennent le débridement, la biopsie cornéenne, l’application d’adhésifs tissulaires, la dissection d’un lambeau conjonctival, la tarsorraphie ou encore la greffe de cornée thérapeutique.

Il faut réaliser une éviscération de l’oeil en cas de douleur intense, de panophtalmie ou de complications menaçant le pronostic vital.

Tarsorraphie

Il s’agit d’une technique chirurgicale connue de longue date qui est encore pratiquée de nos jours en raison de son utilité. Une tarsorraphie résout souvent rapidement une lésion épithéliale tenace, quelle qu’en soit la cause sous-jacente. La tarsorraphie active efficacement la cicatrisation en cas de kératite microbienne due à une infection bactérienne ou fongique, à condition que l’ulcère ait bien été stérilisé au préalable par un traitement antibactérien et/ou antifongique efficace. Après la réalisation d’une tarsorraphie centrale, il sera peut-être difficile d’instiller un collyre et de visualiser la cornée ; il est donc absolument crucial de s’assurer que l’infection a bien été éliminée avant de fermer les paupières. Se référer à la page 13 pour la description de deux techniques de tarsorraphie.

Frottis de cornée sur lame. Pak Sang Lee
Frottis de cornée sur lame. Pak Sang Lee

Lambeau conjonctival

Le lambeau conjonctival favorise la cicatrisation d’une lésion cornéenne en vascularisant la zone lésée par le biais des vaisseaux conjonctivaux. Cette technique est particulièrement utile lorsque la perforation de l’ulcère est imminente, car elle peut aider à préserver le globe oculaire et permettre ainsi une éventuelle greffe de cornée. Un lambeau peut toutefois limiter la pénétration des antibiotiques locaux, par conséquent il ne faut pas le réaliser avant que l’ulcère ne soit bien stérilisé et l’infection éliminée.

Trois types de lambeau sont possibles :

  1. Un lambeau recouvrant la totalité de la cornée, que les Anglo-Saxons nomment lambeau de Gunderson.
  2. Un lambeau pédiculé (en raquette). Ce lambeau est irrigué par les vaisseaux limbiques et peut être utile en cas d’ulcère situé près du limbe.
  3. Un lambeau en anse de seau. Les deux extrémités de ce lambeau sont irriguées et il est donc moins susceptible de se rétracter. Ce type de lambeau est plus utile pour les ulcères situés au centre de la cornée.

Le lambeau conjonctival peut être réalisé sous anesthésie locale. Il peut être difficile de mobiliser suffisamment de conjonctive bulbaire pour cette procédure dans des yeux qui ont déjà été opérés. Le lambeau doit être aussi fin que possible et n’adhérer que de façon minime au tissu sous-conjonctival. Une fois que vous aurez enlevé tout épithélium cornéen résiduel, suturez le lambeau à la cornée avec du fil de suture en nylon 10.0.

Conclusion

La prise en charge de la kératite microbienne est un défi partout dans le monde, mais elle l’est plus encore dans les pays à faible ou moyen revenu où les soins de santé peuvent être insuffisants. Bien que les résultats du traitement se soient considérablement améliorés, beaucoup de patients voient leur état empirer en dépit des meilleurs traitements disponibles. De nouvelles souches de microorganismes, résistantes à une gamme toujours plus large d’antimicrobiens, continuent d’apparaître, ce qui représente un défi supplémentaire.

Il y a un vrai besoin de recherches plus poussées sur la prévention de la kératite microbienne et sur l’amélioration de la résistance de l’hôte aux microorganismes responsables. Il faudrait également mettre sur pied des programmes d’éducation en santé oculaire pour le grand public, afin de sensibiliser les personnes à risque et d’encourager une consultation précoce. Il faut également former les généralistes, les ophtalmologistes et autres personnels de santé afin qu’ils puissent poser un diagnostic correct, bien traiter l’affection et orienter les patients à temps, avant que la cornée ne soit gravement lésée. Plusieurs études ont montré que la prise en charge des érosions de cornée au niveau primaire, dans les 48 heures qui suivent la survenue de l’érosion, était le meilleur moyen de prévenir les ulcères cornéens dans les pays à faible ou moyen revenu3–6. Ce type de prise en charge peut être mis en oeuvre dans n’importe quelle population et est d’un bon rapport coût-efficacité à la fois pour le prestataire de soins et pour le patient.

Références

1 Allan BD, Dart JK. Strategies for the management of microbial keratitis. Br J Ophthalmol 1995;79 777–786.

2 Guidelines for the management of corneal ulcer at primary, secondary and tertiary health care facilities. World Health Organization, South East Asia Regional Office; 2004.

3 Upadhyay M et al. The Bhaktapur Eye Study: ocular trauma and antibiotic prophylaxis for the prevention of corneal ulceration in Nepal. Br J Ophthalmol 2001;85 388–392.

4 Srinivasan S et al. Corneal ulceration in south-east Asia III: prevention of fungal keratitis at the village level in South India using topical antibiotics. Br J Ophthalmol 2006;90 1472–1475.

5 Getshen K et al. Corneal ulceration in south-east Asia I: a model for the prevention of bacterial ulcers at the village level in rural Bhutan. Br J Ophthalmol 2006;90 276–278.

6 Maung N et al. Corneal ulceration in south-east Asia II: a strategy for prevention of fungal keratitis at the village level in Myanmar. Br J Ophthalmol 2006;90 968–970.