RSOC Vol. 12 No. 14 2015 pp 14 - 16. Publié en ligne 20 juillet 2015.

Élimination de l’onchocercose et de la filariose lymphatique

Adrian Hopkins

Directeur, Mectizan Donation Program, Georgia, États-Unis. www.mectizan.org


Related content
Figure 1. Version simplifiée du cycle de vie des parasites responsables de l’onchocercose et de la filariose lymphatique
Figure 1. Version simplifiée du cycle de vie des parasites responsables de l’onchocercose et de la filariose lymphatique

L’onchocercose et la filariose lymphatique sont l’une comme l’autre causées par des filaires (vers parasites) transmis par des insectes vecteurs. Le ver parasite responsable de l’onchocercose est Onchocerca volvulus. La filariose lymphatique (FL) est le plus souvent causée par Wucheria bancrofti, mais des espèces de Brugia peuvent également être responsables de cette maladie.

La Figure 1 montre une version simplifiée du cycle de vie des parasites responsables de l’onchocercose et de la FL. Le terme « macrofilaire » désigne le ver adulte et « microfilaire » désigne la forme larvaire du ver parasite. Dans le cas de l’onchocercose, les microfilaires sont présentes dans la peau de l’hôte et sont ingérées lorsque le vecteur, la simulie, ingère un repas de sang (en grattant la peau jusqu’à ce qu’elle saigne, ce qui permet aux microfilaires de migrer dans la plaie). Dans le cas de la FL, les microfilaires circulent dans le sang durant la nuit et sont ingérées par différentes espèces de moustique.

Maîtrise et élimination

Il est important de préciser ce que l’on entend par élimination. Quand on parle d’élimination d’une maladie en tant que problème de santé publique, cela signifie que la maladie est bien maîtrisée. Il n’y a plus de cas graves de cette maladie, mais cela ne veut pas dire que le parasite a été complètement éliminé. L’élimination d’une maladie en tant que problème de santé publique s’obtient par des mesures de lutte qui doivent être maintenues pour empêcher la réapparition de la maladie. Le trachome est un exemple de ce cas de figure : on réduit la transmission de la maladie jusqu’à ce que le trachome ne soit plus cécitant.

L’élimination de la transmission signifie que la maladie ne peut plus être transmise dans une zone géographique donnée et que la population de cette région ne risque plus d’être (ré)infectée, même s’il reste encore quelques personnes malades.

On parle d’éradication d’une maladie lorsqu’il n’existe plus de personnes infectées et que la transmission de la maladie n’est plus possible au niveau mondial.

Utilisation d’une toise à comprimés pendant la distribution communautaire d’ivermectine. CAMEROUN. Suzanne Porter/Sightsavers
Utilisation d’une toise à comprimés pendant la distribution communautaire d’ivermectine. CAMEROUN. Suzanne Porter/Sightsavers

À l’origine, l’objectif des programmes de lutte était d’éliminer l’onchocercose et la FL en tant que problèmes de santé publique. Dans le cas de l’onchocercose, cela signifiait réduire l’infection à un niveau où les nouveaux cas de cécité, de déficience visuelle et d’atteintes cutanées sévères ne seraient plus un problème pour la population. Dans le cas de la FL, cela signifiait l’absence de nouveaux cas de lymphoedème ou hydrocèle invalidant. Toutefois, au vu de l’efficacité grandissante des programmes de lutte contre l’onchocercose et la FL, il est apparu que l’interruption de la transmission était envisageable, ce qui entraînerait à terme l’élimination de ces deux maladies.

Interrompre le cycle du parasite

Le but d’une stratégie de lutte et, à terme, d’élimination est d’interrompre le cycle de vie du parasite à différentes étapes, par exemple en détruisant les vers adultes (plus de production de microfilaires), ou en détruisant les microfilaires (le vecteur n’a plus rien à transmettre), ou en empêchant le vecteur de piquer l’hôte (séparation de l’hôte et du vecteur) ou encore en détruisant le vecteur jusqu’à la mort du parasite (après quoi il n’y aura plus rien à transmettre même si le vecteur pique l’hôte).

Il existe des similitudes entre l’élimination de l’onchocercose et celle de la filariose lymphatique. Le cycle de vie du parasite (Figure 1) offre la possibilité d’intervenir à plusieurs niveaux, soit sur le vecteur, soit sur les personnes infectées.

Lutte antivectorielle

Le Programme de lutte contre l’onchocercose (OCP) fut lancé en 1974 en Afrique de l’Ouest, avant que l’ivermectine ne soit disponible. La stratégie de l’OCP visait à agir sur les sites de reproduction des simulies dans les régions affectées, afin qu’il n’y ait plus de vecteur pour transmettre la maladie tant qu’il y aurait des personnes infectées dans la population (après quoi la maladie ne pourrait plus être transmise même en cas de réapparition de la simulie, car il n’y aurait plus de microfilaires dans la peau des habitants). On avait estimé qu’il faudrait environ 14 ou 15 ans pour atteindre ce stade. L’OCP était un programme très efficace, mais il coûtait malheureusement très cher. Beaucoup de sites de reproduction étaient inaccessibles et l’épandage hebdomadaire de larvicide durant la période de reproduction devait souvent être fait par hélicoptère.

Dans le cas de la FL, la lutte contre le vecteur est devenue partie intégrante du programme d’élimination du paludisme, dans le cadre de programmes de gestion intégrée du vecteur. Cette approche marche bien lorsque le vecteur est un moustique du genre Anopheles, qui transmet également le paludisme et pique l’hôte pendant la nuit. Une moustiquaire de lit imprégnée d’insecticide offre une protection à la fois contre le paludisme et contre la FL. Malheureusement, d’autres espèces de moustique, qui n’ont pas les mêmes habitudes nocturnes, peuvent également transmettre la FL dans certaines régions ; les moustiquaires de nuit sont alors moins efficaces, bien que d’autres mesures anti-moustiques puissent être utiles.

Destruction du parasite

L’idéal serait un médicament qui détruit les vers adultes en une ou deux doses, sans entraîner de réaction trop forte chez l’hôte humain. Les médicaments qui détruisent les filaires adultes sont appelés macrofilaricides. Il en existe actuellement, mais ils sont trop toxiques pour être distribués en masse ou doivent être pris pendant une longue période (cinq à six semaines). Les recherches actuelles nous permettront un jour d’avoir accès à des médicaments filaricides utilisables.

À l’heure actuelle, la distribution de masse de médicaments (DMM) vise à détruire les microfilaires, même si les divers médicaments utilisés agissent partiellement sur les vers adultes. Bien que, à l’échelle de l’individu, le traitement permette de soulager les symptômes des patients affectés par la maladie, il est important de traiter tous les membres de la communauté remplissant les critères d’éligibilité au traitement. Ceci permettra d’éviter la réinfection, en empêchant que le vecteur ingère et transmette de nouveaux parasites lors de chaque repas de sang.

Étapes de l’élimination

Le cadre conceptuel publié par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour l’élimination de l’onchocercose décrit des phases d’élimination qui peuvent être utiles pour la FL autant que pour l’onchocercose.

Figure 2. Phases d’élimination de la maladie
Figure 2. Phases d’élimination de la maladie

Phase 1

Au cours de cette première phase (voir Figure 2), la transmission se poursuit, mais elle diminue progressivement grâce aux interventions de DMM et de lutte antivectorielle. Si ces interventions sont efficaces, l’on finit par arriver au point où il n’y a plus de microfilaires dans la peau (onchocercose) ou dans le sang (FL). La transmission a été supprimée, mais les vers adultes sont encore vivants. Dans le cas de l’onchocercose, un traitement plus énergétique peut permettre de réduire la durée de cette phase, par exemple en augmentant la fréquence d’intervention et en traitant deux ou même quatre fois par an, ou en combinant le traitement avec des interventions antivectorielles, ou encore en faisant appel à un macrofilaricide.

Dans la région des Amériques, où 500 000 personnes étaient à risque dans de petits foyers répartis dans six pays, le traitement semestriel s’est avéré très efficace. Un traitement trimestriel a également été utilisé à bon escient. En Afrique, toutefois, la situation épidémiologique est très différente : environ 160 millions de personnes, réparties dans 31 pays, sont exposées au risque d’onchocercose. Dans la plupart des pays d’Afrique, le traitement a généralement été administré une fois par an : le programme contre l’onchocercose était au départ un programme de lutte, plutôt que d’élimination, et par ailleurs un programme de traitement semestriel aurait été trop difficile et trop onéreux, les questions de logistique et de mise en oeuvre étant d’une tout autre ampleur. La situation est en train d’évoluer avec l’adoption d’une stratégie d’élimination : un changement d’approche sera nécessaire dans les quelques foyers problématiques où la transmission continue, mais dans beaucoup de régions les progrès sont tels, après plus de 15 ans de traitement annuel, que la transmission a déjà été interrompue.

Phase 2

Au cours de cette deuxième phase (voir Figure 2), la transmission de nouvelles infections ne peut plus avoir lieu, de sorte que de nouveaux vers adultes ne pourront plus être introduits dans la population et les vers adultes actuellement présents dans la population finiront par mourir. Les vers adultes vivants qui restent dans la population peuvent toutefois transmettre la maladie, donc il faut poursuivre les interventions d’élimination (DMM, en général) de manière tout aussi énergique qu’auparavant. On est maintenant en présence d’un système clos et la durée de cette deuxième phase dépend du parasite et du traitement employé. Dans la région des Amériques, on a constaté qu’il suffisait de poursuivre le traitement semestriel par l’ivermectine pendant six à sept ans. Avec un traitement annuel, cette phase durera plus longtemps. Dans le cas de la FL, si la couverture thérapeutique a été efficace, la plupart des programmes peuvent être arrêtés au bout de cinq ou six ans.

Phase 3

Dans cette phase (voir Figure 2), la transmission a été interrompue et l’on peut arrêter le traitement. La charge parasitaire ne doit pas nécessairement être nulle, mais elle doit être très proche de zéro. La présence de quelques individus infectés dans la population n’est pas suffisante pour maintenir le cycle du parasite. En termes de modélisation des maladies, ceci représente le point de rupture. Cette période de surveillance posttraitement (SPT) doit être maintenue pour s’assurer que la transmission a bien été éliminée. Dans le cas de l’onchocercose, la SPT dure généralement trois ans. Dans le cas de la FL, il faut effectuer les premières enquêtes au bout de trois ans, puis les refaire à nouveau trois ans plus tard. Les publications de l’OMS ont décrit en détail ces enquêtes d’évaluation de la transmission (TAS en anglais) de la FL. Il existe notamment un guide très utile à l’intention des gestionnaires de programmes, qui décrit en détail les phases d’un programme d’élimination de la FL1 L’OMS a également publié en 2001 des directives sur l’élimination de l’onchocercose, mais les directives les plus récentes devraient être disponibles d’ici la fin 2015.

Phase 4

Il s’agit d’une phase de suivi épidémiologique de base qui permet de vérifier qu’il n’y a pas réintroduction de l’infection (voir Figure 2). L’insecte vecteur de la maladie est toujours présent, donc la maladie peut éventuellement réapparaître si des populations infectées migrent dans la région ou si des vecteurs infectés sont introduits dans une zone auparavant exempte de la maladie.

La modélisation mathématique (basée sur un ensemble de variables dont la prévalence de départ, la couverture, le type de parasite et de vecteur) est un outil de planification utile qui peut indiquer des changements de stratégie avantageux et estimer quand le point de rupture entre les phases 2 et 3 sera atteint et le traitement pourra être arrêté.

Outils de vérification

Pour vérifier l’élimination de l’onchocercose ou de la FL, il faut effectuer différents tests parasitologiques, sérologiques et entomologiques.

Bien que certains patients dont l’infection est de longue date puissent rester infectés, il est important de vérifier que la transmission est interrompue ; pour ce faire, il est plus facile de tester les enfants et de prouver qu’ils n’ont jamais été infectés. Des tests sérologiques sont utilisés à cet effet, soit la recherche d’anticorps anti-Ov16 pour l’onchocercose et le test sur carte ICT pour la FL (qui sera bientôt remplacé par un test sur bandelette).

Ces patients souffrant de filariose lymphatique apprennent les bénéfices du lavage des membres atteints. SRI LANKA. Centre for Neglected Tropical Diseases
Ces patients souffrant de filariose lymphatique apprennent les bénéfices du lavage des membres atteints. SRI LANKA. Centre for Neglected Tropical Diseases

Pour vérifier l’élimination de l’onchocercose, il faut également vérifier l’absence de microfilaires dans le vecteur (la simulie). Par le passé, la collecte des simulies se faisait à la main, mais des pièges à simulies sont en cours d’élaboration. Un grand nombre de simulies sont récoltées, puis l’on effectue des tests d’amplification génique sur des lots de plusieurs échantillons (méthode de « pool screening ») pour vérifier l’absence de parasite dans les simulies. Les tests de routine sur les moustiques ne font pas encore partie des enquêtes TAS pour la FL.

Il est beaucoup plus difficile de prouver l’absence d’un phénomène que son existence, par conséquent il est capital d’utiliser des tailles d’échantillons statistiquement fiables et de calculer correctement les intervalles de confiance.

Les enquêtes visant à prouver l’élimination seront menées par du personnel du ministère de la santé formé à cet effet. Il est cependant nécessaire que le personnel de santé à tous les niveaux du système comprenne le processus et assure la liaison entre les équipes d’enquête et la population.

Les tests qui permettent de décider quand le traitement peut être arrêté sont les mêmes que ceux qui doivent être effectués en phase de surveillance post-traitement. Cette phase est absolument essentielle, non seulement parce qu’elle permet de vérifier qu’il n’y a pas réapparition de la maladie, mais également parce que chaque pays doit effectuer un suivi rigoureux afin de présenter à l’OMS sa demande officielle de vérification de l’élimination.

Sensibilisation de la population

L’élimination de ces maladies ne pourra être réalisée sans la coopération de la population. Il est important de bien informer les populations locales pour qu’elles puissent pleinement coopérer durant la phase de traitement et pour que la couverture thérapeutique totale soit maintenue. Il faut également sensibiliser la population aux notions d’arrêt du traitement et de surveillance post-traitement. Sinon, les membres de la communauté risquent de ne pas comprendre pourquoi l’on a décidé d’arrêter un traitement dont ils ressentent depuis longtemps les effets bénéfiques et ils peuvent refuser de prendre part aux enquêtes de suivi post-traitement. Enfin, et avant tout, il faut inclure la population dans la célébration du succès des programmes d’élimination.

Référence

1 Programme mondial pour l’élimination de la filariose lymphatique. Suivi et évaluation épidémiologique du traitement médicamenteux de masse. Manuel à l’intention des programmes nationaux d’élimination. Genève, Suisse : OMS, 2013.