RSOC Vol. 04 No. 03 2007 pp 06 - 07. Publié en ligne 01 janvier 2007.

Examen oculaire et diagnostic du glaucome

Ravi Thomas

Directeur du LV Prasad Eye Institute et titulaire de la chaire d’ophtalmologie Dr Kallam Anji Reddy


Rajul S Parikh

Consultant, VST Centre for Glaucoma Care
LV Prasad Eye Institute, Banjara Marg, Banjara Hills, Hyderabad 500 034, Andhra Pradesh, Inde

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Figure 1. Gonioscopie montrant une synéchie antérieure périphérique.  Ravi Thomas
Figure 1. Gonioscopie montrant une synéchie antérieure périphérique. Ravi Thomas

Introduction

Soixante millions de personnes dans le monde sont affectées d’un glaucome et l’on estime que 7,5 millions d’entre elles sont aveugles du fait de cette maladie. Le glaucome est la deuxième cause de cécité dans le monde1. La moitié, vraisemblablement, des cas de cécité par glaucome sont dus à une fermeture de l’angle2. Par conséquent, pour être efficace, toute initiative de dépistage des cas de glaucome doit comprendre des méthodes de détection de la fermeture de l’angle.

Un examen clinique en milieu médicalisé et un dépistage dans la communauté sont deux interventions différentes. En clinique, c’est le patient qui est venu jusqu’à nous et il nous appartient de diagnostiquer et traiter toute pathologie, y compris le glaucome. Certains « raccourcis » utilisés lors d’un programme de dépistage ne sont pas acceptables en milieu clinique. La meilleure façon de détecter et d’évaluer un glaucome consiste à pratiquer un examen oculaire complet de tous les patients qui se présentent à la clinique, quels que soient les symptômes qui motivent la consultation3.

Composantes d’un examen oculaire complet permettant l’évaluation d’un glaucome

Pour réunir les informations nécessaires et décider si un patient souffre de glaucome, un examen oculaire complet doit être pratiqué. Il se décompose en cinq temps différents qui doivent être parfaitement maîtrisés.

1 L’examen à la lampe fente

Il est particulièrement utile pour éliminer les causes secondaires de glaucome.

2 La mesure de la pression intraoculaire (PIO)

Il est préférable de mesurer la PIO avec un tonomètre à aplanation. La tonométrie est peu sensible et peu spécifique quand il s’agit de dépister un glaucome. La moitié des patients atteints de glaucome primaire à angle ouvert présentent une PIO inférieure à 22 mm Hg lors de la première mesure. De plus, comme l’a montré l’étude sur l’hypertonie oculaire (ocular hypertension treatment study ou OHTS), seulement 9,5 % des patients présentant une PIO supérieure à 21 mm Hg évolueront vers le premier stade du glaucome s’ils ne reçoivent aucun traitement pendant cinq ans4. La mesure de la PIO n’est pas en elle-même un outil suffisamment efficace pour dépister le glaucome. Toutefois, une PIO constamment élevée aide à poser un diagnostic.

Il est important de noter que la mesure de la PIO effectuée avec un tonomètre à aplanation de Goldmann peut être faussement élevée si l’épaisseur cornéenne a augmenté (ce qui est différent d’un œdème de cornée). L’étude sur l’hypertonie oculaire a d’ailleurs montré que chez les patients présentant une hypertonie oculaire, le risque d’évolution vers un glaucome était minimal. Il n’existe pas de consensus sur la formule de correction à adopter pour prendre en compte l’épaisseur de la cornée : nous utilisons la formule d’Ehler, qui applique une correction de 5 mm Hg par 70 μm d’épaisseur cornénne. L’idéal est de mesurer systématiquement l’épaisseur de la cornée centrale ; il faut au moins pratiquer cette mesure chez tous les patients qui présentent une hypertonie oculaire ou qui sont suspectés de présenter un glaucome à tension normale. En ce qui concerne la prise en charge du glaucome, la PIO demeure le seul facteur causal reconnu et le seul facteur que l’on puisse modifier par traitement.

3 Gonioscopie

À l’heure actuelle, la gonioscopie représente ce que l’on peut appeler « l’étalon or » pour formuler un diagnostic de glaucome par fermeture de l’angle et elle est indispensable au diagnostic et à la prise en charge de tous les glaucomes. Le diagnostic du glaucome primaire à angle ouvert se fait par exclusion ; il n’est posé que lorsque l’on a réalisé un examen minutieux (comprenant la gonioscopie) permettant d’exclure la fermeture de l’angle et les causes secondaires de glaucome. Si l’on observe ne serait-ce qu’une seule synéchie antérieure périphérique dans un angle comportant un risque de fermeture (Figure 1), on peut confirmer le diagnostic de fermeture de l’angle.

La gonioscopie dynamique, réalisée grâce à un verre à indentation tel le verre à 4 miroirs ou de Posner, est la technique idéale. L’angle irido-cornéen est une structure dynamique qui peut évoluer avec le temps, en fonction de variations de l’épaisseur ou de la position du cristallin ou d’autres facteurs. Il est donc essentiel de réaliser une gonioscopie, y compris lorsqu’on est face à un cas « confirmé » de glaucome primaire par ouverture de l’angle.

On recommande parfois le test de la lampe de poche et la recherche du signe de Van Herrick (voir plus bas) pour remplacer la gonioscopie. Seul, sans autre examen, le test de la lampe de poche ne s’avère pas très utile. Le signe de Van Herrick peut parfois être utilisé dans des programmes de dépistage, mais il n’est pas très utile en milieu clinique : la gonioscopie représente alors la méthode de choix5.

Figure 2. Photographie de papille optique montrant une encoche inférieure. Ravi Thomas
Figure 2. Photographie de papille optique montrant une encoche inférieure. Ravi Thomas
Figure 3. Photographie de papille optique montrant une hémorragie papillaire. Ravi Thomas
Figure 3. Photographie de papille optique montrant une hémorragie papillaire. Ravi Thomas

4 L’examen de la papille optique et de la couche des fibres nerveuses

Le glaucome est essentiellement une neuropathie optique. L’élément essentiel du diagnostic est l’examen de la papille optique et de la couche des fibres nerveuses rétiniennes. La photographie stéréoscopique de la papille optique représente ce qu’il y a de mieux, mais lors de l’examen clinique de la papille optique et de la couche des fibres nerveuses rétiniennes, la meilleure méthode est l’observation stéréoscopique à la lampe à fente (après dilatation pupillaire) en utilisant un verre de contact de 60, 78 ou 90 dioptries. Une lentille de contact offre une meilleure vision stéréoscopique, mais son usage systématique poserait des problèmes logistiques. Toutefois, en cas de doute, nous recommandons d’utiliser une lentille de contact pour l’examen stéréoscopique. En général, sauf contre-indication, il ne faut jamais examiner la papille optique, la couche des fibres nerveuses rétiniennes ou le fond de l’œil sans avoir au préalable dilaté les pupilles. Nous ne mentionnerons pas dans cet article les nombreux signes à rechercher lors de l’examen de la papille optique : amincissement ou encoche de l’anneau neurorétinien, hémorragie papillaire, déficit localisé de la couche des fibres nerveuses, etc. (Figures 2 et 3). De nouvelles techniques d’imagerie médicale permettent d’examiner la papille optique : le tomographe rétinien de Heidelberg (Heidelberg retinal tomogram ou HRT), la polarimétrie à balayage laser (GDX), la tomographie à cohérence optique (OCT), etc. L’assemblée de l’AIGS (Association of International Glaucoma Societies) a conclu qu’il n’existait pas actuellement de preuves suffisantes pour justifier l’usage systématique de ces techniques d’imagerie, mais que ces dernières pouvaient fournir des renseignements précieux si elles étaient mises en œuvre par un spécialiste. Nous sommes d’accord avec ces conclusions et nous considérons également que ces techniques sont potentiellement très utiles pour un suivi.

5 Périmétrie

La prise en charge du glaucome a pour but de préserver la fonction visuelle et la qualité de vie du patient. La périmétrie automatisée « blanc sur blanc » est le meilleur outil pour détecter les lésions fonctionnelles glaucomateuses. Elle est incontournable pour évaluer l’étendue de ces lésions, leur évolution, ainsi que leur réactivité au traitement. Lorsque la chirurgie en première intention s’avère nécessaire, la confirmation de lésions fonctionnelles renforce cette décision thérapeutique.

Il faut d’abord réaliser des champs visuels de référence (avant toute intervention médicale ou chirurgicale), ceci non seulement pour établir le diagnostic, mais aussi à titre de comparaison pour permettre le suivi ultérieur. Les premiers champs relevés reflètent généralement une courbe d’apprentissage et ne peuvent être utilisés comme champ de référence. Pour évaluer l’évolution de la maladie, nous utilisons actuellement un logiciel permettant de donner une vue d’ensemble du champ visuel (Overview) et un logiciel d’analyse d’évolution du glaucome (GPA pour Glaucoma Progression Analysis) qui permet une analyse statistique de l’évolution du glaucome.

La périmétrie en doublage de fréquence est un test relativement bon marché et d’exécution rapide, qui permet de détecter précisément les déficits de champ visuel. Cette technologie est très sensible et très spécifique. Elle permet de confirmer un défaut de champ visuel avant de réaliser une intervention chirurgicale, mais elle ne comprend pas de logiciels permettant d’effectuer un suivi.

Le campimètre de Bjerrum est suffisant pour décrire un défaut de champ visuel et, à condition que le résultat obtenu concorde avec d’autres données, ceci permettra de justifier une intervention chirurgicale. Dans les cas où l’on recommande une intervention chirurgicale en première intention, il est particulièrement important de pouvoir démontrer auparavant un déficit fonctionnel. Toutefois, le campimètre ne convient pas pour un suivi.

Glaucome primaire par fermeture de l’angle

La tonométrie ne permet de détecter la fermeture de l’angle que lorsque le patient présente une élévation de la PIO. Les tests structurels et fonctionnels décrits dans le cas du glaucome primaire à angle ouvert (examen de la papille optique, périmétrie) ne peuvent détecter une fermeture de l’angle que si celle-ci a entraîné des lésions de la papille optique ou du champ visuel. Dans la mesure où environ 75 % des sujets indo-pakistanais atteints de glaucome primaire par fermeture de l’angle présentent des lésions du nerf optique, les stratégies permettant de diagnostiquer des lésions fonctionnelles dans le glaucome primaire à angle ouvert peuvent également servir à détecter le glaucome primaire par fermeture de l’angle. Il faut toutefois noter que ces tests ne permettent pas de détecter les yeux qui ne présentent pas de lésions fonctionnelles ou les yeux à risque de fermeture de l’angle. C’est précisément les yeux à risque ou les yeux encore aux premiers stades de la maladie que nous devons dépister. Dans ces cas, une iridotomie apportera la solution curative.

1 Gonioscopie

L’examen de l’angle par gonioscopie est la meilleure méthode pour identifier la fermeture de l’angle et les yeux à risque. La gonioscopie requiert un niveau d’expertise clinique qui fait qu’elle n’est pas adaptée au dépistage. Elle est toutefois indispensable en milieu clinique. L’assemblée de l’AIGS sur le glaucome par fermeture de l’angle a conclu que la gonioscopie était obligatoire dans un contexte clinique.

2 Examen à la lampe de poche

Pour réaliser ce test, on dirige un faisceau lumineux sur la cornée, en se plaçant du côté temporal, parallèlement et antérieurement à l’iris. La présence d’une ombre au limbe nasal permet d’identifier une chambre antérieure effacée et donc un risque de fermeture de l’angle. L’assemblée de l’AIGS a conclu que ce test, étant donné sa spécificité et sa sensibilité, ne pouvait servir à détecter la fermeture de l’angle.

Figure 4. Signe de Van Herrick : la chambre antérieure périphérique est effacée. Ravi Thomas
Figure 4. Signe de Van Herrick : la chambre antérieure périphérique est effacée. Ravi Thomas

3 Examen au biomicroscope (signe de Van Herrick)

Cet examen compare, au moyen d’un faisceau divisé, la profondeur de la chambre antérieure périphérique et l’épaisseur de la cornée. Lorsque la profondeur de la chambre antérieure périphérique est inférieure à un quart de l’épaisseur de la cornée, on considère que la chambre antérieure périphérique est effacée (Figure 4). Ce test n’est pas assez sensible et spécifique pour remplir les critères établis par l’association Prevent Blindness America et ne convient pas selon elle au dépistage.

Il ne faut pas oublier non plus que le test de la lampe de poche et le signe de Van Herrick/l’examen au biomicroscope ne détectent pas une fermeture de l’angle mais des angles pouvant être obstrués, qui sont un facteur de risque pour la fermeture de l’angle. Cette différence est importante parce que seule une minorité d’angles pouvant être obstrués évolue vers une fermeture. Si l’on utilise l’examen à la lampe à fente ou biomicroscope pour un dépistage, on obtiendra trop de faux positifs.

En résumé, l’évaluation clinique d’un patient suspect de glaucome requiert un examen complet (y compris gonioscopie) de tous les patients d’âge adulte se présentant à la clinique et une recherche de lésions (champ visuel), puis un suivi des patients suspects de glaucome et des cas confirmés.

Références

1 Quigley HA. Number of people with glaucoma worldwide. Br J Ophthalmol 1996;80: 389-93.

2 Foster PJ, Johnson GJ. Glaucoma in China: how big is the problem? Br J Ophthalmol 2001;85: 1277-82.

3 Thomas R, Parikh R, Paul P et al. Population-based screening versus case detection. Indian J Ophthalmol 2002;50: 233-7.

4 Kass MA, Heuer DK, Higginbotham EJ, et al. The ocular hypertension treatment study: a randomized trial determines that topical ocular hypotensive medication delays or prevents the onset of primary open-angle glaucoma. Arch Ophthalmol 2002 Jun;120: 701-13.

5 Thomas R, George T, Muliyil J. The Flashlight and van Herrick’s Test are poor predictors of occludable angles. Aust N Z J Ophthalmol 1996;24: 251-6.