RSOC Vol. 11 No. 13 2014 pp 03 - 04. Publié en ligne 16 juillet 2014.

Patients et glaucome : quels défis ?

Mohammed Abdull

dirige le service d’ophtalmologie du CHU Abubakar Tafawa Balewa à Bauchi au Nigeria et est étudiant en thèse au International Centre for Eye Health, à Londres. Ses recherches sur le terrain visent à élucider le lien entre la sensibilisation au glaucome, la gravité de la maladie lors de la première consultation hospitalière et la capacité du patient à gérer son traitement.

Fatima Kyari

l’a interviewé pour la Revue.

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Groupe de discussion ciblée sur le glaucome. NIGERIA. Peter Martin
Groupe de discussion ciblée sur le glaucome. NIGERIA. Peter Martin

En général quel est l’état d’avancement du glaucome chez les patients qui se présentent à votre hôpital ?

La plupart de nos patients ont un glaucome avancé lorsqu’ils arrivent à l’hôpital. En général, un œil est déjà aveugle et l’autre œil présente un stade modérément avancé de la maladie. Cette situation est selon nous due au fait que les patients n’en savent pas assez sur le glaucome et ignorent l’importance de consulter dès que possible.

Quels moyens avez-vous utilisés pour découvrir ce que les gens pensaient du glaucome ?

Nous avons rendu visite à des membres de la famille de patients, à des tradipraticiens, et nous avons mené des entretiens individuels et des discussions de groupe ciblées. Beaucoup de personnes ignoraient le terme « glaucome » et celles qui le connaissaient l’interprétaient de différentes façons. Il n’existe pas de terme local pour désigner la maladie. Certains parlent de « cécité noire », par opposition à la « cécité blanche » (cataracte).

Les personnes que nous avons interrogées attribuaient le glaucome à différents facteurs. Pour certaines, il était dû à un excès de larmes, à une colère trop grande ou à une exposition prolongée à la fumée.

D’autres liaient le glaucome aux mouches noires ou le confondaient avec la cécité des rivières (onchocercose). Quelques-uns l’identifiaient à une hypertension oculaire et très peu de personnes établissaient un lien entre glaucome et mort du nerf optique.

Une bonne communication avec le patient est un élément essentiel de la prise en charge du glaucome. NIGERIA. Mohammed Abdull
Une bonne communication avec le patient est un élément essentiel de la prise en charge du glaucome. NIGERIA. Mohammed Abdull

Quels sont les obstacles à une consultation précoce ?

Le fait que les personnes atteintes ne consultent pas à un stade précoce de la maladie s’explique principalement par l’absence de symptômes, à laquelle il faut ajouter un manque de sensibilisation à la maladie. Ceci fait que les personnes atteintes attendent d’être aveugles d’un œil ou d’avoir subi une perte visuelle très importante avant de consulter.

En outre, la population de notre région est sensibilisée à la cataracte et a tendance à attendre que la cataracte mûrisse avant de se faire opérer. Très souvent, les personnes présentant une perte de vision supposent qu’il s’agit d’une cataracte et consultent trop tard pour que nous puissions sauver leur vue.

Les gens perdent aussi beaucoup de temps à consulter des tradipraticiens, qu’il est bien plus facile de consulter que des médecins ou infirmiers dans beaucoup de communautés. Les tradipraticiens se rendent en effet au domicile du patient pour offrir leurs services. Ce dernier a souvent du mal à refuser car le tradipraticien est recommandé par un membre influent de sa famille ou offre une première consultation gratuite ou à crédit.

Le traitement mis en œuvre par un tradipraticien peut parfois entraîner des lésions physiques, mais sa conséquence la plus grave est sans doute qu’il retarde le moment où le patient recevra un traitement médical approprié. Trop souvent, ce retard entraîne la frustration du personnel médical, le chagrin de la famille et une cécité irréversible pour le patient.

Comment encourager les patients à consulter le plus tôt possible ?

Je pense que la solution est de sensibiliser la population, en insistant sur la phase initiale asymptomatique de la maladie. Il faut aussi encourager les personnes à risque à faire un bilan de santé, soit les parents au premier degré de personnes présentant une cécité ou un glaucome, les myopes, les personnes sous traitement stéroïde au long cours et tout individu de plus de 40 ans présentant un diabète, de l’hypertension ou un antécédent de traumatisme oculaire.

La radio et la télévision peuvent avoir un impact très important. Chaque fois que nous mentionnons une maladie oculaire au cours d’une émission de télévision ou de radio, le lendemain nous sommes inondés de patients qui souhaitent être testés pour cette maladie ou pensent en être atteints. Si elles ont lieu à intervalles suffisamment réguliers, ces émissions nous permettront de sensibiliser de plus en plus de personnes au sein de la communauté et, à terme, de réduire l’ignorance au sujet du glaucome.

Dans votre région, quel est le type de traitement qui convient le mieux : médical ou chirurgical ?

Pour nos patients, le coût des collyres constitue un obstacle majeur à l’observance du traitement. Un mois de traitement par les médicaments les plus efficaces coûte plus cher qu’un mois de salaire minimum dans notre pays. Bien que des médicaments génériques soient commercialisés, ils ne sont pas vraiment disponibles ici.

Nous recommandons généralement le traitement chirurgical car il a l’avantage d’être une intervention ponctuelle. Lorsque l’opération est une réussite, elle stabilise la pression oculaire pendant un long moment. Toutefois, la chirurgie présente aussi des inconvénients, puisque le taux d’échec de la filtration est élevé chez les patients africains. Il est donc important d’effectuer un suivi régulier. Un autre problème est que certains médecins hésitent à opérer les patients présentant un glaucome avancé, car ces derniers risquent de perdre le peu de vision qu’il leur reste. Si un patient perd sa vision résiduelle à la suite d’une opération, il attribuera sa perte de vision à l’intervention chirurgicale plutôt qu’à l’état d’avancement de son glaucome. Ce type de situation risque de donner mauvaise réputation au médecin et à l’hôpital et de faire fuir les patients.

Lorsqu’il est disponible, le traitement au laser est une bonne option. Il est non invasif, permet un contrôle raisonnable de la maladie pendant une longue durée et peut être renouvelé si nécessaire. Depuis quelque temps, nous proposons à nos patients une cyclo photo-ablation au laser diode (l’un des traitements au laser disponibles pour lutter contre le glaucome) et ces derniers l’acceptent de mieux en mieux comme l’alternative à une intervention chirurgicale ou un traitement par collyre. Parmi le groupe de patients que nous avons suivi, ce traitement a produit jusqu’à présent de bons résultats.

Est-il difficile de faire en sorte que les patients reviennent pour leur traitement et leurs visites de suivi ?

La grande distance entre le domicile des patients et l’hôpital contribue à décourager ces derniers de se rendre à une consultation. Pour surmonter cet obstacle, l’une des solutions serait de mettre en place dans la communauté des centres de stratégie avancée où le personnel infirmier et autre pourrait identifier le glaucome et envoyer les patients concernés dans le service d’ophtalmologie le plus proche.

Lorsque nous avons interrogé les patients sur les raisons pour lesquelles ils ne s’étaient pas rendus à leurs visites de suivi, beaucoup d’entre eux ont invoqué le manque de sollicitude du personnel de santé. Ils se sont également plaints qu’il faille attendre longtemps en salle d’attente, que le personnel de l’hôpital n’arrive pas toujours à trouver leur dossier et que certains patients sautent la queue ou semblent bénéficier d’un passe-droit.

Comment pourrions nous améliorer le vécu des patients ?

Nous devons faire en sorte que les centres de soins soient bien organisés et que les patients soient pris en charge dans l’ordre d’arrivée. Il nous faut également améliorer la tenue des dossiers et nos systèmes d’archivage, ainsi que réduire les temps d’attente (voir Revue de santé oculaire communautaire vol.9 nº 11, 2012).

Nous devons améliorer la façon dont nous communiquons avec les patients. Certains patients traités à l’hôpital ne savent même pas pour quelle maladie ils sont pris en charge. Le personnel de santé doit les informer de leur diagnostic et leur expliquer ce qu’est le glaucome et son impact sur leur vision et leur vie de tous les jours. Il faut aussi discuter des options thérapeutiques avec le patient.

Nous devons également agir sur les autres obstacles au traitement, comme le manque d’accès aux centres de soins, la grande distance entre ces centres et le domicile du patient, ainsi que la disponibilité et le coût des médicaments.

Lorsque les patients ont les moyens d’acheter le collyre, quels sont les défis à surmonter ?

Les patients abandonnent parfois leur traitement parce que le collyre n’améliore pas leur vision et ils n’ont pas d’autre symptôme à soulager. Ils ne sont donc pas motivés pour continuer le traitement. Par ailleurs, même chez les patients qui utilisent leur médicament comme il faut, la vision peut parfois se détériorer. Lorsque ceci se produit, les patients ont le sentiment que le traitement a échoué. Ils vont alors consulter un tradipraticien plutôt que de revenir à l’hôpital pour discuter des autres traitements possibles, comme la chirurgie.

Les tradipraticiens ont souvent le droit de faire de la publicité à la télévision et sur les radios locales et ils encouragent activement les patients à abandonner leur traitement. Lorsque les patients reviennent nous voir à l’hôpital, après avoir essayé les traitements traditionnels et été déçus par leurs résultats, ils présentent alors une cécité irréversible, sans perception lumineuse. Ils nous reviennent déprimés, ruinés et prêts à tout pour retrouver la vue.

Que peuvent faire les spécialistes de l’ophtalmologie pour améliorer la situation ?

Pour faire en sorte que les patients continuent leur traitement, nous devons bien leur expliquer ce qui suit :

  1. Leur vision peut ne pas s’améliorer même lorsque le traitement est efficace.
  2. Leur vision peut se détériorer légèrement avec le temps même lorsqu’ils sont sous traitement, car ce dernier ne guérit pas le glaucome mais retarde son évolution vers la cécité aussi longtemps que possible.
  3. Les patients doivent continuer leur traitement même si l’œil est complètement aveugle. Ceci empêchera que l’œil aveugle ne devienne douloureux ou ne se décolore sous l’effet d’une décompensation cornéenne.

Il est important de mettre en œuvre des stratégies pour motiver le patient et faire en sorte qu’il prenne en main son traitement et s’engage à changer son comportement pour mieux tenir en échec son glaucome.

À cette fin, nous envisageons de mettre en place des entretiens pour motiver les patients, qui seront administrés par des psychologues formés.

Ce que doit savoir le personnel non clinique

Susan Lewallen

Codirectrice, Kilimanjaro Centre for Community Ophthalmology (KCCO), Tanzanie. www.kcco.net

La maîtrise de quelques notions simples sur le glaucome primaire à angle ouvert (GPAO) permettra au personnel non clinique de votre service de soins d’être au diapason avec le personnel clinique et de mieux comprendre le vécu des patients.

En particulier, il est utile que ce personnel comprenne la différence entre le glaucome et la cataracte (voir aussi page 23) :

  • Il existe différents types de glaucome, donc le diagnostic et le traitement sont plus complexes que dans le cas de la cataracte.
  • Les personnes atteintes de GPAO n’en ont souvent pas conscience avant que leur perte de vision ne soit importante.
  • La perte visuelle causée par le glaucome est irréversible. Le but du traitement est de stopper ou ralentir la perte de vision.
  • La perte de vision due au glaucome étant irréversible, il est donc crucial de détecter la maladie à un stade précoce.
  • Il peut être difficile de diagnostiquer précisément un GPAO dans les premiers stades de la maladie, même pour un ophtalmologiste très expérimenté.
  • Le glaucome peut être traité entre autres par une intervention chirurgicale ou par l’instillation régulière d’un collyre.
  • Si le patient suit un traitement par collyre, il devra l’instiller régulièrement et pour le restant de ses jours.
  • Une intervention chirurgicale ne rendra pas la vue au patient. Elle stoppera ou ralentira la perte de vision.
  • Le traitement chirurgical du glaucome nécessite un suivi postopératoire plus rapproché qu’une opération de la cataracte.
  • L’abréviation « PIO » dans le dossier du patient désigne la pression intraoculaire.
  • La PIO est importante dans le diagnostic et la prise en charge du glaucome, car le but du traitement est l’abaissement de la PIO.
  • Le GPAO est une maladie chronique, comme l’hypertension ou le diabète. Les patients devront être suivis par l’équipe de soins pour le restant de leurs jours. Il est donc important de consigner avec soin les données et de tenir des dossiers impeccables.