RSOC Vol. 13 No. 17 2016 pp 31-33. Publié en ligne 31 mars 2017.

Prévenir la perte visuelle due à la rétinopathie diabétique proliférante

Nicholas Beare

Ophtalmologiste chef de service, St Paul’s Eye Unit, Royal Liverpool Hospital, Liverpool, Royaume-Uni


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Le dépistage photographique des affections oculaires liées au diabète permet d’identifier les patients pour qui le traitement au laser sera bénéfique. BOTSWANA       © Peter Blows
Le dépistage photographique des affections oculaires liées au diabète permet d’identifier les patients pour qui le traitement au laser sera bénéfique. BOTSWANA © Peter Blows

Les recommandations cliniques suivantes, concernant la photocoagulation au laser, les injections d’anti-VEGF et la vitrectomie, vous aideront à prévenir la perte de vision liée à la rétinopathie diabétique proliférante.

Pour prévenir la perte de vision due à la rétinopathie diabétique (RD) proliférante, il y a deux éléments-clefs :

  1. Identifiez les bons candidats au traitement par photocoagulation pan-rétinienne (PPR). La PPR est la destruction de la rétine périphérique par photocoagulation au laser, en appliquant un minimum de 2 000 impacts.
  2. Lorsque les patients présentent déjà des néovaisseaux, réalisez une PPR avec un nombre d’impacts suffisant et, si la réponse à ce traitement est inadéquate, continuez la PPR avec de plus en plus d’impacts.

Quand traiter par photocoagulation au laser?

Lorsqu’un patient présente clairement une néovascularisation au niveau de la papille (NVP) ou ailleurs sur la rétine, ou présente une hémorragie intravitréenne associée à une néovascularisation, la décision est simple : le traitement par photocoagulation pan-rétinienne s’impose. Ces caractéristiques sont considérées « à haut risque » parce que le patient présente alors un risque élevé de perte visuelle dans les années à venir.

Le traitement de patients dont la RD est moins avancée présente également des avantages. L’Étude sur le traitement précoce de la rétinopathie diabétique (Early Treatment in Diabetic Retinopathy Study ou ETDRS, voir Glossaire à la page 33) a montré que la PPR pouvait empêcher ces patients d’atteindre un stade de RD à haut risque. Dans un contexte aux ressources très limitées, où le suivi des patients risque d’être irrégulier et où les patients ne pourront se rendre régulièrement à leurs rendez-vous, le traitement de patients dont la RD est moins avancée empêchera cette dernière de s’aggraver.

Le seuil établi par l’ETDRS pour l’indication du traitement par laser est connu sous le nom de règle du « 4, 2, 1 » (voir encadré à la page 32) et identifie les RD pré-proliférantes sévères. Les patients présentant une RD ayant atteint ce stade (ou une RD plus grave encore) doivent recevoir un traitement au laser.

Conseils pour réussir le traitement au laser

Avant de commencer, il est important de s’assurer que le patient sait à quoi il peut s’attendre et comprend le but du traitement et ses effets secondaires potentiels. Il faut notamment souligner que le traitement au laser sert à prévenir une perte visuelle ultérieure et n’a pas pour but d’améliorer la vision actuelle du patient. Au début de la séance de traitement, dosez l’intensité de l’impact du faisceau laser et ajustez la puissance du laser de façon à obtenir une coagulation qui ne soit ni trop intense ni trop blanche.

Rappel : si vous doublez la durée ou la puissance, la fluente sera multipliée par deux (la fluence représente l’énergie délivrée par le tir laser par millimètre carré) ; alors que si vous divisez par deux le diamètre du spot, la fluente sera multipliée par quatre.

Figure 1. Image en grand champ du fond d’oeil montrant une photocoagulation pan-rétinienne et une photocoagulation maculaire (particulièrement visible dans la partie temporale de la macula). Il est possible de continuer la photocoagulation pan-rétinienne juste après le bord nasal de la papille.  © Nicholas Beare
Figure 1. Image en grand champ du fond d’oeil montrant une photocoagulation pan-rétinienne et une photocoagulation maculaire (particulièrement visible dans la partie temporale de la macula). Il est possible de continuer la photocoagulation pan-rétinienne juste après le bord nasal de la papille. © Nicholas Beare

De nos jours, la taille du spot est inférieure à ce qu’elle était du temps de l’étude EDTRS ; la taille de spot standard est 200 μm. La durée de chaque tir est également plus courte ; je recommande une durée de 20 millisecondes. Ceci diminue la lésion due au faisceau laser et, avec une durée courte, vous n’aurez pas à craindre d’endommager les vaisseaux rétiniens. Je commence généralement par une puissance de 200 mW si le cristallin est transparent. Si le patient présente une opacité du cristallin, il faut augmenter la puissance : augmentez celle-ci par paliers de 50 mW jusqu’à obtenir une coagulation visible. Si la puissance est trop forte (la coagulation paraîtra alors blanche avec un bord très net), alors diminuez-la par paliers de 25 mW (Figure 1). La rétine centrale est plus épaisse que la rétine périphérique, donc si vous commencez par le centre il vous faudra ensuite diminuer la puissance lorsque vous traiterez une zone de rétine plus en périphérie.

Très souvent, l’on ne traite pas suffisamment le quadrant temporal; celui-ci est une zone d’ischémie importante, car il constitue une ligne de démarcation entre les arcades vasculaires. Il faut amener le faisceau laser jusqu’au bord temporal de la macula, à environ deux diamètres papillaires du centre de la fovéa. Il peut être utile de délimiter cette frontière avec des impacts au niveau temporal et de s’éloigner ensuite progressivement vers la périphérie, afin d’éviter un impact maculaire accidentel ou, pire encore, une brûlure fovéolaire. Le clinicien doit à tout moment savoir où se situe la macula.

À noter : si, au cours la séance de traitement, vous n’obtenez plus de coagulations visibles alors que vous n’avez pas changé la fluence, ceci s’explique généralement par un problème de focalisation ou une perte de gel de couplage dans la lentille de contact. Faites une pause, enlevez la lentille, remplissez-la de gel de couplage, puis continuez la séance.

Pour traiter une rétinopathie diabétique pré-proliférante, 2000 à 3000 impacts sont généralement suffisants, particulièrement si vous êtes relativement sûr(e) que le patient reviendra pour un examen de suivi et une nouvelle séance de traitement si nécessaire. En cas de RD proliférante, il vous faudra éventuellement effectuer plus d’impacts.

Rappelez les patients pour une consultation de suivi dans les 3 à 6 mois qui suivent, pour vérifier s’il y a eu ou non régression des néovaisseaux. S’il n’y a eu aucune régression, un traitement supplémentaire est nécessaire. Dans ce cas de figure, appliquez les nouveaux impacts entre les impacts réalisés durant le traitement précédent, à une distance maximale de 500 μm du bord nasal de la papille et en demeurant au sein des arcades, en effectuant deux à trois rangées d’impacts et en vous aventurant aussi loin que possible à la périphérie de la rétine que le permet votre lentille. Il peut s’avérer nécessaire de réaliser environ 5000 impacts.

Le tissu blanc fibroglial ne disparaîtra pas, mais votre but est d’obtenir une régression de la composante vasculaire. Toutefois, plus les néovaisseaux seront établis de longue date (souvent en association avec du tissu glial), plus il sera difficile de les faire régresser complètement. Une régression incomplète est acceptable du moment que la situation est stable et que le nombre d’impacts appliqués vous semble raisonnable.

En cas d’hémorragie intravitréenne, il est important d’appliquer la sonde laser autant que possible, aussi vite que possible, tant que vous bénéficiez d’une certaine visibilité. Il se peut qu’il se produise d’abord une petite hémorragie intravitréenne, laissant un créneau d’intervention thérapeutique au laser, avant la survenue d’une hémorragie intravitréenne plus importante qui mettra fin à toute visibilité et empêchera ainsi tout traitement au laser. Lorsque vous êtes face à une hémorragie intravitréenne peu importante, il faut traiter au laser de toute urgence, car l’effet d’une hémorragie ultérieure plus importante sera beaucoup moins défavorable si la DR a été traitée avant la survenue de cette hémorragie ultérieure.

Complications et effets secondaires de la photocoagulation pan-rétinienne (PPR)

La PPR sacrifie inévitablement une partie de la rétine périphérique, mais dans la plupart des cas ceci n’a aucun effet sur la vision du patient. Dans environ 10 % des cas, les patients remarquent un rétrécissement de leur champ visuel ou une diminution de leur vision nocturne.

L’effet de la PPR sur la vision nocturne peut être perçu plus fréquemment dans les pays à faible revenu, où la vision de nuit est essentielle. Plus vous continuez les séances de PPR, plus ce problème se fera sentir et il se peut que la capacité à conduire du patient finisse par être affectée. Il faut accepter ce compromis si l’on veut préserver ne serait-ce qu’un tant soit peu de vision.

Il est possible qu’une brûlure fovéolaire se produise durant le traitement au laser, mais ceci ne devrait pas arriver si l’opérateur vérifie à tout moment l’emplacement de la macula et ne fait passer l’équipement de la position « veille » à la position « traitement » que lorsqu’il est prêt à appliquer le faisceau laser.

Une séance de PPR agressive ou étendue peut entraîner un oedème maculaire. L’aggravation de la vision qui en résulte peut entamer la confiance du patient dans le traitement. Pour éviter cette situation, il faut (si possible) réaliser la PPR en deux séances d’environ 1500 impacts chacune. Si nécessaire, une photocoagulation maculaire doit être réalisée avant la PPR, ou du moins en même temps que la première séance de PPR si la PPR est urgente.

Rôle des anti-VEGF dans la prise en charge de la RD proliférante

Les injections intravitréennes d’anti-VEGF tels le bevacizumab (Avastin) permettent uniquement de gagner du temps en attendant de pouvoir administrer un traitement plus définitif. Dans un cas de figure particulier, lorsqu’une ischémie grave a entraîné un glaucome néovasculaire, ces injections peuvent toutefois entraîner des bénéfices : une injection de bevacizumab peut entraîner la régression des néovaisseaux, réduire la pression intraoculaire, améliorer la dilatation pupillaire et permettre l’application de la sonde laser. Le bevacizumab peut aussi être utilisé juste avant une vitrectomie pour réduire les saignements durant l’intervention et donc faciliter cette dernière sur le plan technique. Il faut noter toutefois que, si vous ne commencez pas le traitement laser définitif dans le mois qui suit, la néovascularisation risque de reprendre de manière beaucoup plus agressive.

Traitement chirurgical en cas de RD proliférante

L’accès aux interventions de vitrectomie est limité, particulièrement en Afrique subsaharienne. Un traitement au laser précoce devrait permettre de limiter les circonstances dans lesquelles une vitrectomie sera nécessaire ; il est toutefois inévitable que certains patients consultent à un stade tardif, notamment lorsqu’une hémorragie intravitréenne aura entraîné une perte de vision soudaine. Ce cas de figure est l’indication la plus fréquente d’une vitrectomie en cas de RD. S’il est possible de visualiser au moins partiellement le fond d’oeil, une PPR est indiquée. Si vous ne parvenez pas du tout à visualiser le fond d’oeil, il y a deux cas de figure : soit le L’accès aux interventions de vitrectomie est limité, particulièrement en Afrique subsaharienne. Un traitement au laser précoce devrait permettre de limiter les circonstances dans lesquelles une vitrectomie sera nécessaire ; il est toutefois inévitable que certains patients consultent à un stade tardif, notamment lorsqu’une hémorragie intravitréenne aura entraîné une perte de vision soudaine. Ce cas de figure est l’indication la plus fréquente d’une vitrectomie en cas de RD. S’il est possible de visualiser au moins partiellement le fond d’oeil, une PPR est indiquée. Si vous ne parvenez pas du tout à visualiser le fond d’oeil, il y a deux cas de figure : soit le patient a subi une PPR auparavant, soit il n’a jamais subi de PPR. Si le patient a auparavant subi une PPR complète, alors vous pouvez vous permettre d’attendre ; l’hémorragie va généralement se résorber. Il se peut que vous observiez une traction sur un néovaisseau non résorbé, mais vous ne devriez pas constater une progression active de la néovascularisation. Par contre, si le patient n’a jamais subi de PPR, la maladie évolue activement derrière l’hémorragie. Dans ce cas, si c’est possible, une vitrectomie précoce est indiquée, en général avec injection d’anti-VEGF juste avant l’intervention. Si une vitrectomie s’avère impossible, alors suivez l’évolution et traitez les zones visibles au laser dès que l’hémorragie se résorbe quelque peu.

Une vitrectomie est également indiquée en cas de RD proliférante lorsqu’un décollement de rétine par traction progressif affecte la macula. L’intervention chirurgicale n’est pas requise si le décollement de rétine par traction affecte une autre zone de la rétine. Malheureusement l’issue en est souvent mauvaise en raison de l’accumulation des atteintes à la fonction rétinienne, y compris une maculopathie ischémique.

La règle du « 4, 2, 1 » pour identifier une rétinopathie pré-proliférante

Cette règle est la suivante :

  • 4 : Présence d’hémorragies rétiniennes et microanévrysmes étendus dans les 4 quadrants du fond d’oeil ou
  • 2 : Présence de chapelets veineux dans 2 quadrants ou
  • 1 : Présence d’anomalies microvasculaires intrarétiniennes (AMIR) dans 1 quadrant.

Ces signes sont tous des signes d’ischémie rétinienne, qui conduira à terme à l’apparition de nouveaux vaisseaux, qui eux-mêmes entraîneront un décollement de rétine par traction, une hémorragie intravitréenne et une perte visuelle.

Quand peut-on considérer comme « étendus » les hémorragies et microanévrysmes?

Rétinopathie pré proliférante sévère  © Fundus Photograph Reading Centre, University of Wisconsin
Rétinopathie pré proliférante sévère © Fundus Photograph Reading Centre, University of Wisconsin

L’étude ETDRS faisait référence à des photographies standard (voir Figure 2 ci-contre), mais si celles-ci ne sont pas disponibles vous pouvez utiliser la règle empirique suivante : considérez que les hémorragies et microanévrysmes sont étendus si, avec une lentille de 90D, vous observez cinq ou plus hémorragies et microanévrysmes dans une fente de 1 mm de large, quel que soit l’emplacement de la fente dans le quadrant.

Les «chapelets veineux» sont des dilatations et constrictions irrégulières des veinules rétiniennes, donnant à ces dernières l’apparence d’un chapelet.

Les anomalies microvasculaires intrarétiniennes (AMIR) sont des ramifications vasculaires anormales au sein de larétine. L’étude ETDRS a utilisé des photographies standard pour déterminer l’étendue d’AMIR pouvant être considérée comme significative ; toutefois, dans le contexte d’un pays à revenu faible ou intermédiaire où le suivi des patients risque de ne pas être fiable, toute présence certaine d’AMIR justifie un traitement au laser.

Les nodules cotonneux sont également un signe d’ischémie rétinienne et apparaissent généralement à la frontière entre zones rétiniennes bien irriguées et zones mal irriguées. Bien qu’elle ne fasse pas partie des critères déterminant le seuil d’indication de traitement au laser, la présence de nodules cotonneux est importante pour évaluer l’ischémie rétinienne, particulièrement en l’absence d’angiographie fluorescéinique, et peut faire pencher la balance en faveur du traitement au laser.

N’oubliez pas que ces signes tendent habituellement à apparaître ensemble : en cas de nodules cotonneux ou d’hémorragies ou microanévrysmes étendus, recherchez attentivement la présence d’AMIR ou de chapelets veineux.

Glossaire

ETDRS ou Étude sur le traitement précoce de la rétinopathie diabétique L’abréviation vient de la traduction en anglais, « Early Treatment in Diabetic Retinopathy Study ». Cette étude a produit plus de 20 publications, dont vous trouverez la liste à l’adresse suivante : https://clinicaltrials.gov/ct2/ show/study/NCT00000151

L’ETDRS et l’étude qui l’a précédée, « Diabetic Retinopathy Study » (Étude sur la rétinopathie diabétique), sont résumées dans les chapitres 1 et 2 de l’ouvrage suivant : Clinical trials in ophthalmology, ed. PJ Kertes et MD Conway (Lippincott Williams and Wilkins : 1998).

Maculopathie diabétique La maculopathie diabétique fait partie de la rétinopathie diabétique. Une maculopathie est une atteinte de la macula, la partie de l’oeil responsable de la vision central.

OEdème maculaire cliniquement significatif (OMCS) On parle d’OMCS lorsque des fuites provenant des petits vaisseaux sanguins rétiniens entraînent un oedème maculaire (gonflement de la rétine) et des exsudats (dépôts de lipides sanguins) localisés suffisamment près de la fovéa (centre de la macula) pour affecter ou menacer la vision.

OEdème maculaire diabétique (OMD) L’oedème maculaire diabétique survient lorsque les vaisseaux sanguins proches de la macula laissent s’échapper du liquide ou des protéines sur la macula.

Photocoagulation pan-rétinienne (PPR) Il s’agit de la cautérisation au laser de la rétine périphérique, avec un minimum de 2 000 impacts.

Rétinopathie diabétique (RD) Une rétinopathie diabétique se produit lorsque des modifications de la glycémie entraînent des changements dans les vaisseaux sanguins rétiniens. Dans certains cas, les vaisseaux sanguins laissent s’échapper du liquide sur la macula, ce qui entraîne son gonflement (OMD). Dans d’autres cas, des vaisseaux sanguins anormaux se développent à la surface de la rétine (néovascularisation).

Rétinopathie diabétique proliférante Il s’agit du stade avancé de la rétinopathie diabétique. De nouveaux vaisseaux se forment sur la face interne de la rétine et dans le vitré, la masse gélatineuse qui remplit l’intérieur de l’oeil. Ces néovaisseaux sont fragiles et ont plus tendance à fuir ou à saigner. Du tissu cicatriciel se forme et est susceptible de se contracter et d’entraîner un décollement de rétine (la rétine se détache du tissu sous-jacent), qui aboutit à la cécité.