RSOC Vol. 03 No. 02 2006 pp 43 - 45. Publié en ligne 09 août 2006.

Sortir de la clinique : les différents types de stratégies avancées

Daniel Etya’ale

Coordinateur de VISION 2020 pour l’Afrique, Programme de prévention de la cécité, Organisation mondiale de la santé, 20 Avenue Appia, CH-1211, Genève 27, Suisse.

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Des patients attendent leur tour devant un centre de soins. ÉTHIOPIE. Lance Bellers
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Introduction

En faisant de l’élimination de la cécité évitable son objectif principal, VISION 2020 a introduit une révolution conceptuelle dans la planifi cation et la délivrance des soins oculaires. Ceci représente un défi pour les prestataires de services et autres parties concernées par cette initiative mondiale ; il est urgent de passer des stratégies qui ont pour but d’atteindre autant de personnes que possible à des approches qui ont pour but de créer un impact durable. Comment y parvenir dans les pays les plus pauvres du monde, où la délivrance des soins doit très souvent faire face au dysfonctionnement des infrastructures et à la limitation de l’accès aux soins et de l’utilisation des services ? Il est urgent et important de réfl échir à la façon dont on peut avoir un impact en dehors de la clinique.

Figure 1. Le caractère inéquitable du système actuel de soins oculaires, centré sur la clinique et les dispensateurs de soins
Figure 1. Le caractère inéquitable du système actuel de soins oculaires, centré sur la clinique et les dispensateurs de soins

Avoir le courage de sortir de la clinique ne suffit sans doute pas pour combler le fossé qui existe entre les prestataires de soins oculaires et les millions de personnes aveugles ou sévèrement malvoyantes qui ont besoin de leurs services dans ces zones démunies. Pour que leur effi cacité soit maximale, les stratégies avancées doivent bien comprendre et prendre en compte le caractère inéquitable de beaucoup de services de santé oculaire, particulièrement, mais pas seulement, dans les pays en développement. Comme le montre la figure 1, ceux qui ont le plus besoin de services de santé oculaire sont souvent les derniers à en profi ter ou n’y ont pas accès du tout. Cette situation peut également exister si l’on rapproche ces services de leur communauté sans prendre de mesures spécifi ques pour rechercher les personnes qui en ont le plus besoin.

Une vue d’ensemble des stratégies avancées en santé oculaire à l’heure actuelle

Le terme de « stratégie avancée », tel qu’il est utilisé aujourd’hui, recouvre tout un ensemble d’approches, parfois très différentes, qui ont toutes pour objectif d’offrir des services de soins oculaires aux personnes qui ne se rendent pas à la clinique et donc n’y auraient pas accès autrement. Le tableau 1 résume les différents types de stratégies avancées, ainsi que leurs avantages et leurs inconvénients. Il existe des variantes de chaque type et plusieurs de ces types sont parfois utilisés de front dans le même projet. Certaines stratégies dont on s’est félicité par le passé, comme les équipes de chirurgie mobiles, sont sur le déclin depuis plusieurs années ; les raisons principales sont les mauvais résultats des interventions chirurgicales, ainsi que le caractère très limité du suivi post-opératoire et des services de réfraction offerts aux patients. En dépit de ces inconvénients, les équipes chirurgicales mobiles sont encore la stratégie préférée de beaucoup d’associations caritatives offrant des opérations gratuites de la cataracte dans beaucoup d’endroits en Afrique.

Comme le montre le tableau 1, la plupart des stratégies avancées ont pour effet d’augmenter le nombre de patients à qui l’on propose une chirurgie de la cataracte. Le véritable défi , cependant, sera d’assurer la pérennité à long terme de ces stratégies, aux niveaux administratif, organisationnel et fi nancier ; jusqu’à présent, seuls quelques pays, institutions et organisations y sont parvenus.

Des patients attendent d’être opérés par une équipe mobile. KENYA.  David Yorston
Des patients attendent d’être opérés par une équipe mobile. KENYA. David Yorston

Les composantes-clés d’une bonne stratégie avancée

Qu’est-ce qui définit un bon programme de stratégie avancée ? Comment le mettre en place lorsque le besoin est justifié ? Nous ne disposons pas encore de données probantes sur ce qui constitue une bonne stratégie avancée ou sur ce qui assure sa réussite à long terme et permet sa réplication. Cependant, les leçons apprises et l’expérience acquise au fil des années semblent indiquer que les éléments suivants sont essentiels à une stratégie avancée.

Une planification minutieuse du programme et des actions à mener avant de se lancer en dehors de la clinique

La planification doit être aussi minutieuse que possible et elle doit au moins aborder les points suivants :

  • La zone d’intervention proposée : sa définition géographique et administrative, sa population-cible, les autres prestataires de soins actifs dans cette zone et les rôles spécifiques ou complémentaires qu’ils seront appelés à jouer
  • La nature et l’étendue de la stratégie avancée : est-elle une simple extension des activités cliniques et/ou chirurgicales de l’hôpital/du centre de base ? Un programme permettant de tester et d’envoyer plus de patients en chirurgie de la cataracte ? La première étape vers la mise en place de structures permanentes de santé oculaire (dans ce cas, quels sont les autres facteurs à prendre en compte à ce stade) ?
  • La capacité du service d’ophtalmologie de base à initier et à soutenir la stratégie avancée et sa capacité à supporter l’augmentation prévue de la charge de travail
  • La capacité du service de base ou de l’institution donatrice à trouver/garantir le financement de cette activité au-delà des trois ans d’espérance de vie généralement associés à la plupart des projets. Il est toujours facile de mettre en œuvre des stratégies avancées lorsqu’on dispose d’un financement généreux. Le défi consiste à continuer ce projet au-delà de la durée initialement prévue.
  • La capacité de l’équipe à communiquer et à travailler en partenariat avec la communauté. Les compétences requises pour cela sont très différentes des compétences nécessaires pour être un bon praticien en milieu clinique. À cette fin, il faut donc évaluer les membres de l’équipe de stratégie avancée et leur proposer une formation supplémentaire si nécessaire.

Participation de la communauté et appropriation

Ceci comprend l’approbation et le soutien de la communauté, sa pleine participation à tous les stades de la planification et de la mise en œuvre, une bonne compréhension du rôle et de la contribution de chaque partie concernée, ainsi qu’un accord sur la façon dont la réussite sera définie et évaluée.

Participation du gouvernement et capacité gestionnaire par les services nationaux

Ceci est particulièrement important lorsqu’il existe un programme national ou un programme de district ayant reçu l’approbation du gouvernement.

Un bon système de suivi et d’évaluation

Un tel système doit utiliser des indicateurs et des objectifs clairs, afin de superviser et de mesurer la réussite du programme dans le temps et de permettre l’amélioration de celui-ci. Il doit également prévoir une évaluation indépendante.

L’existence de mécanismes clairs permettant le dialogue, la résolution des problèmes et la coordination parmi toutes les parties prenantes

Ceci est particulièrement crucial lorsqu’il y a plus de partenaires impliqués dans la zonecible ou lorsque les parties impliquées n’ont pas beaucoup d’expérience dans la gestion des stratégies avancées.

Conclusion

Le fossé qui existe à l’heure actuelle entre les prestataires de soins oculaires et les nombreux aveugles et malvoyants ayant besoin de leurs services est inacceptable. La meilleure façon d’y remédier consisterait à mettre en place des structures et des services de santé oculaire à caractère permanent. En attendant, étant donné le dysfonctionnement des systèmes de santé oculaire dans beaucoup de régions pauvres du monde, il faudra continuer à faire appel à d’autres types de stratégies avancées, probablement pour de longues années encore. Les stratégies avancées ne sont toutefois pas une panacée. Seulement un très petit nombre d’entre elles ont réussi à durer plus de cinq ans. Beaucoup de stratégies considérées au départ comme des « succès » se sont avérées des échecs à long terme et la plupart des programmes « modèles » se sont avérés difficile à reproduire dans des contextes différents ; les raisons ne sont pas encore claires. En faisant un meilleur usage de ces stratégies avancées, tout en étudiant leur fonctionnement, il est possible d’espérer que nos actions futures seront plus performantes et que les programmes auront plus d’impact sur la santé oculaire des communautés auxquels ils s’adressent.

Tableau 1. Résumé des stratégies avancées qui existent à l’heure actuelle en santé oculaire

Type de stratégie avancée Principaux objectifs et stratégies Forces/Avantages Principaux inconvénients Potentiel de pérennité
A. Équipe de chirurgie mobile
  • Proposer un dépistage et une chirurgie de la cataracte sur place, à autant de personnes que possible
  • Laisser une équipe pour un suivi limité dans le temps
  • Les services proposés sont souvent gratuits ou très peu chers
  • C’est un moyen rapide et parfois le seul moyen d’offrir une chirurgie de la cataracte à beaucoup de gens qui en ont besoin
  • Difficile à bien organiser
  • Les chiffres importants peuvent masquer une mauvaise qualité de soins
  • Le suivi se limite souvent à quelques jours
  • En raison de la gratuité de ses services, risque d’affaiblir plus avant un centre de santé oculaire situé à proximité ou de retarder l’établissement d’un centre permanent dans la région
  • Généralement faible, sauf lorsqu’on est assuré d’un soutien et d’un engagement à long terme au niveau local
  • Souvent dépendant du soutien des donateurs
B. Équipe de dépistage mobile
  • Dépistage et envoi/ transport des patients à l’hôpital de base pour une chirurgie de la cataracte
  • Prescription et fourniture de verres correcteurs pour les défauts de réfraction
  • Détection/traitement d’autres affections oculaires
  • Offre l’opportunité d’apporter des soins oculaires de base, gratuitement ou à faible coût, à ceux qui en ont le plus besoin ou dans les zones mal desservies
  • Permet d’augmenter rapidement le taux de chirurgie de la cataracte
  • Facilite la détection précoce
  • Inconvénients semblables à ceux de (A)
  • N’est pas assez sophistiquée pour évaluer et traiter complètement les personnes présentant un glaucome ou une rétinopathie diabétique
  • Coûte cher et est difficile à maintenir sans l’engagement à long terme des donateurs
  • Faible, pour les mêmes raisons que (A)
  • Pourrait être un moyen d’étendre ou de renforcer les centres de santé existants ou être la première étape dans la mise en place de structures plus permanentes
C. Clinique de santé oculaire mobile
  • Une variante atténuée de (B), souvent organisée et gérée comme un service de consultation externe du service d’ophtalmologie de base
  • Moyen rapide d’apporter des soins oculaires de base, gratuitement ou à faible coût, aux communautés qui en ont le plus besoin
  • Souvent, trop de patients sont examinés de façon superficielle
  • La qualité des soins n’est pas toujours garantie
  • En cas de manque de personnel, aura un impact négatif sur la continuation des services à l’hôpital de base
  • Le même que ci-dessus
D. Stratégie qui utilise/travaille avec la Réhabilitation à base communautaire (RBC) ou d’autres programmes à base communautaire
  • Utilisation d’un programme de RBC existant pour offrir des soins oculaires primaires, effectuer un dépistage, une évaluation et organiser le transfert des patients
  • Lorsqu’il n’existe pas de RBC, faire appel aux personnes qui travaillent dans la communauté avec l’accord de celle-ci, par exemple les détecteurs de cataracte ou autres agents de santé
  • Excellent moyen pour améliorer rapidement l’accès aux services de santé oculaire ou pour maximiser leur utilisation
  • Une des meilleures stratégies pour dépister précocement les enfants aveugles ou souffrant d’une malvoyance grave et les envoyer dans un centre spécialisé
  • Un des meilleurs moyens pour atteindre les aveugles par cataracte qui font preuve de réticence
  • Nécessite une très bonne organisation et une coordination très importante entre le programme de RBC et le centre de santé oculaire de base
  • Le fonctionnement est assez coûteux, surtout lorsque l’appropriation communautaire ou le partage des coûts sont minimaux et lorsqu’on rémunère les agents communautaires pour obtenir des résultats
  • Incertain lorsque la communauté est un bénéficiaire passif de ces services et/ou la plupart des frais de fonctionnement sont pris en charge par des donateurs
  • Bon ou excellent, lorsqu’on parvient à établir délibérément une vraie appropriation par la communauté ou lorsqu’on introduit dès le départ une forme de partage des coûts
E. Création de centres de santé oculaires stratégiquement situés dans les zones qui en ont le plus besoin
  • Dans ce cas, on donne la priorité à la mise en place de structures permanentes de soins oculaires primaires et secondaires, dans le but d’améliorer la couverture géographique et l’accès aux soins
  • Sans doute la meilleure stratégie à long terme pour apporter des services complets de santé oculaire dans une région/zone ciblée, améliorer l’accès aux soins et assurer leur continuité
  • Prend le temps et offre l’opportunité à d’autres parties prenantes (y compris la communauté) de participer au processus de planification
  • La planification et la mise en œuvre prennent plus de temps, ce qui peut ne pas plaire à ceux qui cherchent des solutions rapides
  • Stratégie désastreuse lorsqu’on ne prend pas en compte la réalité sur le terrain : structures de santé oculaire existantes, politiques et pratiques de partage des coûts, rivalités locales, etc.
Bon ou excellent, en particulier :

  • Lorsqu’on a planifié et mis en œuvre le projet en partenariat avec la communauté
  • Lorsqu’on le combine avec d’autres stratégies pour rechercher activement les patients les plus nécessiteux et les plus difficiles à atteindre