RSOC Vol. 06 No. 07 2009 pp 03 - 05. Publié en ligne 01 janvier 2009.

Complications : prévenir, mais aussi prendre en charge

David Yorston

Ophtalmologiste, chef de clinique, Tennent Institute of Ophthalmology, Gartnavel Hospital, 1053 Great Western Road, Glasgow G12 0YN, Royaume-Uni.

Related content
Opération de la cataracte. ÉTHIOPIE. © Lance Bellers/ICEH
Opération de la cataracte. ÉTHIOPIE. © Lance Bellers/ICEH

Grâce à de nombreuses études réalisées en population générale, nous savons qu’un grand nombre d’opérations de la cataracte aboutissent à un mauvais résultat visuel (soit une acuité visuelle inférieure à 1/10).

Les mauvais résultats sont source de détresse et de déception pour les patients. Ils ont également un effet négatif sur la réputation de l’équipe chirurgicale et du centre de santé ou service d’ophtalmologie. Ils peuvent aussi affecter la durabilité des services, car ils dissuadent les autres candidats potentiels à la chirurgie de la cataracte et rendent les patients encore plus réticents à contribuer une participation financière au coût des services de cataracte.

De manière générale, nous pouvons répartir en trois groupes les causes des mauvais résultats visuels à l’issue de la cataracte :

  • Correction inadaptée de l’amétropie postopératoire (manque de lunettes) ; la popularité croissante des lentilles intraoculaires commence toutefois à diminuer le nombre de patients souffrant de cécité fonctionnelle parce qu’ils ne peuvent obtenir des lunettes d’aphaque.
  • Incapacité à détecter les affections oculaires préexistantes (mauvaise sélection des candidats à la chirurgie) ; un examen préopératoire minutieux devrait permettre d’améliorer la sélection et de diminuer le nombre de mauvais résultats dus à une affection concomitante.
  • Complications opératoires. Bien que nous disposions de données sur le Bangladesh1, le Kenya2 et le Pakistan3 (voir Tableau 1, page 2), nous n’avons pas actuellement de données globales sur l’importance respective de ces trois types de causes dans les pays en développement. Au bas mot, nous estimons qu’au moins 25 % (soit 1,5 million) des six millions d’opérations de la cataracte réalisées chaque année dans les pays en développement aboutissent à un mauvais résultat visuel. Environ un quart de ces mauvais résultats sont dus à des complications opératoires. Par conséquent, plus de 375 000 personnes par an se retrouvent avec une déficience visuelle permanente à la suite de complications opératoires. Ceci signifie que les complications opératoires et les complications de la cataracte en général constituent un obstacle de taille au succès de tout programme de lutte contre la cécité.

Les complications opératoires peuvent, dans une certaine mesure, être évitées en observant de bonnes pratiques et techniques chirurgicales. Cependant, tout chirurgien oculaire, quelle que soit son expérience, se retrouvera tôt ou tard face à une complication sérieuse d’une opération de la cataracte. Lorsque se produit une complication, il est absolument crucial de la prendre en charge correctement pour diminuer le risque de mauvais résultat visuel pour le patient. La prise en charge des complications, tout autant que leur prévention, est donc cruciale à la réussite de VISION 2020.

Toute l’équipe doit connaître les protocoles de prise en charge des complications. LIBERIA. © Joseph Kerkula
Toute l’équipe doit connaître les protocoles de prise en charge des complications. LIBERIA. © Joseph Kerkula

Les complications importantes

Durant, ou juste après, l’intervention, beaucoup de choses peuvent ne pas se dérouler comme prévu. La suite de ce numéro, faute de place, aborde la prévention et la prise en charge des complications qui sont considérées comme importantes.

Qu’est-ce qu’une complication importante ? Certaines complications sont courantes, mais elles ont un impact relativement mineur. D’autres sont rares, mais ont un effet accablant sur le résultat visuel. Les articles suivants se concentrent essentiellement sur la rupture capsulaire avec issue de vitré (une complication relativement courante et potentiellement grave) et sur l’endophtalmie (rare, mais au pronostic accablant).

Quelle est l’importance de la rupture capsulaire et de l’issue de vitré ? Au Royaume-Uni, même dans les centres hospitaliers universitaires bien équipés, une issue de vitré multiplie par quatre le risque de mauvais résultat visuel4. Dans un bloc opératoire sans vitréotome, le risque de mauvais résultat visuel sera très vraisemblablement encore plus élevé. Toutefois, le résultat visuel n’est pas toujours mauvais lorsque cette complication se produit. Si elle est bien prise en charge, les patients peuvent conserver une excellente vision (voir article page 11).

Dans les pays à revenus élevés, l’incidence de la rupture capsulaire avec issue de vitré semble diminuer et elle se situe maintenant entre 1 et 2 %. Cette amélioration est peutêtre liée à la pratique de la phacoémulsification et au fait que le traitement est de plus en plus précoce (la grande majorité des cataractes sont extraites avant qu’elles ne deviennent des cataractes mûres). Dans les pays à faibles et moyens revenus, toutefois, l’incidence de la rupture capsulaire avec issue de vitré semble plus élevée5. Ceci s’explique probablement par la plus grande complexité des opérations de la cataracte dans les pays en développement, plutôt que par des faiblesses relatives à la formation ou à l’expertise du personnel, ou aux équipements utilisés.

La survenue d’une issue de vitré augmente également le risque d’endophtalmie, qui est la complication la plus redoutée en chirurgie intraoculaire. L’incidence de l’endophtalmie est variable. Des études menées en Europe l’estiment à 0,14 %6. En Inde, dans les hôpitaux Aravind spécialisés en ophtalmologie, l’incidence de l’endophtalmie est d’environ 0,05 %7.

Les causes de l’endophtalmie connaissent des variations géographiques. Dans la plupart des études menées en Europe, le staphylocoque blanc (Staphylococcus epidermidis ) est l’organisme infectieux le plus couramment identifié. Cette bactérie, qui se trouve normalement à la surface de la peau des paupières et de la conjonctive, pénètre dans l’ œil durant l’intervention chirurgicale. En Inde du Sud, toutefois, ce sont les endophtalmies à Nocardia qui sont les plus courantes. Lorsque l’endophtalmie se déclare, le pronostic est très mauvais. Selon une étude menée au Royaume-Uni, parmi les patients ayant subi cette complication, un tiers ont obtenu une acuité visuelle (AV) finale inférieure à 1/10 et 13 % ont perdu toute perception lumineuse6. Dans les hôpitaux Aravind, 65 % des yeux ayant subi cette complication présentaient une AV <1/107. Ces chiffres montrent cependant que le pronostic après une endophtalmie n’est en aucun cas sans espoir.

Prévenir les complications

Nous savons que certains yeux sont, plus que d’autres, exposés au risque de complications (voir article page 6). Par conséquent, il est très important de dépister ces affections « à risque » avant de se lancer dans une intervention chirurgicale. Par exemple, les yeux présentant une dystrophie endothéliale (telle une dystrophie endo-épithéliale de Fuchs ou une dystrophie cornéenne), une pseudoexfoliation capsulaire, une cataracte mûre, ou une forte amétropie (myopie ou hypermétropie >6 dioptries), seront plus exposés aux complications que les yeux ne présentant aucune de ces caractéristiques. Il existe des systèmes simples de notation qui permettent de répartir les patients en trois groupes, selon qu’ils présentent un risque de complications faible, moyen ou élevé8.

Il est très important de recueillir les données qui vous permettront d’identifier les patients à risque et de suivre leur prise en charge avant et après l’intervention. Même si l’incidence de complications est faible dans votre service, recueillir des données à intervalles réguliers vous permettra d’identifier les patients « à haut risque » et de confirmer qu’ils sont pris en charge de façon adéquate. Des études ont montré que la surveillance des résultats des opérations de la cataracte est associée à une diminution de l’incidence des complications opératoires9.

Certains facteurs de risque sont intrinsèques au patient et, à moins de ne pas réaliser l’intervention, nous ne pouvons pas faire grand-chose pour les éliminer. Toutefois, en cas d’opération sur un patient à haut risque, l’intervention doit être réalisée dans un cadre approprié par un chirurgien ayant le niveau d’entraînement nécessaire. Des études ont montré que lorsqu’une opération est réalisée dans un camp de chirurgie mobile, ou bien par un chirurgien inexpérimenté, elle a plus de chances de s’assortir de complications qu’une intervention réalisée en milieu hospitalier par un opérateur expérimenté. Par conséquent, si vous identifiez des patients à haut risque, ils devront être opérés par un chirurgien dûment formé, de préférence à l’hôpital de base.

Nous ne pouvons pas éliminer les facteurs de risque intrinsèques, mais nous pouvons et nous devons agir sur les autres facteurs susceptibles d’augmenter le risque de complications opératoires, qui sont liés au déroulement de l’intervention. Il existe en effet beaucoup de mesures que nous pouvons mettre en œuvre avant et durant l’opération afin de réduire le taux de complications.

Il est bien entendu essentiel de stériliser méticuleusement tous les instruments chirurgicaux, ainsi que les liquides utilisés durant l’intervention, et de respecter les règles de l’asepsie. Vous trouverez dans ce numéro des articles décrivant des mesures à prendre pour éviter les complications durant la chirurgie à petite incision (page 8) et pour réduire le risque d’endophtalmie (page 14). Un essai clinique aléatoire a récemment démontré que l’injection d’1 mg de céfuroxime dans la chambre antérieure à la fin de l’intervention réduit considérablement le risque d’endophtalmie (voir abstract et commentaire à la page 17). Nous devons tous adopter ce geste, car il peut potentiellement sauver la vue de milliers de personnes par an.

Asepsie des téguments périoculaires (bétadine à 10 %) avant une opération de la cataracte. NÉPAL. © K Hennig
Asepsie des téguments périoculaires (bétadine à 10 %) avant une opération de la cataracte. NÉPAL. © K Hennig

L’importance de prendre en charge les complications

Pour toutes les complications, y compris la rupture capsulaire avec issue de vitré, et même l’endophtalmie, le pronostic sera toujours meilleur si vous prenez en charge la complication de manière efficace.

Les patients qui subissent une rupture capsulaire avec issue de vitré n’obtiennent pas tous un mauvais résultat visuel. Si la complication est bien gérée, le patient pourra conserver une vision excellente. Cependant, nous ne prenons généralement pas en charge l’issue de vitré aussi bien que nous le devrions. L’article à la page 11 offre d’excellentes suggestions, de la part de chirurgiens expérimentés, pour prendre en charge cette complication.

Dans le cas de l’endophtalmie, une reconnaissance précoce et un traitement immédiat (par injection intravitréenne de vancomycine et soit de ceftazidime ou d’amikacine) offrent le plus grand espoir de récupération visuelle. Si vous appliquez immédiatement un traitement antibiotique intravitréen, certains yeux récupéreront une vision utile (voir page 16).

Des complications peuvent, et vont, se produire, même dans les meilleures conditions, c’est pourquoi l’équipe d’ophtalmologie doit être prête à les prendre en charge :

  • l’équipe doit d’abord être formée à la prise en charge des complications
  • elle doit avoir sur place les bons médicaments et le bon équipement pour prendre en charge les complications
  • chacun doit savoir où se trouvent le matériel et les produits nécessaires
  • toute l’équipe doit connaître les protocoles de prise en charge des complications.

Par exemple, vous devez avoir un protocole de vitrectomie en cas d’issue de vitré et avoir sur place l’équipement nécessaire à l’application de ce protocole.

Si vous réalisez des phacoémulsifications, vous devez mettre en place un protocole pour la prise en charge d’une luxation du noyau dans le vitré. Si vous prenez rapidement en charge cette complication, en effectuant une vitrectomie et une fragmentation du noyau, vous obtiendrez généralement de bons résultats. Toutefois, si vous n’enlevez pas le matériel cristallinien, l’ œil deviendra aveugle, suite aux effets combinés d’un glaucome et d’une inflammation grave.

Aucun service de santé oculaire ne devrait pratiquer la phacoémulsification sans avoir identifié au préalable un service dans lequel envoyer les patients qui devront subir une vitrectomie et une fragmentation du noyau.

La phacoémulsification étant de plus en plus courante dans les pays à faibles et moyens revenus, le nombre de cas de luxation du noyau dans le vitré augmentera en conséquence. La luxation de fragments du cristallin dans le vitré se produit dans environ 0,3 % des interventions de phacoémulsification. Il se peut que cette incidence soit plus élevée dans les pays à faibles et moyens revenus, où les patients présentant une cataracte dense et une pseudoexfoliation capsulaire se rencontrent plus fréquemment10.

Intégrer cette prise en charge dans les cursus

Il nous faut intégrer la prise en charge des complications dans les cursus de formation. Nous ne pouvons apprendre à prendre en charge une issue de vitré, par exemple, qu’en pratiquant sous la surveillance d’un chirurgien plus expérimenté. Cependant, bien que l’issue de vitré se produise plus fréquemment lorsque le chirurgien est inexpérimenté, c’est souvent le formateur qui prend aussitôt les commandes si cette complication se produit. Ceci signifie que, dans certains pays développés, un chirurgien est susceptible de réaliser quelques centaines d’opérations durant sa formation, mais de ne prendre en charge que deux ou trois fois une issue de vitré durant la même période.

Nos programmes de formation soulignent à juste titre l’importance d’éviter les complications de la chirurgie de la cataracte. Toutefois, nous devons aussi mettre l’accent sur la prise en charge correcte de ces complications le cas échéant, car elles se produiront inévitablement. Aucun chirurgien oculaire en formation n’est véritablement compétent pour opérer une cataracte sans la présence d’un formateur, s’il n’est pas également compétent dans la prise en charge, par exemple, d’une issue de vitré.

Conclusion

La responsabilité du chirurgien est avant tout de prévenir les complications. Toutefois, en dépit de toutes nos précautions, nous nous trouverons tous tôt ou tard face à une complication. Par conséquent, nous devons nous fixer comme deuxième priorité de prendre en charge efficacement toute complication, afin d’offrir à nos patients de bons résultats visuels, quels que soient les obstacles que nous ayons rencontrés durant l’intervention. En améliorant notre capacité à prendre en charge les complications, nous réduirons de façon certaine le nombre de mauvais résultats visuels et de patients déçus.

En cherchant à atteindre les objectifs de VISION 2020 : le Droit à la Vue, nous devons nous soucier d’accorder aux résultats qualitatifs (la qualité de l’intervention de la cataracte) la même valeur qu’aux résultats quantitatifs (le nombre d’opérations réalisées).

Références

1 Bourne RR, Dineen BP, Ali SM, Huq DM, Johnson GJ. Outcomes of cataract surgery in Bangladesh: results from a population based nationwide survey. Br J Ophthalmol 2003;87: 813-9.

2 Mathenge W, Kuper H, Limburg H, Polack S, Onyango O, Nyaga G et al. Rapid assessment of avoidable blindness in Nakuru district, Kenya. Ophthalmology 2007;114: 599-605.

3 Bourne RRA, Dineen B, Jadoon MZ, Lee PA, Khan A, Johnson GJ, Foster A, Khan D. Outcomes of cataract surgery in Pakistan: results from the Pakistan National Blindness and Visual Impairment Survey. Br J Ophthalmol 2007;9(4): 420-6.

4 Ionides A, Minassian D, Tuft S. Visual outcome following posterior capsule rupture during cataract surgery. Br J Ophthalmol 2001;85: 222-4.

5 Kothari M, Thomas R, Parikh R, Braganza A, Kuriakose T, Muliyil J. The incidence of vitreous loss and visual outcome in patients undergoing cataract surgery in a teaching hospital. Indian J Ophthalmol 2003;51: 45-52.

6 Kamalarajah S, Silvestri G, Sharma N, Khan A, Foot B, Ling R et al. Surveillance of endophthalmitis following cataract surgery in the UK. Eye 2004;18: 580-7.

7 Lalitha P, Rajagopalan J, Prakash K, Ramasamy K, Prajna NV, Srinivasan M. Postcataract endophthalmitis in South India: incidence and outcome. Ophthalmology 2005;112: 1884-9.

8 Muhtaseb M, Kalhoro A, Ionides A. A system for preoperative stratification of cataract patients according to risk of intraoperative complications: a prospective analysis of 1,441 cases. Br J Ophthalmol 2004;88: 1242-6.

9 Limburg H, Foster A, Gilbert C, Johnson GJ, Kyndt M, Myatt M. Routine monitoring of visual outcome of cataract surgery. Part 2: Results from eight study centres. Br J Ophthalmol 2005;89: 50-2.

10 Gogate PM, Kulkarni SR, Krishnaiah S, Deshpande RD, Joshi SA, Palimkar A et al. Safety and efficacy of phacoemulsification compared with manual smallincision cataract surgery by a randomized controlled clinical trial: six-week results. Ophthalmology 2005;112: 869-74.