RSOC Vol. 15 No. 20 2018 pp 42-44. Publié en ligne 18 décembre 2018.

Comprendre et prendre en charge le ptérygion

Anthony Bennett Hall

Ophtalmologiste chef de clinique, Hunter Eye Surgeons, Newcastle Eye Hospital, Newcastle, Australie.


Related content

Cet article décrit une méthode de traitement du ptérygion qui réduit le taux de récidive et offre des suggestions concernant les indications thérapeutiques et le soutien psychologique des patients.

Les ptérygions sont plus fréquents dans les régions exposées à des niveaux élevés de rayonnement ultraviolet. BURKINA FASO © Paddy Ricard

Un ptérygion est une prolifération fibrovasculaire de la conjonctive, de forme triangulaire, qui empiète sur la cornée1 (Figure 1). Les ptérygions sont plus fréquemment diagnostiqués chez les personnes vivant dans des régions exposées à des niveaux élevés de rayonnement ultraviolet. La poussière, la chaleur, la sécheresse, le vent et la fumée de l’environnement jouent également un rôle2. La plupart des ptérygions se développent du côté nasal.

Diagnostic

1ère étape : Recueil détaillé des antécédents

De quand date le ptérygion ? Généralement son apparition remonte à plusieurs mois ou années. Ceci permet de différencier le ptérygion des néoplasies épidermoïdes de la suface oculaire, qui évoluent plus rapidement (voir page 33).

Demandez au patient si la taille du ptérygion a augmenté. Certains ptérygions n’évoluent pas pendant des décennies. De quels symptômes se plaint le patient ? Ces symptômes peuvent inclure : rougeur, irritation, flou visuel, diplopie, démangeaisons et également préoccupations d’ordre esthétique3.

2ème étape : Examen

Déterminez l’acuité visuelle. Vous devez toujours procéder à un examen ophtalmologique complet et rechercher d’autres causes éventuelles d’inconfort oculaire et de perte visuelle.

Mesurez la taille du ptérygion du limbe au sommet du ptérygion adhérent à la cornée. Notez le résultat sur un diagramme dans le dossier du patient ; ceci vous permettra de déterminer si la taille du ptérygion a augmenté lors de la prochaine visite.

Recherchez les signes atypiques qui pourraient indiquer une dysplasie, soit par exemple une leucoplasie, une excroissance d’aspect gélatineux, ou un vaisseau nourricier saillant de taille importante. Soyez particulièrement vigilant si vous travaillez en Afrique, où l’on constate une prévalence élevée de néoplasies épidermoïdes de la surface oculaire4.

Testez la motilité oculaire pour vérifier que celle-ci n’est pas restreinte par le ptérygion.

La skiascopie permettra de détecter un éventuel astigmatisme conforme causé par le ptérygion. La topographie cornéenne sera utile pour détecter un astigmatisme irrégulier ou une distorsion éventuellement causé(e) ou induit(e) par le ptérygion.

Quand faut-il traiter ?

Les indications de traitement les plus importantes sont les suivantes :

  • Le ptérygion empiète sur l’axe visuel ou l’axe visuel est menacé
  • Perte de vision due à l’astigmatisme
  • Restriction de la motilité oculaire
  • Aspect atypique pouvant indiquer une dysplasie
  • Augmentation de la taille du ptérygion (mesurée par un ophtalmologiste).

Les indications de traitement moins importantes sont :

  • Augmentation de la taille du ptérygion (signalée par le patient)
  • Irritation et le patient se plaint de rougeur oculaire, etc.
  • Préjudice esthétique.

Soutien psychologique

Un soutien psychologique (« counselling ») avant et après l’opération permettra d’aider les patients.

Un ptérygion ne doit pas automatiquement faire l’objet d’une intervention chirurgicale. Certains patients peuvent s’attendre à une ablation chirurgicale dans des cas où un simple traitement conservateur, par exemple collyre lubrifiant ou corticoïdes, peut suffire. Il est important d’expliquer aux patients qu’il peut y avoir récidive du ptérygion, même en cas d’exérèse chirurgicale. Toutefois, si cette exérèse s’accompagne d’une greffe de conjonctive (comme dans l’intervention décrite plus loin), ceci réduit considérablement le risque de récidive.

Vous pouvez établir une liste d’indications de traitement adaptée à votre contexte et l’utiliser pour recommander ou non une intervention chirurgicale aux patients. Le cas échéant, fixez un rendez-vous de suivi quelques mois plus tard, pour vérifier que les symptômes du patient se sont améliorés avec le traitement conservateur et pour voir si la taille du ptérygion a augmenté.

Vous pouvez vous appuyer sur un dépliant d’information pour conseiller les patients. Dans notre établissement, nous utilisons un dépliant qui contient les informations suivantes :

  • Photographies montrant l’aspect d’un ptérygion
  • Liste des indications
  • Description de l’intervention chirurgicale
  • À quoi s’attendre après l’intervention
  • Complications éventuelles
  • Risque de récidive.

Ce dépliant nous aide à expliquer le diagnostic et les indications d’ablation chirurgicale, ainsi que l’opération elle-même. N’oubliez pas de prévenir les patients qu’ils pourront éventuellement ressentir une douleur importante pendant un ou deux jours après l’opération.

Complications

Avant l’opération, les patients doivent être pleinement informés des complications éventuelles. Ces dernières peuvent se produire durant ou après l’intervention.

Les complications peropératoires comprennent :

  • Perforation du globe
  • Amincissement de la sclère ou de la cornée après dissection
  • Hémorragie peropératoire
  • Cautérisation excessive
  • Lésion musculaire
  • Inversion de l’autogreffon conjonctival (face épithéliale vers le bas).

Les complications postopératoires précoces comprennent :

  • Ulcération épithéliale persistante
  • Formation de Dellen (zone d’amincissement cornéen adjacente à un oedème limbique, qui prévient l’hydratation normale de la surface cornéenne)
  • Hématome sous le greffon
  • Perte du greffon
  • Granulome pyogénique.

Les complications tardives comprennent :

  • Récidive
  • Nécrose cornéo-sclérale
  • Sclérite
  • Endophtalmie.

La récidive du ptérygion est l’une des complications tardives les plus importantes. La technique d’excision avec mise à nu de la sclère est celle qui entraîne le plus de récidives1,5. La suite de cet article décrit une technique d’excision avec autogreffe conjonctivale, qui réduit le taux de récidive1. Vous pouvez également envisager d’utiliser des adjuvants, comme par exemple le 5-fluorouracile ou la mitomycine C, sans oublier toutefois que l’utilisation de mitomycine C est associée à un taux plus élevé de complications menaçant la vue. Vous pouvez réserver les traitements adjuvants pour les cas de ptérygion récidivant1.

Figure 1. Ptérygion observé au biomicroscope © Anthony Bennett Hall

Excision du ptérygion associée à une autogreffe conjonctivale

Avant l’opération Envisagez d’administrer des corticoïdes pendant quelques jours pour réduire l’inflammation.

Avant de réaliser l’anesthésie, vérifiez dans le dossier du patient que vous allez bien opérer le bon oeil. Marquez l’oeil comme vous le feriez pour toute autre intervention oculaire, afin d’éviter toute confusion.

Administrez au patient un collyre anesthésique avant de l’emmener au bloc opératoire. Un collyre mydriatique permettra de réduire la douleur liée au spasme du muscle ciliaire après l’opération5.

Anesthésie

Si votre patient coopère, vous pouvez infiltrer l’anesthésique local sous la conjonctive avec une aiguille de petit calibre. Utilisez un anesthésique à longue durée d’action, par exemple la bupivacaïne, car cela permettra de soulager la douleur du patient pendant plusieurs heures après l’intervention. L’ajout d’adrénaline facilitera l’hémostase.

Infiltrez l’anesthésique sous le ptérygion et sous l’épithélium conjonctival supéro-temporal. Une infiltration locale a l’avantage de permettre au patient de conserver sa motilité oculaire ; vous pourrez demander à ce dernier de regarder à gauche, à droite, ou vers le bas, pour exposer la partie de l’oeil sur laquelle vous intervenez.

Administrez une anesthésie sous-ténonienne si vous pensez que le patient ne va pas coopérer ou que l’intervention va durer longtemps.

Il faudra rassurer le patient et expliquer chaque étape de l’anesthésie et de l’excision au fur et à mesure.

Exérèse du ptérygion et autogreffe conjonctivale

La chirurgie du ptérygion ne doit pas être déléguée aux chirurgiens en formation les moins expérimentés. Il faut superviser ces derniers jusqu’à ce qu’ils sachent parfaitement réaliser toutes les étapes de l’opération. Ceci permettra de diminuer le taux de récidive3.

Portez une casaque ou blouse de chirurgie stérile, ainsi que des gants stériles, et préparez le patient comme pour toute intervention intraoculaire. Désinfectez la zone périoculaire et le sac conjonctival avec une solution aqueuse de povidone iodée à 5 % et couvrez l’oeil d’un champ opératoire.

Faites vous aider par un infirmier de bloc opératoire. Une boîte chirurgicale pourra contenir un blépharostat, deux pinces de Moorfields, une pince fine à griffes, des ciseaux de Westcott, un porte-aiguille, une lame Crescent ou lame de bistouri nº15, un cautère, du fil de suture fin et résorbable (7.0 ou 9.0) ou nylon 10.0, ainsi que des éponges.

Même si vous avez administré une anesthésie sous-ténonienne, l’injection d’un anesthésique avec adrénaline sous la conjonctive permettra de soulever le ptérygion de la sclère et de séparer l’épithélium conjonctival de la capsule de Tenon sous-jacente. L’effet vasoconstricteur réduira également les saignements. Si vous avez réalisé une anesthésie sous-ténonienne, il vous faudra peut-être placer un fil de traction pour déplacer l’oeil. Ce fil de traction peut être inséré dans la conjonctive péri-limbique (supérieure) ou dans la cornée.

Excision du ptérygion

Pour bien visualiser ce que vous faites, demandez au patient de regarder dans la direction opposée à la position du ptérygion. Commencez l’excision : saisissez le ptérygion avec une pince de Moorfields et effectuez des incisions radiaires le long du bord avec des ciseaux de Westcott. Trouvez le plan sous le ptérygion et la capsule de Tenon, en avant du muscle droit interne. Restez à distance du muscle droit interne afin de ne pas léser ou sectionner ce dernier par inadvertance. Incisez le long de la base du ptérygion, parallèlement au limbe et assurez vous d’être en avant du repli semi-lunaire. Le ptérygion devrait se soulever facilement de la sclère ; il est adhérent au niveau du limbe, et il vous faudra alors utiliser une lame Crescent ou une lame de bistouri nº15 pour le disséquer de la cornée (Figure 2). Il ne doit pas rester de reliquats de capsule de Tenon au niveau de la sclère.

Figure 2. Excision du ptérygion au niveau du limbe. © Anthony Bennett Hall

Demandez à votre assistant de veiller à ce que le champ opératoire ne soit pas obscurci par des saignements éventuels, afin que vous puissiez clairement visualiser la profondeur de votre dissection. Dans la plupart des cas, un saignement cessera naturellement. Il ne faut recourir à la cautérisation que lorsque le saignement est si abondant qu’il risque de former un hématome de grande taille qui soulèvera le greffon de la sclère sous-jacente. Sinon, une petite quantité de sang agira comme une colle de fibrine autologue.

Figure 3. Dissection du greffon de la capsule de Tenon .sous-jacente © Anthony Bennett Hall

Prélèvement de l’autogreffon conjonctival

Demandez au patient de regarder vers le bas. Le marquage de l’épithélium avec un marqueur cutané stérile vous permettra d’identifier la surface du greffon. Effectuez deux incisions radiaires dans la conjonctive bulbaire supérieure. Ces incisions doivent délimiter une zone de taille à peu près égale à celle de la zone dénudée du côté nasal. Disséquez avec soin la conjonctive de la capsule de Tenon sous-jacente (Figure 3). Une fois que vous êtes dans le bon plan, incisez le greffon conjonctival le long de son bord postérieur. Soulevez le bord postérieur et éliminez avec soin tout point d’adhésion éventuel avec la capsule de Tenon. Pour vous aider, vous pouvez demander à votre assistant de tenir un coin du greffon. Placez la greffe conjonctivale sur un patron en papier (emballage de la suture) avant de la sectionner du limbe cornéen pour être sûr de placer l’épithélium en haut ou vers l’extérieur. Cecifacilitera la manipulation et l’orientation du greffon2.

Positionnement et suture du greffon

Orientez le greffon : le bord limbique de la conjonctive à greffer doit être le plus proche du limbe nasal. L’utilisation de colle de fibrine dans la chirurgie du ptérygion permet de raccourcir la procédure opératoire et peut atténuer la douleur postopératoire2. Toutefois, le coût de cette colle est prohibitif, même dans certaines régions à revenu élevé. Le nylon 9.0 ou 10.0 est une bonne solution : il est bon marché, largement disponible, et n’entraîne aucune réaction tissulaire5.

Figure 4. Suture à la sclère d’un coin du greffon situé du côté limbique. © Anthony Bennett Hall

Il faut ancrer à la sclère les deux coins du greffon situés du côté limbique, ce afin d’éviter une migration postérieure du greffon (Figure 4). Suturez les autres coins du greffon à la conjonctive nasale. Si vous utilisez du nylon, réalisez des sutures en U pour enfouir les noeuds. Placez des points de suture supplémentaires si nécessaire, pour qu’il n’y ait aucun écart entre le greffon et la conjonctive nasale. Appliquez une pommade au chloramphénicol sur la conjonctive et occluez l’oeil avec un pansement compressif.

Soins postopératoires

Après l’opération, il faudra soulager efficacement la douleur du patient. Nous recommandons la prise de paracétamol associé à de la codéine pendant un ou deux jours. Demandez au patient d’instiller corticoïdes et antibiotiques quatre fois par jour pendant une semaine. Les instillations de collyre corticoïde devront continuer pendant au moins un mois après l’opération. Examinez le patient au premier jour postopératoire pour vérifier l’état du greffon.

Figure 5. Greffon une semaine après l’opération. © Anthony Bennett Hall

La deuxième visite de suivi doit avoir lieu une semaine après l’opération (Figure 5). Il faut ensuite examiner le patient un mois et trois mois après l’intervention, pour vérifier qu’il n’y a pas de complications. Les signes et symptômes d’une récidive s’observent généralement quatre à six semaines après l’opération5. Encouragez le patient à revenir au bout d’un an, pour vérifier qu’il n’y a pas eu récidive du ptérygion.

Références

1 Kaufman SC et al. Options and adjuvants in surgery for pterygium: a report by the American Academy of Ophthalmology. Ophthalmol 2013;120(1):201–8. Epub 2012/10/16.

2 Koranyi G et al. Cut and paste: a no suture, small incision approach to pterygium surgery. Br J Ophthalmol. 2004;88(7):911–4. Epub 2004/06/19.

3 Hirst LW. The treatment of pterygium. Surv Ophthalmol. 2003;48(2):145–80. Epub 2003/04/11.

4 Gichuhi S et al.Epidemiology of ocular surface squamous neoplasia in Africa. Trop Med Int Health. 2013;18(12):1424–43. Epub 2013/11/19.

5 Sheppard JD et al. An update on the surgical management of pterygium and the role of loteprednol etabonate ointment. Clin Ophthalmol. 2014;8:1105–18. Epub 2014/06/27.