RSOC Vol. 18 No. 26 2021 pp 35-36. Publié en ligne 16 décembre 2021.

Cytomégalovirus : caractéristiques cliniques et prise en charge

Jonel Steffen

Spécialiste de la vitréorétine et de l’uvéite, University of Cape Town, Cape Town, Afrique du Sud.


James Rice

Spécialiste vitréorétinien, University of Cape Town, Cape Town, Afrique du Sud.


Une cliché de fond d’œil montrant le forme fulminante de rétinite à CMV.
Figure 1a Forme fulminante de rétinite à CMV Joel Steffan/ University of Cape Town
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La rétinite à CMV est la principale cause de perte visuelle chez les patients atteints du SIDA. Il est essentiel qu’elle soit identifiée et prise en charge à un stade précoce, par une équipe pluridisciplinaire.

La rétinite à cytomégalovirus (CMV) est l’infection oculaire opportuniste la plus fréquente ; elle survient généralement chez les patients séropositifs pour le VIH (virus de l’immunodéficience humaine) dont le taux de CD4 est inférieur à 50 cellules/μl.

Caractéristiques cliniques

Les patients ayant une rétinite à CMV présentent une perte de vision unilatérale ou bilatérale, et/ou des corps flottants, sans douleur oculaire. Il y a généralement peu ou pas de hyalite, et la rétine est clairement visible.

On distingue trois formes cliniques de rétinite à CMV :

  1. Forme fulminante : on observe des zones de nécrose rétinienne denses, blanches et bien délimitées, ainsi que des hémorragies rétiniennes ; on parle souvent d’aspect en « pizza » (Figure 1a). Cette forme tend à débuter le long des arcades vasculaires et, sur une durée de plusieurs semaines, s’étend progressivement le long des vaisseaux suivant une configuration en « feu de brousse ». La papille optique peut également être affectée.
  2. Forme indolente : on observe une légère opacification de la rétine, d’aspect granulaire, avec très peu d’hémorragies rétiniennes ; elle débute à la périphérie de la rétine et progresse lentement.
  3. Angéite givrée : c’est la forme la moins courante, dont le signe le plus évident est l’exsudation périvasculaire (Figure 1b).
Une cliché de fond d’œil montrant une angéite givrée.
Figure 1b Angéite givrée Joel Steffan/ University of Cape Town

Diagnostic

Le diagnostic est généralement fait cliniquement par examen du fond d’oeil après dilatation. Le diagnostic différentiel doit exclure avant tout une rétinite nécrosante herpétique causée par le virus herpès simplex (HSV) ou le virus varicelle-zona (VZV), ainsi que la toxoplasmose (Toxoplasma gondii) et la syphilis. Si le diagnostic demeure incertain, il peut être utile d’effectuer un sérodiagnostic de la syphilis, ainsi qu’un test PCR sur un échantillon d’humeur aqueuse ou de vitré visant à détecter le CMV, le HSV, le VZV et Toxoplasma gondii. Si le statut VIH n’est pas connu, effectuer un sérodiagnostic du VIH, la numération des CD4 et la mesure de la charge virale. La rétinite à CMV est une des maladies définissant le SIDA (syndrome d’immunodéficience acquise) chez les patients séropositifs pour le VIH.

Prise en charge

Les patients présentant une rétinite à CMV doivent être pris en charge par une équipe pluridisciplinaire comprenant un ophtalmologiste et un médecin traitant ou un spécialiste des maladies infectieuses. Le traitement anti-CMV (par voie intravitréenne ou générale) sera administré par l’ophtalmologiste, tandis que le médecin ou spécialiste des maladies infectieuses mettra en route le traitement antirétroviral, participera au suivi et prendra en charge les effets secondaires éventuels des médicaments.

Traitement anti-CMV par voie générale

Le traitement anti-CMV de choix, parce qu’il est facile à administrer, est l’administration de valganciclovir par voie orale (dose initiale de 900 mg deux fois par jour pendant 14 à 21 jours, puis dose d’entretien de 900 mg par jour). Son inconvénient est qu’il nécessite une surveillance régulière des signes de dépression médullaire et de toxicité rénale, afin de détecter ces effets négatifs. Par ailleurs, ce traitement coûte cher et il n’est pas disponible dans tous les centres.

Une autre option thérapeutique est l’administration de ganciclovir par voie intraveineuse (dose initiale de 5 mg/kg toutes les 12 heures pendant 14 à 21 jours, puis dose d’entretien de 5 mg/kg/jour), mais ce traitement nécessite une hospitalisation pour la thérapie intraveineuse. Tous les patients présentant une rétinite à CMV qui menace leur vision (infection à moins d’un diamètre papillaire de la fovéa ou de la papille optique) doivent également recevoir des injections intravitréennes de ganciclovir pendant les deux premières semaines (voir détails ci-après).

Traitement anti-CMV par voie intravitréenne

Le traitement de choix dans beaucoup de centres aux ressources limitées consiste à administrer chaque semaine des injections intravitréennes de ganciclovir (2,5 mg dans 0,1 ml) dans l’oeil ou les yeux affecté(s). Ce traitement est bon marché et peut être administré en ambulatoire. Ses désavantages sont : il ne protège pas l’autre oeil et ne traite pas l’infection à CMV au niveau systémique, il doit être administré par un personnel clinique formé et expérimenté, et il présente les risques (faibles mais potentiellement cécitants) associés aux injections intravitréennes (par exemple, endophtalmie).

Traitement antirétroviral

Dans l’idéal, il faut commencer un traitement antirétroviral deux semaines après avoir commencé un traitement anti-CMV, afin de réduire le risque d’uvéite de reconstitution immunitaire ; toutefois, dans un contexte où les ressources sont limitées, il convient peut-être mieux de commencer les deux traitements au même moment.

Une discussion complète de toutes les options thérapeutiques, qui dépasse la portée du présent article, est disponible sur le site UpToDate1.

Suivi et complications

Nous recommandons l’utilisations de photographies du fond d’oeil pour suivre la réaction au traitement. Au début, il faut évaluer l’état du patient toutes les semaines. Les lésions à CMV inactives ne changeront pas de taille mais deviendront moins opaques, et on observera une résolution des hémorragies rétiniennes (Figure 2).

Cliché de fond d’œil montrant une rétinite à CMV inactive.
Figure 2 Rétinite à CMV inactive Joel Steffan/ University of Cape Town

Les lésions cicatricielles après une rétinite à CMV sont des zones amincies de nécrose rétinienne, qui peuvent former des trous et entraîner un décollement de rétine rhegmatogène ; ce dernier devra être pris en charge par une vitrectomie par la pars plana et un tamponnement à l’huile de silicone.

On peut mettre fin au traitement anti-CMV (par voie intravitréenne ou générale) lorsque les critères qui suivent sont satisfaits :

  1. La rétinite à CMV est complètement inactive.
  2. Le patient est sous traitement antirétroviral et son taux de CD4 est supérieur à 100 cellules/μl, ou a augmenté de 50 cellules/μl par rapport au taux de base.
  3. Le patient a subi au moins trois mois de traitement anti-CMV. Dans notre service, nous arrêtons parfois les injections intravitréennes avant trois mois si les critères 1 et 2 sont satisfaits, puis nous effectuons un suivi aux semaines 1, 3 et 7 pour vérifier l’absence de récurrence, avant de donner congé au patient.

Référence

1 Jacobson MA, Heiden D. Treatment of AIDS-related cytomegalovirus retinitis https://www.uptodate.com (ce site requiert un abonnement).