RSOC Vol. 02 No. 01 2005 pp 10 - 12. Publié en ligne 01 août 2005.

Extraction de la cataracte sans suture : complications et solutions ; courbe d’apprentissage

Bernd Schroeder

Directeur de programme adjoint, Sagarmatha Choudhary Eye Hospital, Lahan, PO Box 126 Kathmandu, Népal

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La formation représente le problème principal lorsqu’on souhaite se convertir à la chirurgie sans suture. La première partie de cet article décrit les principales étapes chirurgicales de l’extraction de la cataracte sans suture, ainsi que les complications possibles et les solutions pouvant y être apportées. La deuxième partie aborde la formation de 11 chirurgiens à la technique d’extraction de la cataracte sans suture, au Sagarmatha Choudhary Eye Hospital, à Lahan. Elle décrit la formation et l’encadrement, étape par étape, de ces 11 chirurgiens et analyse leur courbe d’apprentissage.

Étapes chirurgicales et complications per-opératoires

a. Construction d’une incision auto étanche

La condition préalable d’une extraction de cataracte sans suture est une incision de taille appropriée, stable et auto étanche. Pour créer une incision en valve, il faut préparer un tunnel s’enfonçant d’1 à 2 mm dans la cornée claire avant de pénétrer dans la chambre antérieure (CA). L’aspect de la cataracte et l’âge du patient permettent d’anticiper la taille requise pour le tunnel. Dans le cas d’un noyau brun foncé chez un patient assez âgé, le tunnel devra être très grand ; dans le cas d’une cataracte chez un sujet plus jeune, au contraire, il se peut que l’incision ne soit pas plus grande que l’implant intraoculaire. L’utilisation d’instruments tranchants et d’une bonne pince (de type Paufique ou Pierce) pour la fixation sclérale aide à obtenir le résultat désiré. Lorsque les yeux sont très enfoncés et que le champ opératoire est d’accès difficile, il faut construire un tunnel temporal ou supéro-temporal, plutôt qu’un tunnel supérieur.

Complications Solutions
Entrée prématurée : la dissection de la sclère est trop profonde et pénètre dans la chambre antérieure à l’angle irido-cornéen. Le risque d’hernie de l’iris est élevé et la plaie ne sera pas auto étanche. Entamer une dissection moins profonde à l’autre extrémité du tunnel. Il faudra suturer l’incision à la fin de l’intervention.
Formation d’une boutonnière : la dissection de la sclère est trop superficielle. Ceci peut généralement être corrigé par une incision curviligne plus profonde et la dissection du tunnel dans un plan de clivage plus profond, en commençant par le bord opposé de la boutonnière.
Lésion ou rupture de la membrane de Descemet. Le kératome peut être émoussé ou l’angle d’entrée dans la chambre antérieure peut être trop peu profond. L’injection d’une bulle d’air à la fin de l’opération entraîne généralement le ré- attachement de l’extrémité de la membrane de Descemet. La rupture accidentelle de la membrane de Descemet et de l’endothélium qui la recouvre entraîne une décompensation irréversible de la cornée.

b. Ouverture de la capsule antérieure

La capsule antérieure peut être ouverte soit par capsulotomie soit par capsulorhexis. Une capsulotomie est facile à pratiquer. Un capsulorhexis est plus difficile, mais garantit à long terme la centration de l’implant intraoculaire.

Complications Solutions
Capsulotomie linéaire : en de rares cas, elle peut entraîner une déchirure incomplète ou en oblique de la capsule, ce qui rend difficile la mobilisation du noyau. L’extension de la capsulotomie au moyen de ciseaux résout le problème.
Capsulorhexis : l’extension périphérique d’un capsulorhexis est la complication la plus fréquente. La coloration de la capsule antérieure et l’utilisation d’une pince à capsulorhexis (de type Utrata) permettent de diminuer ce risque. Pour contrôler le rhexis, il faut injecter suffisamment de viscoélastique pour approfondir la chambre antérieure. Saisir le volet capsulaire au bord de la déchirure, tout en le tirant vers le centre et légèrement vers le haut. Un capsulorhexis raté peut être converti en capsulotomie « en ouvre-boîtes » (can-opener).

c. Hydro dissection

L’hydro dissection sépare le cortex et le noyau cristalliniens de la capsule. L’hydro dissection est à éviter dans le cas d’une cataracte polaire postérieure, traumatique ou hypermature avec risque de déhiscence capsulaire postérieure pré-existante.

Complications Solutions
Hydro dissection incomplète. L’injection de liquide directement sous la capsule permet l’hydro dissection la plus efficace.

d. Extraction du noyau

Diverses techniques peuvent être utilisées pour extraire le noyau (voir les articles précédents dans ce numéro). Cependant, toutes peuvent entraîner des complications similaires, en particulier lors de l’extraction d’un gros noyau.

Complications Solutions
Capsulorhexis de petite taille : le basculement ou l’hernie du noyau dans le sac capsulaire est impossible. Élargir le rhexis par des incisions radiales.
Tunnel de petite taille : un tunnel de taille inadéquate entraînera un trauma inutile durant l’extraction du noyau. Après mobilisation d’un gros noyau, il est sage de re-vérifier la taille de l’embouchure du tunnel. Si l’incision semble petite par rapport à la taille du noyau, il faut l’élargir avant de tenter l’extraction de celui-ci.
Lésion de l’endothélium Lorsqu’une technique nécessite que le noyau descende dans la chambre antérieure avant extraction, il faut injecter suffisamment de viscoélastique au- dessus du noyau pour prévenir un contact avec l’endothélium.
Trauma de l’iris : des manipulations excessives peuvent entraîner un trauma de l’iris, une hernie ou une iridodialyse. Lorsque la pupille est petite et rigide, il faut l’élargir chirurgicalement avant de commencer l’extraction nucléaire – soit par étirement, en utilisant un rétracteur d’iris ou par iridectomie locale.
Dialyse zonulaire : en cas de cataracte hypermature ou d’exfoliation capsulaire du cristallin, le risque de dialyse zonulaire est élevé après un traumatisme. En cas de dialyse zonulaire minime, on peut tout de même implanter un ICP dans le sac capsulaire ou dans le sulcus ciliaire. Cependant, en cas de dialyse importante, touchant plus de six heures au cadrant, il faut extraire la capsule et utiliser un implant intraoculaire de chambre antérieure.

e. Rupture de la capsule postérieure (RCP)

Complications Solutions
Une RCP peut se produire au cours de l’hydro dissection, durant l’extraction du noyau ou lors du nettoyage du cortex. Lorsqu’on observe une RCP, arrêter l’irrigation et vérifier que le vitré est intact. Si la face antérieure du vitré n’a pas bougé, le cortex cristallinien restant peut être aspiré, en irrigant le moins possible. En cas d’atteinte du vitré, il faut pratiquer une vitrectomie antérieure. Dans des situations où les ressources sont limitées, on peut utiliser un simple appareil de vitrectomie à piles pour gérer une rupture de capsule postérieure (Fig. 1). Si la lame est immédiatement nettoyée à l’eau et à l’air après usage, elle pourra être re-stérilisée et ré-utilisée plusieurs fois.

Complications post-opératoires

a. Hyphéma

Complications Solutions
L’épanchement de sang peut provenir du tunnel, de l’angle irido-cornéen ou de l’iris. Lorsqu’un épanchement de sang est détecté durant l’intervention chirurgicale, on peut généralement l’arrêter en laissant l’œil en hypertension à la fin de l’opération ou en le remplissant avec une bulle d’air. Un hyphéma post-opératoire peu important, avec un iris encore visible, peut être traité de manière conventionnelle. Il faudra cependant évacuer un hyphéma dense ou un caillot de sang. Dans ce cas, nous recommandons de laver la chambre antérieure au moyen d’une nouvelle incision en cornée claire sans toucher à la première incision.

b. Œdème cornéen

Complications Solutions
Une lésion de l’endothélium ou une pression intraoculaire élevée, ou encore les deux à la fois, peuvent entraîner un œdème cornéen. Une bonne technique chirurgicale,ainsi que l’utilisation d’une quantité suffisante de viscoélastique, permettent de réduire le risque de lésion de l’endothélium durant l’extraction du noyau. La technique de l’« hameçon » permet d’extraire le noyau directement du sac capsulaire, ce qui diminue le risque de lésion de l’endothélium. Lorsque la pression intraoculaire est élevée après l’intervention, la raison en est le plus souvent que le viscoélastique n’a pas complètement été enlevé.

Courbes d’apprentissage

L’apprentissage de la chirurgie sans suture est difficile et doit se faire de façon professionnelle. Avant de se lancer dans la chirurgie sans suture, un chirurgien doit s’auto évaluer et obtenir invariablement de bons résultats lorsqu’il pratique une extraction de cataracte classique.

Nous avons évalué 11 ophtalmologistes formés à la chirurgie de la cataracte sans suture par la technique de l’« hameçon » au Sagarmatha Choudhary Eye Hospital de Lahan et analysé leurs 100 premières opérations. Dans ce groupe, 7 chirurgiens avaient pratiqué au préalable au moins 800 opérations par la technique d’EECC/ICP et 4 chirurgiens avaient pratiqué au moins 400 phacoémulsifications. Nous avons noté l’acuité visuelle (AV) sans correction obtenue le premier jour après l’opération, ainsi que le taux de complications. Nous avons analysé les raisons d’une acuité visuelle inférieure à 1/10 (Tableau 1).

Tableau 1 : Résultats visuels et raisons d’une acuité visuelle sans correction inférieure à 1/10 (pour 11 chirurgiens en formation)

Interventions Nb. total d’interventions analysées Résultat visuel (AV sans correction) le premier jour (%) Raisons d’un « mauvais » résultat visuel le premier jour
1-50 550 Bon (10/10 – 3/10) 31,1 %

Moyen (<3/10-1/10) 64,9 %

Mauvais (<1/10) 4,0 %

Pathologie pré-existante 1,5 %

Raison chirurgicale (œdème cornéen, hyphéma) 2,0 %

Défaut de réfraction 0,5 %

51-100 550 Bon (10/10 – 3/10) 25,3 %

Moyen (<3/10-1/10) 67,8 %

Mauvais (<1/10) 6,9 %

Pathologie pré-existante 1,1 %

Raison chirurgicale (œdème cornéen, hyphéma) 5,0 %

Défaut de réfraction 0,9 %

L’opération a été divisée en trois étapes :

1ère étape : Incision auto étanche et capsulotomie linéaire.

2ème étape : Hydro dissection et extraction du noyau.

3ème étape : Irrigation/aspiration et implantation du cristallin artificiel.

Dans un premier temps, seule la troisième étape a été enseignée, les chirurgiens formateurs pratiquant les deux premières étapes. Lorsqu’ils maîtrisaient la troisième étape, les chirurgiens stagiaires apprenaient séquentiellement les autres étapes, le formateur intervenant de moins en moins au cours de l’opération. En cas de survenue d’une complication, le formateur prenait en main la situation et terminait l’intervention. La raison pour laquelle les stagiaires apprenaient d’abord la dernière étape est que, de cette façon, ils opéraient toujours dans les meilleures conditions -le tunnel ayant été bien réalisé et le noyau ayant été extrait -, avant qu’ils ne se lancent dans l’irrigation/aspiration*.

Dans le cas des chirurgiens ayant l’expérience de l’EECC, 58 opérations étaient nécessaires avant qu’ils ne puissent pratiquer leur première opération sans l’intervention d’un formateur ; dans le cas des chirurgiens ayant l’expérience de la phacoémulsification, cette moyenne n’était que de 30. La raison en est principalement que ce dernier groupe savait déjà pratiquer une incision en tunnel. En ce qui concerne l’AV au premier jour et le taux de complications, aucune différence significative n’a été observée entre les chirurgiens.

Tableau 2 : Complications per-opératoires et complications post-opératoires au premier jour.

Interventions Nb. total d’interventions analysées Complications per-opératoires Complications post- opératoires au 1er jour
1-50 550 Rupture de la capsule postérieure 2,9 %

Dialyse zonulaire 1,1 %

Iridodialyse 0,9 %

Mauvaise incision en tunnel (entrée prématurée, absence d’étanchéité) 0,7 %

Rupture de la membrane de Descemet 0,5 %

Cortex résiduel 3,0 % IIO mal centré 0,5 %

OEdème cornéen, plis de la membrane de Descemet 3,6 %

Hyphéma 0,5 %

51-100 550 Rupture de la capsule postérieure 4,5 %

Dialyse zonulaire 1,6 %

Iridodialyse 0,7 %

Mauvaise incision en tunnel (entrée prématurée, absence d’étanchéité) 1,5 %

Rupture de la membrane de Descemet 0,7 %

Cortex résiduel 3,0 %

IIO mal centré 1,3 %

OEdème cornéen, plis de la membrane de Descemet 6,0 %

Hyphèma 1,0 %

Le taux de complication s’est révélé être suffisament bas, en particulier durant les 50 premières interventions, lorsque le chirurgien formateur effectuait lui-même les premières étapes de l’intervention (Tableau 2). Toutefois, en l’absence de surveillance et de formation pas à pas, l’apprentissage de la chirurgie sans suture de la cataracte reste susceptible d’entraîner beaucoup plus de complications.


* Note de l’éditeur : cette méthode de formation « à rebours » est également décrite dans Community Eye Health Journal, 2002, 42, p. 20.