Gestion de l’information : penser en termes de systèmes de santé
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Soins oculaires et systèmes de santé
Le personnel en ophtalmologie ne soigne pas des yeux, il soigne des personnes. De la même façon, les soins oculaires n’existent pas de façon isolée mais s’inscrivent au contraire dans un système de santé.
Lorsque nous sommes pris par notre travail, il nous est plus difficile d’avoir une vision globale. Toutefois, à bien y réfléchir, notre travail en santé oculaire dépend étroitement de l’ensemble du système de santé et, inversement, notre système de soins oculaires contribue de façon non négligeable au système de santé général.
L’Organisation mondiale de la Santé souligne la nécessité de penser en termes de systèmes de santé lorsque nous planifions ou délivrons des soins oculaires. Ceci n’est pas aussi compliqué qu’il y paraît ; il suffit simplement de réfléchir aux six éléments qui, ensemble, constituent le système de santé :
- Prestation des services de santé : ce que nous faisons pour améliorer la santé de nos patients
- Ressources humaines : les personnes qui participent à la prestation des services de soins oculaires
- Consommables et technologies : les outils dont nous avons besoin pour faire notre travail
- Financement des soins oculaires
- Direction et gouvernance : la façon dont nous gérons notre travail et sommes responsables de nos actions et la manière dont notre travail est régulé
- Système d’information sanitaire (ou système d’information pour la gestion sanitaire) : les données dont nous avons besoin pour gérer notre travail.
Il est utile de réfléchir à ces différents éléments au sein de notre programme de soins oculaires. Il est encore plus important de comprendre comment notre programme de soins oculaire interagit, de façon positive ou négative, avec les systèmes de santé qui lui sont proches (l’hôpital local par exemple) ou avec le système de santé national.
Systèmes d’information pour la gestion sanitaire (SIGS)
Un système d’information pour la gestion sanitaire (SIGS) est l’une des six composantes d’un système de santé. En effet, si nous voulons améliorer la prestation de nos services et contribuer à l’élimination de la cécité évitable, il est indispensable de recueillir des données sur chacune des composantes du système de santé pour planifier et suivre l’évolution de nos activités.
Lorsqu’il est bien conçu, un SIGS nous permet de gérer les données générées par un programme de soins oculaires et de lui fournir les données dont il a besoin pour fonctionner, que ce soit au niveau local, national ou du district.
Lorsque nous développons un nouveau SIGS ou améliorons un SIGS existant, il est toujours utile de penser en termes de systèmes de santé. Ceci nous permet de déterminer les questions auxquelles doit pouvoir répondre le SIGS (ce qui en retour influence la conception ou l’amélioration de ce dernier) et de planifier la mise en œuvre de ce système.
Il est très important d’envisager comment notre SIGS s’intégrera aux autres SIGS existants ou, s’il n’y a pas d’autre système en place, comment notre SIGS pourra être étendu à d’autres systèmes de santé.
Étape par étape : comment développer ou améliorer un SIGS*
1. Passer en revue le système existant.
- Faire un inventaire des formulaires, registres et autres outils utilisés pour recueillir et résumer les données à différents niveaux du système de soins.
- Évaluer la qualité des données actuellement recueillies par ces formulaires et outils divers.
- Déterminer les problèmes inhérents au système actuel de recueil des données ; par exemple les informations sont-elles disponibles au bon moment et circulent-elles correctement ?
2. Définir les besoins en données des différents éléments du système de santé. Pour chaque programme, définir les rôles ou fonctions de chaque niveau du système de santé : ceci déterminera les renseignements dont chacun a besoin. Par exemple, il faut au niveau du village des données permettant la recherche des cas et la prestation des services ; au niveau du district, des données permettant le suivi et la supervision des activités ; au niveau de la province, des données pour la planification des programmes et leur évaluation ; au niveau national, des données permettant de formuler la politique sanitaire du pays.
3. Déterminer la meilleure manière de transférer efficacement ces données. Établir un tableau montrant le flux des données de la périphérie aux échelons supérieurs du système de santé. Dans chaque cas, décider quelles données seront envoyées, qui va les envoyer, à quelle fréquence et sous quelle forme.
4. Concevoir les outils utilisés pour le recueil des données.
- Rédiger d’abord un premier jet de chaque formulaire et vérifier qu’il génère bien toutes les données dont vous avez besoin.
- Recueillir les commentaires du personnel qui va devoir remplir ce formulaire et l’améliorer si nécessaire.
5. Développer les mécanismes et processus qui seront utilisés pour analyser les données recueillies.
- Considérer les avantages et les inconvénients respectifs de l’analyse manuelle ou statistique des données. Penser au coût, au personnel disponible (et à sa formation, en particulier au niveau le plus élémentaire du système de santé) et au soutien technique disponible.
- Tester au préalable tout logiciel utilisé et développer un programme de formation pour le personnel.
6.Développer et mettre en œuvre un programme de formation pour les fournisseurs et les utilisateurs de données. Penser à former : les formateurs, les personnes qui fournissent les données recueillies et les opérateurs d’ordinateurs. Il faut également former le personnel à utiliser les données générées par le SIGS à différents niveaux du système de santé.
7. Pré-tester et, si nécessaire, modifier les mécanismes utilisés pour recueillir, transférer, analyser et utiliser les données.
8. Suivre et évaluer votre SIGS une fois qu’il est lancé.
9. Développer des mécanismes pour disséminer l’information et recueillir des commentaires. Communiquer les résultats au personnel impliqué dans le SIGS ; leur dire notamment qui utilise les données recueillies, quelles données sont utilisées et de quelle manière.
10. Améliorer le SIGS. Utiliser les résultats du suivi et de l’évaluation pour constamment améliorer le SIGS et envisager de l’étendre si nécessaire.
*Ces conseils sont extraits de l’ouvrage Developing health management information systems: a practical guide for developing countries, publié par l’OMS Région Pacifique Ouest. Vous pouvez le commander en écrivant à : [email protected]
À quelles questions doit répondre un SIGS ?
1 Prestation des services
Pour évaluer notre performance, il nous faut savoir combien de personnes utilisent nos services (la quantité). Un simple comptage du nombre de patients ayant fait l’objet d’un examen, d’un dépistage, d’une orientationrecours ou d’un traitement chaque jour, mois ou année, nous renseignera sur l’aspect quantitatif de notre performance. Il est tout aussi important de recueillir des informations sur la qualité de nos services. Le Tableau 1 propose des exemples de données à recueillir pour évaluer la quantité et la qualité des services de soins oculaires. Ces données nous permettent de savoir si nous sommes sur la bonne voie et d’identifier les domaines à améliorer.
Il est absolument vital de partager les informations recueillies avec les personnes responsables des soins évalués, afin de reconnaître le travail qu’elles ont fait et éventuellement de planifier avec elles les améliorations nécessaires. Il nous faut également utiliser ces données nous-mêmes, pas seulement les transmettre à d’autres. Nous vous recommandons d’organiser régulièrement des réunions dans le but d’analyser les informations recueillies, d’identifier les problèmes ou obstacles éventuels et de décider des actions à mettre en œuvre pour améliorer la situation (voir aussi l’article sur l’audit clinique, en page 8 de ce numéro).
Au niveau de l’unité de soins oculaires, nous recommandons également que la personne recueillant les données en fasse l’analyse et présente ses résultats à l’équipe. Par exemple, il est possible de former la personne qui remplit le registre chaque jour, afin qu’elle devienne capable d’analyser les données et de les présenter à la réunion mensuelle de l’équipe de soins oculaires. Ceci motivera cette personne à recueillir les données avec soin. L’analyse pourrait consister à déterminer la fréquence de certaines affection ou la répartition des patients par lieu de résidence. L’analyse donne vie aux données et rend la tâche de saisie des informations moins ennuyeuse.
Tableau 1. Exemples de données à recueillir pour évaluer la quantité et la qualité des soins oculaires
Services de soins oculaires | Données pour évaluer la quantité des soins | Données pour évaluer la qualité des soins |
---|---|---|
Trachome |
|
|
Vices de réfraction |
|
|
Cataracte |
|
|
2 Ressources humaines
Votre SIGS doit recueillir les informations suivantes :
- Les personnes qui travaillent dans un lieu donné, ainsi que les tâches qui leur incombent. Lorsque vous recueillez des données sur les ressources humaines, prenez en compte tout le personnel qui contribue à la réalisation d’une tâche, pas seulement le personnel de santé. Par exemple, pensez aux techniciens de saisie des données, aux techniciens de maintenance des équipements et aux administrateurs des différents districts.
- Le nombre de patients vus en consultation dans chaque unité de soins et les membres du personnel qui se sont occupés d’eux.
- Les unités de soins où les temps d’attente sont particulièrement longs. Vous pouvez parfois raccourcir les délais en affectant du personnel à un autre poste dans le même hôpital ou en envoyant du personnel dans un centre de santé ou un hôpital où il y a plus de patients et les délais et listes d’attente sont plus longs.
3 Consommables et technologies
Votre SIGS doit vous permettre de connaître le niveau des stocks, les consommables utilisés, ainsi que les équipements disponibles et en état de marche.
4 Financement des soins oculaires
Votre SIGS doit recueillir les données nécessaires à la production de rapports financiers, qui faciliteront la gestion du budget ou les rapports d’activités aux donateurs.
5 Direction et gouvernance
Lors de l’élaboration de votre SIGS, il est toujours bon de prendre en compte les rapports que vous aurez à faire. Un résumé de toutes les données mentionnées ci-dessus sera un outil précieux pour la prise de décision à tous les niveaux du programme de soins oculaires. Ces données vous seront également très utiles lorsque vous présenterez vos rapports d’activité à votre supérieur hiérarchique, à la direction de votre hôpital, au ministre de la santé ou encore à vos donateurs.
Étude de cas : un nouveau système d’information sanitaire au Kenya
Au Kenya, le Département des services d’ophtalmologie coordonne l’ensemble des services de soins oculaires dans le pays. Pour ce faire, le département s’appuie sur les données que lui transmettent les unités de soins oculaires. Jusqu’à récemment, les données étaient notées à la main et envoyées par la poste, avant d’être enregistrées dans la base de données nationale. Ce système était loin d’être parfait : les donnés recueillies étaient souvent incomplètes et trop peu d’unités de soins oculaires participaient à ce recueil des données (en 2007, par exemple, le taux de réponse était de 39 %).
Il s’est avéré nécessaire de remodeler le système d’information pour la gestion sanitaire (SIGS), afin d’améliorer le recueil des données et de présenter ces dernières au Département des services d’ophtalmologie sous un format clair et compréhensible, qui faciliterait la planification.
L’un des objectifs de ce remodelage était de concevoir un système simple à utiliser et ne nécessitant pas de la part des utilisateurs des connaissances poussées en informatique.
Caractéristiques du nouveau SIGS
Microsoft Access a été choisi comme plateforme d’exploitation. Les données peuvent être saisies à l’ordinateur dans le centre de santé, puis envoyées, au moyen d’une clé modem USB (fournie par un opérateur de téléphonie mobile), à une base de données centralisée hébergée sur un serveur au Département des services en ophtalmologie. Ces mêmes données seront synchronisées et intégrées au serveur du ministère de la santé. La Fondation Fred Hollows a financé :
- le développement du logiciel et le recueil des commentaires des utilisateurs
- l’achat d’ordinateurs pour les services d’ophtalmologie des hôpitaux de province
- l’achat de clés modems USB auprès d’un réseau local de téléphonie mobile.
Avantages
- Les unités de soins oculaires saisissent à l’ordinateur des données qu’elles auraient recueillies de toute façon.
- Les hôpitaux ou centres de santé ont accès à leurs propres données et peuvent les utiliser pour produire leurs propres rapports.
- Le Département des services d’ophtalmologie peut utiliser ce système pour produire toutes sortes de rapports : sur un centre de santé, un district ou une province, ou encore sur une affection, un traitement ou un type d’opération.
- Les utilisateurs autorisés peuvent extraire des sous-ensembles de données, par exemple uniquement les données relatives aux enfants, aux femmes, ou à certaines affections.
Progrès réalisés
Le système a fait l’objet d’un projet-pilote dans trois hôpitaux et a pour le moment été mis en place dans neuf hôpitaux au total. Une fois que nous aurons connecté les sept unités de province et les trois hôpitaux tertiaires basés à Nairobi, le système sera étendu aux 46 unités de soins oculaires de district.
Résultats
Ce système a généré des renseignements utiles et opportuns, par exemple sur les maladies infantiles et sur les causes de déficience visuelle. La fiabilité des rapports s’est améliorée et le système a facilité la planification des services de soins oculaires aux niveaux régional et national.
Obstacles à surmonter
La mise en place de ce système n’a pas été facile ! Les unités de soins oculaires ont mis du temps à l’adopter. Dans les neuf hôpitaux où le système est actuellement en place, la mise en œuvre ne s’est pas faite sans difficultés. Les clés modems USB sont maintenant utilisées uniquement pour la saisie des donnés, ce qui a diminué le temps de connexion et donc le coût (qui est maintenant de 3 dollars US par mois). Le fait que plusieurs logiciels différents soient utilisés au Kenya pour gérer les informations sanitaires demeure problématique.
Leçons apprises
Les personnels de soins oculaires se sont d’abord montrés réticents, en raison du travail supplémentaire requis pour mettre en œuvre le nouveau SIGS. Toutefois, leur attitude a vraiment changé quand ils ont compris qu’ils pourraient accéder à leurs propres données et créer leurs propres rapports avec le logiciel (notamment les rapports annuels requis par les nouvelles directives nationales). Ceci les a motivés et ils ont commencé à utiliser le nouveau système.
L’auteur voudrait remercier Alice Mwangi et le docteur Hilary Rono pour l’aide qu’elles lui ont apportée durant la rédaction de cet article.