RSOC Vol. 19 No. 27 2022 pp 6-9. Publié en ligne 21 septembre 2022.

Glaucome et papille optique

Rupert RA Bourne

Chirurgien ophtalmologiste et spécialiste du glaucome, Cambridge University Hospitals ; Professeur d’ophtalmologie, Vision and eye research Institute, Anglia Ruskin University, Royaume-Uni.


Tasneem Khatib

Attachée de recherche sur le glaucome, Cambridge University Hospitals, Royaume-Uni.


Figure 1 Examen du nerf optique à la lampe à fente avec un verre de contact pour l’examen du pôle postérieur. Ceci offre une vue stéréoscopique, un grossissement élevé et un bon éclairage. Il est préférable de réaliser cet examen après dilatation pupillaire. © Mohammed Abdull CC BY-NC 4.0
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Pour détecter et prendre en charge le glaucome, le plus important est de savoir comment examiner la papille optique.

Tous les types de glaucome s’accompagnent d’une neuropathie optique glaucomateuse. Pour identifier un glaucome et de décider de la conduite à tenir, l’élément-clef est un bon examen de la papille optique.

Cet article aborde les notions suivantes :

  • Examen de la papille optique
  • Caractéristiques d’une papille optique normale
  • Caractéristiques d’une papille optique glaucomateuse
  • Comment déterminer si la neuropathie optique glaucomateuse s’est aggravée.

L’examen de la papille optique peut se faire par ophtalmoscopie directe, par ophtalmoscopie indirecte ou encore en utilisant une lampe à fente avec un verre de contact pour l’examen du pôle postérieur (Figure 1).

Différents types de personnels de santé pourront examiner avec précision la papille optique, après avoir été dûment formés. La dilatation préalable de la pupille facilite l’examen et en améliore la précision, quel que soit l’instrument utilisé.

Lorsque l’on dispose de l’équipement nécessaire, il est possible de recourir à des techniques plus sophistiquées (par exemple tomographie à cohérence optique) pour compléter l’examen clinique de la papille optique et obtenir des mesures quantitatives.

L’examinateur n’a souvent pas beaucoup de temps pour observer la papille optique, car l’examen est désagréable pour le patient. Il est donc essentiel que l’examinateur fasse preuve de stratégie pour effectuer au plus vite les observations permettant de distinguer une papille optique normale d’une papille optique glaucomateuse.

Avant de commencer l’examen, il faut savoir reconnaître les caractéristiques d’une papille optique normale et celles d’une papille glaucomateuse et savoir repérer les signes supplémentaires pouvant indiquer une papille optique glaucomateuse.

Figure 2 Papille optique normale. © Rupert Bourne CC BY-NC 4.0

Caractéristiques d’une papille optique normale (Figure 2)

La papille optique ou disque optique est une sorte de « trou » rond ou ovale, dans lequel plus d’un million de fibres nerveuses rétiniennes passent au travers de ce que l’on appelle la « lame criblée ». Ces fibres nerveuses rétiniennes se regroupent ensuite derrière l’oeil pour former ce que l’on appelle le nerf optique, qui va jusqu’au cerveau.

Figure 3 Papille optique normale chez un jeune patient africain. © Heiko Philippin CC BY-NC 4.0

Les fibres nerveuses rétiniennes forment à la surface de la rétine une fine couche d’épaisseur inégale, d’aspect duveteux, que l’on aperçoit bien juste au-dessus et juste au-dessous de la papille (Figure 3).

Figure 3 Papille optique normale chez un jeune patient africain. © Heiko Philippin CC BY-NC 4.0
Figure 4 Neuropathie optique glaucomateuse : hémorragies en flammèche. © Rupert Bourne CC BY-NC 4.0

À l’approche de la papille optique, les fibres nerveuses convergent et passent par-dessus l’anneau scléral (qui marque le bord de la papille), puis sur la face interne de la papille. Ce regroupement important de fibres nerveuses au bord interne de l’anneau scléral nous apparaît sous la forme de l’anneau neurorétinien. L’excavation de la papille (ou « cup » en anglais) correspond à la zone centrale de l’anneau neurorétinien. Ce qui nous apparaît comme le bord externe de l’excavation papillaire (c’est-à-dire sa frontière avec l’anneau neurorétinien) correspond à l’endroit où les vaisseaux sanguins de petite ou moyenne taille paraissent se couder lorsqu’ils descendent dans l’excavation (ou en sortent).

Dans la plupart des cas, une papille normale tend à être ovale suivant un axe vertical et l’excavation papillaire tend à être ovale suivant un axe horizontal.

Par ailleurs, dans la plupart des papilles normales (mais pas toutes), l’épaisseur de l’anneau neurorétinien suit la règle dite « ISNT » : l’anneau est plus épais en position inférieure qu’en position supérieure ; son épaisseur décroît encore en position nasale, et l’anneau est le plus fin en position temporale. Soit l’ordre décroissant suivant : quadrant Inférieur, quadrant Supérieur, quadrant Nasal, quadrant Temporal (ISNT).

Figure 5 Papille optique normale (a) et papille glaucomateuse de patients à des stades différents de la maladie (b et c).

a) Papille optique normale Ratio cup/disc vertical = 0,2 b) Glaucome modéré (oeil gauche) Ratio cup/disc vertical = 0,7 avec une encoche à 1 heure. La courbe de la veine à 5 heures suggère un amincissement de l’anneau neurorétinien. On observe un défaut de la couche des fibres nerveuses en forme de segment triangulaire entre 12 heures et 2 heures, ainsi qu’un rejet nasal modéré des vaisseaux centraux de la rétine. c) Glaucome avancé (oeil droit) Ratio cup/disc vertical = 0,99. La papille (pratiquement toute l’excavation) est blanchâtre et la couche des fibres nerveuses rétiniennes n’est pas visible. On observe un rejet nasal important des vaisseaux centraux de la rétine et une atrophie parapapillaire.

Caractéristiques d’une papille optique glaucomateuse

  • Élargissement généralisé ou localisé de l’excavation papillaire. (Remarque : en vision monoscopique, le diamètre de l’excavation apparaît toujours plus petit qu’en vision stéréoscopique).
  • Hémorragie papillaire dans un rayon égal à un diamètre papillaire (Figure 4).
  • Amincissement de l’anneau neurorétinien, généralement aux pôles supérieur et inférieur (voir par exemple Figures 5 et 6).
  • Asymétrie lorsque l’on compare l’excavation dans les deux yeux du patient.
  • Perte de la couche de fibres nerveuses (Figure 7).
Figure 6 Papille optique glaucomateuse chez un patient présentant un glaucome pseudo-exfoliatif. La localisation du bord de l’excavation doit se baser sur les vaisseaux, pas sur la différence de couleur entre le centre blanchâtre de l’excavation et le pourtour rosâtre entre l’excavation et le bord papillaire. Si vous vous fiez à la différence de couleur, cela va vous induire en erreur. Le bord de l’excavation se repère grâce au changement de direction des vaisseaux de petite ou moyenne taille, qui indique ici un anneau moins épais que l’on ne pourrait le supposer en se fiant à la différence de couleur.
Figure 7 Neuropathie optique glaucomateuse : excavation centrale de la papille (encoche) et défaut de la couche des fibres nerveuses. © Rupert Bourne CC BY-NC 4.0

Signes supplémentaires renforçant la suspicion de glaucome

  • Ratio cup/disc ≥ 0,7. La mesure du ratio cup/disc ne suffit pas à elle seule et peut même induire en erreur, car une papille de petite taille aura une excavation de petite taille et donc un ratio cup/disc plus petit. Il est donc important de noter la taille de la papille en mesurant sa hauteur (dimension verticale). Dans la plupart des populations, seulement 5 % des personnes sans glaucome ont un ratio cup/disc ≥ 0,7.
  • L’épaisseur de l’anneau neurorétinien n’obéit pas à la règle ISNT.
  • Présence d’une atrophie péripapillaire (plus courante dans les yeux glaucomateux).

Stratégie à suivre pour distinguer une papille glaucomateuse d’une papille normale

  1. Dilatez la pupille, si possible, lorsque cela ne présente aucun danger pour le patient.
  2. Identifiez le bord de la papille, le bord de l’excavation papillaire et l’anneau neurorétinien.
  3. L’épaisseur de l’anneau neurorétinien obéit-elle à la règle ISNT ?
  4. Y a-t-il présence d’une hémorragie ?
  5. Mesurez la hauteur (dimension verticale) de la papille optique.*
  6. Estimez le ratio cup/disc vertical.
  7. Examinez la couche des fibres nerveuses rétiniennes (en lumière verte).*
  8. Dessinez et annotez un diagramme de la papille.

*Pour ce faire, il se peut qu’il faille utiliser une lampe à fente avec un verre de contact pour l’examen du pôle postérieur. Notez que, en fonction du verre de contact utilisé, la papille peut apparaître plus grande ou plus petite qu’elle ne l’est réellement. Par exemple, avec un verre de 90 dioptries, le grossissement est de 0,76 x (l’image apparaît plus petite), donc toute mesure doit être divisée par 0,76 pour être correcte. Avec une lentille de 78 dioptries le grossissement est de 0,93 x ; avec une lentille de 60 dioptries, il est de 1,15 x (l’image apparaît plus grande) et avec une lentille de 66 dioptries, le grossissement est égal à 1x (pas de correction nécessaire).

Est-ce que la neuropathie optique glaucomateuse a empiré ou évolué ?

La maladie a évolué ou s’est aggravée lorsqu’une ou plusieurs caractéristiques glaucomateuses apparaissent dans une papille optique, ou lorsque ces caractéristiques se sont accentuées par rapport à un examen antérieur.

Les hémorragies papillaires peuvent durer de deux semaines à trois mois et elles sont un signe pronostique important dans l’évolution de la maladie. Pour effectuer un compte-rendu précis, il faut observer avec soin et faire un croquis détaillé ; les photographies sont fortement recommandées (de préférence en stéréoscopie).

D’autres équipements d’imagerie médicale (voir plus loin) peuvent aider le clinicien à détecter un glaucome lorsque l’examen clinique ne permet pas de trancher si les papilles sont glaucomateuses.

Ces techniques offrent la possibilité d’analyser l’évolution de la maladie par la recherche d’atteintes structurales, mais ceci ne doit pas se substituer à un examen clinique détaillé.

Une détérioration progressive du champ visuel devrait être reflétée par des changements structurels au niveau de la papille optique.

Imagerie structurelle du nerf optique dans le glaucome

Le Conseil international de l’ophtalmologie (International Council of Ophthalmology ou ICO) a publié des Directives pour la prise en charge du glaucome. Ces dernières suggèrent que, dans le cadre de l’évaluation clinique du nerf optique pour diagnostiquer un glaucome, les techniques d’imagerie du nerf optique sont un examen complémentaire utile, mais pas essentiel, qui peut s’ajouter à l’ophtalmoscopie directe, la biomicroscopie et la rétinographie.

Les Directives du ICO mentionnent tout un ensemble de techniques pour analyser le nerf optique, notamment l’ophtalmoscopie confocale à balayage laser (tomographe rétinien de Heidelberg ou HRT), la polarimétrie à balayage laser (GDx Nerve Fibre Analyzer) et la tomographie à cohérence optique (TCO, voir Figure 8) ; cette dernière est à l’heure actuelle la technique de référence.

Figure 8 Examen de la papille optique (oeil droit) d’un patient glaucomateux avec différentes techniques : rétinographie, tomographie à cohérence optique et champ visuel. a) Rétinographie : noter l’amincissement caractéristique de l’anneau neurorétinien et les défauts de la couche des fibres nerveuses (dont les limites sont indiquées par les flèches blanches). On observe une lésion diffuse de la couche des fibres nerveuses touchant les régions inféro-temporale, inféronasale et nasale. © Rupert Bourne CC BY-NC 4.0
b) Rapport de l’examen par tomographie à cohérence optique : noter la haute qualité du scanner, l’amincissement de la couche des fibres nerveuses rétiniennes et la correspondance entre les zones de lésions péripapillaires avec ce qui est visualisé en rétinographie et avec l’examen du champ visuel.
c) Champ visuel de l’oeil droit : noter le déficit de champ visuel important dans l’hémichamp supérieur, qui s’étend à la zone de fixation, ainsi que le petit ressaut nasal.

L’utilisation de ces techniques d’imagerie structurelle permet à elle seule de différencier entre des yeux normaux et des yeux glaucomateux présentant une atteinte légère à modérée du champ visuel ; toutefois, à l’heure actuelle, aucune des techniques permettant d’évaluer les changements structurels de la papille optique ne peut être utilisée seule pour dépister le glaucome à un stade précoce ou modéré ou dans une population à haut risque.

Pour pouvoir évaluer les changements structurels, il est crucial que l’image soit de bonne qualité ; il peut aussi s’avérer difficile de faire la distinction entre une atteinte structurelle glaucomateuse, des écarts de mesures ou des changements liés à l’âge. Par ailleurs, chaque technique a ses propres propriétés optiques et algorithmes d’analyse, par conséquent les données saisies ne sont pas interchangeables d’une machine à l’autre. Le suivi de la maladie à un stade avancé peut se trouver limité par un effet de plancher, au-delà duquel on n’observe plus d’amincissement. L’amincissement structurel du nerf optique peut aussi être lié à une myopie, ce qui peut fausser l’interprétation des images dans le suivi de l’évolution du glaucome. Toutes ces techniques ne doivent pas se substituer à la photographie de la papille optique ; celle-ci est d’une importance capitale pour noter la disparition progressive de la papille optique et le suivi ultérieur de caractéristiques que l’on ne peut pas visualiser par TCO, par exemple les hémorragies papillaires.

En dépit des limites que nous venons d’évoquer, les changements structurels précèdent souvent les pertes fonctionnelles et sont un signe plus précoce de changement glaucomateux, aussi bien lors de la recherche du diagnostic que durant le suivi de l’évolution de la maladie. Par conséquent, ils fournissent des informations utiles lors de l’évaluation clinique du nerf optique en cas de glaucome (ou suspicion de glaucome).

Pièges et astuces

  • L’excavation de l’anneau neurorétinien est le trait distinctif de la neuropathie optique glaucomateuse.
  • Une papille glaucomateuse à un stade avancé a souvent un aspect blanchâtre, mais il ne faut pas oublier qu’une papille blanchâtre peut avoir d’autres causes, comme par exemple une atrophie optique.
  • Pour distinguer le bord de l’excavation (ou « cup »), il ne faut pas se baser sur la différence de couleur ; il vaut mieux se fier au changement de direction des vaisseaux sanguins (Figure 2).
  • L’anomalie papillaire doit pouvoir être corrélée avec la détérioration du champ visuel. Si ce n’est pas le cas il faut envisager des examens supplémentaires, par exemple imagerie cérébrale et orbitaire par IRM ou tomodensitométrie.
  • Le diamètre de l’excavation apparaît toujours plus petit en vision monoscopique qu’en vision stéréoscopique.

Lectures complémentaires

Fingeret M, Medeiros FA, Susanna R Jr, Weinreb RN. Five rules to evaluate the optic disc and retinal nerve fibre layer for glaucoma. Optometry. 2005;76(11):661–8.

Iester M, Garway-Heath D, Lemij H (Eds). Optic nerve head and retinal nerve fibre analysis. Savona, Italy: Dogma Publishing 2005.

Gupta N, Aung T, Congdon N, Dada T, Lerner F, Olawoye S, et al. ICO Guidelines for Glaucoma Eye Care. Int Counc Ophthalmol. 2015;32(October):1–20.

Sanchez-Galeana C, Bowd C, Blumenthal EZ, Gokhale PA, Zangwill LM, Weinreb RN. Using optical imaging summary data to detect glaucoma. Ophthalmology. 2001 Oct;108(10):1812–8. Li G, Fansi AK, Boivin J-F, Joseph L, Harasymowycz P. Screening for glaucoma in high-risk populations using optical coherence tomography. Ophthalmology. 2010 Mar;117(3):453–61.

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Mansouri K, Leite MT, Medeiros FA, Leung CK, Weinreb RN. Assessment of rates of structural change in glaucoma using imaging technologies. Eye (Lond) [Internet]. 2011/01/07. 2011 Mar;25(3):269–77