RSOC Vol. 08 No. 09 2011 pp 11 - 12. Publié en ligne 09 janvier 2011.

Greffe de cornée : ce que doivent savoir les agents de santé

David Yorston

Ophtalmologiste, chef de clinique, Gartnavel Hospital, 1053 Great Western Road, Glasgow G12 0YN, Royaume-Uni.


Prashant Garg

Directeur adjoint, Services cornée et segment antérieur, LV Prasad Eye Institue, Hyderabad, Inde.

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La mise en œuvre de mesures simples de santé au niveau primaire permet de prévenir de nombreuses causes fréquentes de cécité cornéenne : carence en vitamine A, trachome et ophtalmie du nouveau-né. Certaines affections cornéennes potentiellement cécitantes sont plus difficiles à prévenir, mais peuvent être traitées efficacement : kératite suppurative (page 6) ou kératite herpétique. En dépit de cela, certains patients développent une cécité cornéenne : que peut-on faire dans ces cas ?

Actuellement, pour les patients atteints de cécité cornéenne, la greffe de cornée offre le meilleur espoir de restaurer la vue.

Comparée aux autres types de greffe, la greffe de cornée est relativement simple. Bien que sa réalisation nécessite une formation chirurgicale supplémentaire, l’opération ellemême ne requiert pas d’équipement spécialisé en dehors d’un jeu standard d’instruments de cataracte et d’un bon microscope opératoire. La cornée n’étant pas irriguée par des vaisseaux sanguins, le risque de rejet du greffon est moins important que dans le cas d’autres greffes.

Cet article a pour but de fournir des directives aux personnels de santé qui souhaitent savoir quels patients peuvent bénéficier d’une greffe de cornée et quelles peuvent être les complications à prendre en charge une fois la greffe réalisée.

Figure 1. Kératocône. Notez la cicatrice centrale, l'amincissement et l'ectasie. © David Yorston
Figure 1. Kératocône. Notez la cicatrice centrale, l’amincissement et l’ectasie. © David Yorston

Qu’est-ce que la greffe de cornée ?

Au cours de cette opération, le chirurgien excise grâce à un trépan un disque de 7 à 8 mm de diamètre dans la partie centrale de la cornée lésée du patient. Un disque de cornée du donneur, de taille similaire, est alors inséré et maintenu en place par des sutures. Dans la plupart des cas, le greffon contient toute l’épaisseur de la cornée, y compris l’épithélium, le stroma et l’endothélium ; on parle alors de greffe de pleine épaisseur. Il est cependant également possible de ne greffer que les couches antérieures (stroma et épithélium) ou postérieures (endothélium et membrane de Descemet).

Indications et pronostic

Toute affection cornéenne entraînant une déficience visuelle est potentiellement une indication pour une greffe de cornée. Toutefois, le pronostic d’une greffe de cornée varie énormément.

Le risque de rejet est plus élevé si la cornée est vascularisée ou enflammée, ou encore si elle est perforée (ce qui est susceptible de se produire en cas de kératite suppurative grave, par exemple). Le risque de rejet du greffon est également élevé en cas de maladie affectant toute la surface oculaire.

Le Tableau 1 présente une liste d’affections pouvant être des indications pour une greffe de cornée, ainsi que le pronostic dans chaque cas de figure. Ce serait gaspiller inutilement un précieux greffon cornéen que de pratiquer une greffe dans les cas où le pronostic est jugé péjoratif.

Tableau 1. Indications et pronostic de la greffe de cornée

Diagnostic Pronostic
Kératocône Excellent
Dystrophies cornéennes, par ex. grillagée, granulaire, de Fuchs Excellent
Cicatrice cornéenne après cicatrisation d’un ulcère Moyen
Kératopathie bulleuse, de l’aphaque ou du pseudophaque Moyen
Kératite herpétique Moyen
Cicatrice cornéenne : ulcère actif/kératite, risque de perforation (une greffe peut permettre de sauver l’œil plutôt que la vision) Mauvais
Cicatrice cornéenne : trachome Péjoratif
Affection touchant la surface oculaire : brûlures chimiques, syndrome de Stevens-Johnson Péjoratif
Ulcère de Mooren Péjoratif
Reprise chirurgicale : deuxième greffe Péjoratif

Le pronostic visuel après une greffe de cornée dépend également du reste de L’œil , pas seulement de l’état de la cornée et de la surface oculaire. La greffe de cornée est contre-indiquée en cas de pression intraoculaire (PIO) mal contrôlée, car elle aura vraisemblablement un effet négatif sur le maintien de la PIO. Les patients qui présentent une affection du segment postérieur intéressant la rétine ou le nerf optique ne retireront également aucun bénéfice d’une greffe de cornée.

Une greffe de cornée requiert des soins postopératoires bien plus importants qu’une extraction de cataracte. Ceux-ci comprennent des visites de suivi à intervalles très réguliers et l’instillation fréquente de collyres coûteux ; il est donc important que le patient greffé apprécie sa nouvelle cornée et soit suffisamment motivé pour en prendre le plus grand soin.

Les patients auront plus de chances d’apprécier leur nouvelle cornée si la greffe a été réalisée dans leur « meilleur œil ». En général, ceci signifie que les patients présentant un œil affecté et un œil à la vision parfaite ne sont pas de bons candidats à la greffe ; il y a toutefois des exceptions, par exemple lorsque L’œil affecté est également douloureux.

La greffe de cornée chez l’enfant présente un pronostic très péjoratif et nécessite des soins postopératoires encore plus intensifs ; il faut donc bien réfléchir avant de la recommander.

Figure 2a. Rejet de greffe. Notez l'œdème dans les deux tiers inférieurs du greffon © David Yorston
Figure 2a. Rejet de greffe. Notez l’œdème dans les deux tiers inférieurs du greffon © David Yorston
Figure 2b. Rejet de greffe. Notez les multiples précipités kératiques © David Yorston
Figure 2b. Rejet de greffe. Notez les multiples précipités kératiques © David Yorston

Résultats

Les résultats d’une étude menée dans le sud de l’Inde1 ont montré que 69 % des cornées greffées étaient transparentes deux ans après l’opération. Selon une autre étude réalisée en Afrique de l’Est2, 87 % des greffes de cornée réalisées chez des patients présentant un kératocône (Figure 1) avaient « tenu » au moins deux ans, alors que ce chiffre était de 65 % pour les greffes de cornées chez des patients présentant une autre affection.

Malheureusement, un greffon transparent ne garantit pas une bonne vision. Les patients peuvent présenter des affections concomitantes, comme un glaucome, une cataracte ou une amblyopie. Une greffe de cornée modifie de façon significative la forme de la cornée, ce qui entraîne souvent un astigmatisme important se prêtant difficilement à la correction optique.

Selon l’étude menée en Afrique de l’Est2, les résultats visuels d’une greffe de cornée étaient nettement meilleurs chez les patients présentant un kératocône que chez les autres patients. Parmi les patients greffés en raison d’un kératocône, 33 % avaient moins de 1/10 d’acuité visuelle dans les deux yeux avant l’opération ; en postopératoire, ce chiffre n’était que de 5 % et 78 % des patients greffés avaient une acuité visuelle supérieure ou égale à 3/10. Ces données montrent que la greffe de cornée est un traitement efficace contre la cécité due au kératocône.

Ces études démontrent également l’importance de suivre et de rapporter les résultats des greffes de cornée.

Complications

En Inde du Sud1, tout comme en Afrique de l’Est2, le rejet du greffon et la kératite infectieuse étaient les principales raisons de l’échec de la greffe de cornée. Ces deux complications peuvent faire l’objet d’un traitement et elles peuvent souvent également être prévenues. Dans bien des cas, une prise en charge efficace et précoce de ces complications dans un centre de santé oculaire local aurait permis d’éviter l’échec de la greffe.

Figure 3. La rupture d'un point de suture a entraîné l'apparition de vaisseaux sanguins dans le greffon, augmentant ainsi le risque de rejet. Le greffon est entouré d'un infiltrat, ce qui indique une infection éventuelle. © David Yorston
Figure 3. La rupture d’un point de suture a entraîné l’apparition de vaisseaux sanguins dans le greffon, augmentant ainsi le risque de rejet. Le greffon est entouré d’un infiltrat, ce qui indique une infection éventuelle. © David Yorston

Rejet

Le rejet du greffon (Figure 2) se produit lorsque le système immunitaire du patient attaque les cellules endothéliales « étrangères » du greffon de cornée. Environ 20 à 30 % des greffes de pleine épaisseur s’accompagnent d’un épisode de rejet à un moment ou à un autre. Les symptômes les plus courants du rejet de greffe sont : vision trouble, photosensibilité, rougeur et douleur. Il faut conseiller aux patients de consulter immédiatement en cas de survenue d’un de ces symptômes. Le rejet se reconnaît à l’apparition d’un œdème cornéen dans un greffon jusque-là transparent. L’œdème se développe généralement dans la partie inférieure du greffon et s’étend ensuite vers sa partie supérieure. On observe souvent une inflammation oculaire, ainsi qu’une ligne de précipités kératiques sur le pourtour de la cornée œdémateuse (Figures 2a et 2b).

La prévention du rejet commence dès la sélection des candidats à l’opération. Certaines affections, comme le kératocône et autres dystrophies cornéennes, présentent un risque de rejet très faible. Une fois l’opération réalisée, l’instillation d’un collyre corticoïde permet de prévenir le rejet. La fréquence et la durée de ces instillations varieront en fonction de l’affection sousjacente et de l’estimation du risque de rejet. Quel que soit le protocole utilisé, il ne faut jamais cesser brutalement les instillations de collyre corticoïde, mais au contraire les diminuer très progressivement. En général, après une greffe de pleine épaisseur, la durée de la corticothérapie est de 6 mois chez les patients phaques et de 12 mois chez les patients pseudophaques ou aphaques.

Un diagnostic précoce et un traitement immédiat du rejet de greffe permettent souvent d’en inverser le cours. La prise en charge recommandée en cas de rejet de greffe est une corticothérapie intensive, sous forme d’instillations de collyre toutes les heures. Il a été démontré qu’une corticothérapie systémique (par exemple avec 500 mg de méthylprednisolone) a très peu d’effet sur le rejet ; par conséquent, les auteurs du présent article déconseillent l’utilisation des corticoïdes par voie générale.

Infection

La kératite suppurative est une autre cause fréquente de rejet du greffon. Celle-ci se présente comme une kératite d’origine microbienne (voir page 6). Les patients greffés présentent un risque accru d’infection cornéenne parce que leur cornée n’est pas aussi sensible (par déficit d’innervation) et parce qu’ils sont souvent sous corticothérapie au long cours. La prise en charge de la kératite infectieuse chez un patient greffé sera la même que chez tout autre patient. Chaque fois que cela s’avère possible, il est utile d’effectuer un frottis de cornée, une mise en culture et une coloration (voir page 9). Une fois le frottis réalisé, il faut immédiatement mettre le patient sous traitement antibiotique intensif pendant au moins 48 heures ; on choisira soit une monothérapie avec une fluoroquinolone en application locale (ofloxacine, par exemple), soit une combinaison de céphalosporine (céfuroxime, par exemple) et d’aminoglycoside (gentamicine, par exemple). Dans certains contextes, un traitement antifongique sera nécessaire.

Relâchement d’un point de suture Après une greffe de cornée, le facteur le plus courant de prédisposition à la kératite infectieuse est le relâchement d’un point de suture. Avec le temps, au fur et à mesure que la greffe cicatrise, les fines sutures se relâchent ou se rompent. Dans les deux cas, les points de suture érodent l’épithélium cornéen. Ce dernier ne peut alors plus faire barrage et des microorganismes pénètrent dans la cornée, entraînant une infection. Un point de suture relâché favorise également la croissance de vaisseaux sanguins dans la cornée, ce qui peut entraîner un rejet du greffon.

Tout point de suture rompu ou relâché faisant saillie hors de l’épithélium doit être immédiatement enlevé. Une coloration à la fluorescéine pourra mettre en évidence les points de suture qui dépassent. Les agents de santé ont souvent peur d’enlever un point de suture, de crainte que celui-ci ne soit la seule chose qui tient la cornée en place ! C’est une réaction parfaitement compréhensible ; cependant, si un point de suture est rompu ou relâché, il ne peut être d’aucun soutien, n’est d’aucune utilité et augmente considérablement le risque de complications. Il est donc très important de l’enlever immédiatement.

Pour enlever un point de suture, instillez 1 à 2 gouttes de collyre anesthésique à 3 reprises et attendez 3 à 5 minutes après la dernière instillation. Coupez ensuite le point de suture avec le côté tranchant d’une aiguille de calibre 26, puis saisissez une extrémité du fil de suture avec une pince très fine et retirez doucement le fil. Administrez toujours un collyre antibiotique pendant les 5 jours qui suivent, afin d’éviter une infection.

Résumé

La cécité cornéenne peut être prévenue dans la plupart des cas, mais en cas de déficience visuelle bilatérale à la suite d’une affection cornéenne, la greffe de cornée offre le seul espoir de restaurer la vue.

Les meilleurs candidats à la greffe de cornée sont les patients présentant un kératocône ou autre dystrophie cornéenne ; chez 90 % de ces patients, le greffon restera transparent pendant au moins 2 ans.

Une bonne prise en charge postopératoire est essentielle. Les patients doivent être traités par corticothérapie locale au long cours et il ne faut jamais interrompre brutalement ce traitement.

Le rejet de greffe est souvent réversible, à condition de le traiter immédiatement par corticothérapie locale.

Tout point de suture relâché doit être enlevé immédiatement pour réduire le risque de kératite microbienne.

Références

1 Dandona L, Naduvilath TJ, Janarthanan M, Ragu K, Rao GN. Survival analysis and visual outcome in a large series of corneal transplants in India. Br J Ophthalmol 1997;81: 726-31.

2 Yorston D, Wood M, Foster A. Penetrating keratoplasty in Africa: graft survival and visual outcome. Br J Ophthalmol 1996;80: 890-4.