RSOC Vol. 05 No. 05 2008 pp 11. Publié en ligne 01 janvier 2008.

Le point de vue du consommateur : comment la communauté perçoit les amétropies

Sumrana Yasmin

Chef de projet


Hasan Minto

Conseiller pour les vices de réfraction et la basse vision Sightsavers International, House No 2, Street No 10, F-7/3, Islamabad, Pakistan.

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Les membres de la communauté comprennent la nécessité du port de lunettes chez les enfants. PAKISTAN. Syed Majid/PICO
Les membres de la communauté comprennent la nécessité du port de lunettes chez les enfants. PAKISTAN. Syed Majid/PICO

Une étude sur la cécité et la déficience visuelle, menée à l’échelle nationale entre 2002 et 2004, a montré que la prévalence de la cécité était de 0,9 % au Pakistan. Trois pour cent de ce chiffre peut être attribué aux amétropies. La population du Pakistan s’élevant à 150 millions, ce pourcentage équivaut à un peu plus de 40 000 personnes. Au vu de ces chiffres, il est donc urgent de développer les services de réfraction de façon globale.

Les aspects scientifique et programmatique des services de prise en charge des amétropies ont fait l’objet de nombreuses études ; il n’existe cependant pas assez de données sur ce que l’on peut appeler le point de vue du consommateur et sur les raisons susceptibles d’expliquer pourquoi ces services ne sont pas assez utilisés. Nous avons élaboré une étude pour découvrir comment la communauté perçoit les amétropies, pour évaluer les tendances socioculturelles, les pratiques et les attitudes relatives au port de lunettes de correction, et pour étudier la question de l’accessibilité financière et de la disponibilité des lunettes dans les communautés rurales et urbaines.

Nous avons eu recours à des entrevues de groupes et à des techniques participatives d’évaluation rapide pour récolter des informations auprès de la communauté. Nous avons développé un questionnaire à base de questions fermées, dont nous avons testé la validité sur le terrain. Une équipe composée de cinq enquêteurs (deux femmes et trois hommes) a ensuite mené la recherche sur le terrain. Au total, 479 questionnaires ont été remplis. Les participants étaient des membres de communautés diverses, choisis parmI 11 grappes d’individus représentant les contextes urbain, semi-urbain et rural. Chaque grappe comprenait entre 15 et 25 sujets. Personne n’a refusé de participer. Les données quantitatives ont été apurées, puis analysées avec le logiciel d’analyse statistique SPSS, version 11.

Parmi les personnes interrogées, 41 % étaient des femmes et 59 % étaient des hommes. La répartition par âge des participants était la suivante : 41 % étaient âgés de 1 à 15 ans ; 27 % avaient entre 16 et 30 ans ; 18 % entre 31 et 40 ans ; 14 % avaient plus de 41 ans. Parmi les répondants, 44 % étaient mariés et 32 % allaient à l’école. Tous les groupes ethniques étaient représentés.

De nombreux individus ne savaient pas quels services étaient disponibles pour la prise en charge des amétropies et ne se considéraient pas comme étant porteurs d’amétropies. La principale raison pour laquelle les personnes interrogées n’avaient pas acheté les lunettes qui leur avaient été prescrites était que le prix de celles-ci était trop élevé.

L’aspect esthétique était important pour les membres de toutes les communautés incluses dans notre étude. Les femmes qui avaient cessé de porter leurs lunettes ont donné comme principales raisons la pression exercée par la communauté et l’aspect esthétique. La stigmatisation du port de lunettes était apparente chez les femmes, qui tenaient à obtenir plus de renseignements sur les autres options possibles, comme les lentilles de contact et la chirurgie réfractive. Ces femmes ont témoigné qu’elles devaient souvent faire face à la pression sociale, pas seulement à cause du fait que les lunettes étaient jugées inesthétiques, mais également parce l’on estimait que leurs enfants hériteraient de leur déficience visuelle.

Dans les zones rurales, 69 % des gens pensaient que le port de lunettes entraînerait une détérioration de leur vision ; ils essayaient donc d’éviter d’en porter. Toutefois, la plupart des répondants comprenaient la nécessité du port de lunettes chez les enfants. Selon eux, les lunettes aidaient les enfants à continuer leurs études et amélioraient leur qualité de vie. Par contre, ils trouvaient aussi que le port de lunettes constituait un obstacle aux activités sportives et autres activités extrascolaires.

À l’échelle nationale, la majorité des répondants ont affirmé avoir recours aux services de prise en charge des amétropies dans le secteur privé, plutôt que dans le secteur public. L’explication était que, dans le secteur privé, ils avaient accès aux services de réfraction et aux services d’optiquelunetterie dans un seul et même lieu. Par ailleurs, ils étaient mécontents de l’attitude des prestataires de soins dans le secteur public.

Dans les communautés plus démunies, le prix moyen payé pour des lunettes allait de 1,5 à 4 dollars US. Dans la plupart des cas, la réfraction oculaire était comprise dans ce prix. Les familles de classe moyenne dépensaient en moyenne entre 6 et 10 dollars US pour des lunettes. On trouve partout au Pakistan un ensemble de montures abordables ; toutefois, dans les petites villes, on observe clairement l’absence de montures modernes de qualité.

En résumé, notre étude suggère qu’il existe actuellement un certain nombre d’obstacles à la correction efficace des amétropies :

  • il existe un manque de sensibilisation aux amétropies et celles-ci ne sont pas assez souvent reconnues comme des formes traitables de déficience visuelle ; la situation est aggravée par l’absence de services financièrement abordables
  • certains facteurs culturels entraînent l’arrêt du port des lunettes, en particulier chez les femmes
  • les prestataires de soins ne sont pas toujours conscients de l’importance de fournir des lunettes de qualité, seyantes et confortables, pour s’assurer de leur constante utilisation.

Lorsque l’on élabore des programmes de prise en charge des amétropies, le point de vue des consommateurs est rarement pris en compte. Nous sommes convaincus que des études à base communautaire de ce type devraient être menées lors du processus de planification des programmes.

Références

1 Holden BA, Sulaiman S, Knox KBA. Challenges of providing spectacles in the developing world. Comm Eye Health J 2000;13(33): 9-10.

2 Ali SM, Johnson GJ, Bourne RRA, Dineen BP, Huq DMN. Correction of refractive errors in the adult population of Bangladesh: meeting the unmet need. Invest Ophthalmol & Vis Sci 2004;45(2): 410-417.

3 Situation analysis of refractive services in Pakistan. Données non publiées.