RSOC Vol. 18 No. 25 2021 pp 20-21. Publié en ligne 15 septembre 2021.

Les personnels de santé non spécialisés en ophtalmologie : un maillon essentiel dans la prise en charge des affections oculaires

Daniel Etya’alé

Professeur Émérite d’Ophtalmologie et de Santé Globale ; ancien Coordinateur du Programme VISION 2020 pour toute l’Afrique ; Fondateur et Président de l’Association “Afin Que Chaque Vie Compte”, Genève, Suisse.


Une agente de santé se tient debout devant une échelle de mesure de l’acuité visuelle montrant des optotypes en trident. Elle tient une baguette et la pointe vers l’un des tridents.
Mesure de l’acuité visuelle avec une échelle pour personnes non lettrées. OUGANDA © Terry Cooper www.terrycooperphotography
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Bien formé et encadré, le personnel de santé non spécialisé en ophtalmologie pourrait devenir un maillon essentiel dans la prise en charge complète des soins oculaires.

Pour les malades des yeux, le personnel de santé non spécialisé est souvent le seul recours

La prévention, la détection précoce et la prise en charge des affections oculaires reste largement inadéquate en Afrique sub-saharienne en général, et plus particulièrement en Afrique francophone. Parmi les principales raisons de cet état de fait, on peut citer :

  • La pénurie absolue (en quantité) et relative (du fait de la maldistribution à travers le territoire national) du personnel spécialisé en ophtalmologie.
  • L’approche presque exclusivement verticale et peu intégrée des activités de soins oculaires déployées dans la plupart des pays par divers acteurs.
  • Le peu de pertinence et de profondeur des formations en ophtalmologie actuellement proposées aux personnels de santé non spécialisés en ophtalmologie, qui les laisse souvent désemparés, voire même paniqués, une fois sur le terrain, face à la plupart des affections oculaires, même les plus communes.
  • Le fait que lorsqu’on a un problème oculaire et qu’on vit dans une région sans le moindre spécialiste des yeux à plus de 500–1 000 km à la ronde, l’agent de santé généraliste, bien formé ou pas, reste dans ces circonstances le seul et unique recours.

Vue sous cet angle-là, la vraie question n’est plus tant de savoir si l’agent de santé, ou tout personnel de santé non spécialisé en ophtalmologie, doit ou non voir et examiner les malades des yeux. La question est plutôt : comment aider ce personnel à être plus utile aux malades présentant des affections oculaires, et à ne pas leur nuire involontairement ?

Deux fillettes, dont l’une porte un bébé accroché dans son dos, se tiennent devant un mur où est affichée une échelle de vision. Elles tiennent chacune une feuille à la main.
Jeunes patients attendant une évaluation de leur acuité visuelle. ZAMBIE © IAPB CC BY-NC 4.0

Définition de l’agent de santé en soins oculaires de base

Très souvent, le seul point de contact des malades souffrant d’affections oculaires est le personnel de santé non spécialisé en ophtalmologie. Ce personnel est, de fait, un « agent de santé en soins oculaires de base » (ou plus simplement « agent de soins oculaires de base »), un terme que nous utilisons pour définir tout personnel de santé qui, sans être spécialiste et proposées aux personnels de santé non spécialisés en ophtalmologie, qui les laisse souvent désemparés, voire même paniqués, une fois sur le terrain, face à la plupart des affections oculaires, même les plus communes. et des compétences fort limitées en ophtalmologie, est pourtant le seul dans son lieu d’exercice quotidien à voir, à évaluer, à traiter et à conseiller les malades des yeux.

Ainsi défini, l’agent de soins oculaires de base représente une large frange du personnel de santé actuellement en exercice dans de nombreux pays aux ressources limitées. Le terme inclut ainsi, entre autres, les cadres suivants :

  • Les sages-femmes qui, dans les régions où sévit encore l’ophtalmie du nouveau-né (une conjonctivite rapidement cécitante en l’absence d’une prise en charge précoce et appropriée), peuvent jouer un rôle moteur et déterminant dans sa prévention, voire son élimination.
  • Le personnel de Soins Mère et Enfants (SME), l’un des services de santé les plus fonctionnels dans de nombreux pays, qui assure le suivi régulier des enfants de 0 à 5 ans (croissance, état nutritionnel, vaccination, déparasitage, etc.).
  • Le personnel impliqué dans les activités du programme PCIME (Prise en Charge Intégrée des Maladies de l’Enfant) qui lui aussi voit beaucoup d’enfants, y compris ceux qui souffrent de leurs yeux, et peut donc, comme le groupe précédent, jouer un rôle déterminant dans la promotion de la santé oculaire et la détection précoce des pathologies telles que la cataracte ou le glaucome congénital, le strabisme et l’amblyopie.
  • Les étudiants en médecine et les élèves infirmiers, dont les stages dans les services d’ophtalmologie ne leur confèrent le plus souvent que des notions très sommaires en ophtalmologie, et très rarement des compétences suffisantes pour évaluer, diagnostiquer et prendre en charge les maladies oculaires, même les plus fréquentes, une fois sortis de l’école.
  • Les médecins de district, véritables omnipraticiens à qui sont souvent référés, à l’intérieur de leur district, de nombreux malades des yeux simplement pour « problème des yeux ».
  • Les infirmiers chefs de poste de santé qui, à un moindre degré mais pour des raisons similaires, accueillent souvent les malades des yeux sans préparation technique aucune.
  • Les pédiatres qui, là où ils existent, peuvent être mis à contribution dans la prise en charge précoce des pathologies oculaires chez les 0 à 15 ans, surtout dans cette tranche d’âge critique de 0 à 6 ans, durant laquelle certaines anomalies et pathologies oculaires sont encore réversibles.
  • Le personnel des centres de diabète et plus généralement ceux responsables de la prise en charge et du suivi des diabétiques.
  • Le personnel de santé oculaire, enfin.

Cette longue liste explique aussi notre choix pour le terme plus fédérateur de « Soins oculaires de base » à la place de celui, plus traditionnel mais aussi plus polémique, de « Soins oculaires primaires », un terme souvent perçu à tort, il est vrai, par certains membres de l’équipe de santé comme fortement réducteur et donc dégradant.

L’agent de soins oculaires de base : rôles, connaissances et compétences requises

La liste qui suit, non exhaustive et adaptable à souhait, donne une idée de ce qu’un agent de soins oculaires de base (ASOB) bien formé, bien équipé et bien accompagné (c’est-à-dire, régulièrement supervisé et recyclé), peut faire :

  1. Connaître, de manière sommaire mais succincte, l’anatomie de l’œil et ses annexes, ainsi que leur fonctionnement.
  2. Bien connaître les grands groupes de médicaments prescrits dans le traitement des pathologies oculaires, leurs principales indications ainsi que leurs effets secondaires (voire leur dangerosité), aussi bien au niveau local que général.
  3. Maîtriser l’examen oculaire de base et surtout être capable, au terme de cet examen, de distinguer un œil normal d’un œil pathologique.
  4. Savoir reconnaitre, au terme de l’interrogatoire et de l’examen de base, les pathologies oculaires les plus communes, et en particulier celles menaçant directement à court terme le pronostic visuel.
  5. Savoir reconnaître ou, à défaut, suspecter les principales causes silencieuses de cécité dans la région (comme la cataracte, le glaucome, la rétinopathie diabétique, etc.).
  6. Connaître, dans leurs grandes lignes, les modalités de prise en charge en milieu spécialisé des principales affections oculaires, afin de mieux les expliquer et convaincre ainsi ceux des patients nécessitant une évacuation auprès du spécialiste.
  7. Bien connaître les rôles mais aussi les limites de l’ASOB dans la prise en charge des affections oculaires : les gestes à faire ou à ne pas faire ; quand et où référer les patients ; les premiers soins à dispenser et les conseils à prodiguer aux patients, en attendant leur évacuation en milieu spécialisé.
  8. Savoir expliquer au patient (ou à ses accompagnateurs) la gravité et le pronostic de sa maladie, le but du traitement proposé, le suivi et la surveillance nécessaires et, en cas d’évacuation en urgence, les principales raisons de celle-ci.
  9. Savoir quoi faire au cas où, pour des raisons de finances, de logistique ou de calendrier (activités agro-pastorales, deuil, mariage, etc.) l’évacuation du patient ne peut pas se faire dans l’immédiat comme recommandé.

Conclusion

Malgré les progrès réalisés à l’échelle mondiale depuis le lancement de VISION 2020, certains problèmes demeurent, notamment de grosses disparités dans la distribution du personnel ophtalmique spécialisé dans de nombreux pays francophones. Il n’est pas si rare de trouver encore des districts, voire des régions sanitaires entières, sans un seul personnel spécialisé en ophtalmologie, de quelque niveau que ce soit.

Il y a cependant lieu d’espérer car, contrairement à la situation qui prévalait il y a 20 ans, il existe aujourd’hui, et ce dans pratiquement tous les pays, un nombre croissant de personnel médical, non spécialisé il est vrai, exerçant dans ces régions rurales isolées : pédiatres, médecins généralistes, infirmiers, sages-femmes, etc. Ces personnels, une fois bien initiés en soins oculaires de base et surtout bien encadrés, pourraient jouer un rôle déterminant dans les activités de promotion de la santé oculaire, de prévention, de détection et de référence précoces des maladies oculaires dans leurs zones d’intervention respectives. Ils pourront ainsi constituer un maillon essentiel dans la prise en charge au premier niveau de la santé oculaire dans les pays aux ressources limitées et devenir des partenaires précieux et incontournables dans la prise en charge intégrée des soins oculaires.

Une libre

Cet article est une adaptation du Chapitre 4 de l’ouvrage de D. Etya’alé : Soins oculaires essentiels : Manuel de soins oculaires de base. 2018.

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