RSOC Vol. 15 No. 19 2018 pp 7-9. Publié en ligne 26 mars 2018.

Mesure des inégalités en santé oculaire : un premier pas vers le changement

Jacqui Ramke

University of New South Wales, School of Social Sciences, Sydney, Australie.


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Le recueil de données pertinentes permet de mieux comprendre les inégalités. TANZANIE © Lance Bellers /ICEH
Le recueil de données pertinentes permet de mieux comprendre les inégalités. TANZANIE © Lance Bellers /ICEH

Avant de mettre en oeuvre un plan d’action pour réduire les inégalités en santé oculaire, il vous faut d’abord identifier et mesurer les inégalités qui existent dans votre contexte. Cet article offre des suggestions sur les étapes à suivre.

Les inégalités en santé sont des différences d’état de santé observées entre les sous-groupes d’une population1, par exemple les hommes et les femmes, les personnes handicapées et non handicapées, ou encore les personnes vivant en milieu urbain et celles qui vivent en milieu rural.

Beaucoup d’entre nous ne disposent pas d’informations suffisantes sur la nature et l’ampleur des inégalités actuelles, et sur l’efficacité des services en place. Ce manque d’information entrave notre capacité à planifier les stratégies nécessaires pour réduire les inégalités et à mesurer les progrès accomplis dans l’établissement d’un système de santé oculaire équitable.

Fort heureusement, le suivi des inégalités en santé peut nous permettre d’obtenir ces informations. Le suivi est un processus qui nous aide à déterminer l’efficacité des politiques et pratiques mises en place et la nécessité éventuelle de mettre en oeuvre des changements. Deux sources principales de données peuvent être utilisées pour suivre les inégalités : les enquêtes en population générale et les données recueillies par nos centres de santé. L’idéal serait d’utiliser ces deux sources d’information. Toutefois, la plupart d’entre nous ne disposent ni du temps ni des ressources nécessaires à la mise en oeuvre d’une enquête en population générale, par conséquent cet article se concentrera essentiellement sur le suivi des inégalités grâce aux données recueillies par les centres de santé.

Le recueil d’informations dans votre centre de santé vous permettra de confirmer ou de découvrir toutes sortes d’inégalités. Par exemple, vous pouvez avoir remarqué que, en dépit de la composition de la communauté desservie par votre centre de santé, la plupart de vos patients opérés de la cataracte sont membres d’une famille de fonctionnaires du gouvernement et que très peu d’entre eux sont des agriculteurs ; ou que la plupart de vos patients proviennent d’un quartier urbain favorisé plutôt que d’un milieu rural défavorisé ; ou que vos patients appartiennent en majorité au groupe ethnique ou religieux ayant le plus d’influence et proviennent rarement de populations minoritaires. Vous pouvez aussi avoir observé qu’il y a très peu de veuves parmi vos patients.

Quels groupes doit cibler le suivi ?

Pour réduire les inégalités, nous devons d’abord identifier les sous-groupes de la population ayant plus de difficultés à accéder à nos services et à en bénéficier (par exemple agriculteurs, populations minoritaires, personnes de milieu défavorisé, etc.). Certains d’entre nous travaillent dans un cadre où le ministère de la santé ou l’établissement de soins ont déjà identifié les sous-groupes à suivre en priorité, donc il est possible que vous ayez accès à des ressources et conseils au niveau local. Lorsque ce n’est pas le cas, il vous faudra décider quels sous-groupes essentiels devront être inclus dans votre suivi.

L’encadré ci-dessous énumère les facteurs sociaux souvent associés aux inégalités de santé et vous aidera à choisir les sous-groupes à inclure dans votre suivi2. Certains de ces facteurs sociaux délimitent automatiquement des sous-groupes (par exemple l’âge ou le sexe), alors que d’autres nous obligent à adopter des définitions claires et cohérentes (par exemple le statut socioéconomique, le niveau d’instruction, le type de profession, etc.).

Facteurs sociaux liés aux inégalités de santé

  • Âge
  • Sexe
  • Lieu de résidence
  • Profession
  • Niveau d’instruction
  • Statut socioéconomique
  • Capital social
  • Groupe ethnique, culture, langue
  • Religion
  • Handicap
  • Statut migratoire

Quelles données utiliser pour le suivi ?

Une fois que nous avons identifié les sous-groupes à suivre, nous pouvons utiliser un certain nombre des indicateurs de santé recueillis régulièrement par notre centre, ce afin de mettre en évidence d’éventuelles inégalités entre les sous-groupes. Ces indicateurs comprennent :

  • Prévalence de certaines affections (par exemple cécité, déficience visuelle, trichiasis trachomateux, rétinopathie diabétique).
  • Qualité des soins (par exemple résultat visuel postopératoire).
  • Accès aux services de différents groupes : par exemple couverture chirurgicale de la cataracte, taux de chirurgie de la cataracte, couverture de la correction des vices de réfraction, présence lors du dépistage de la rétinopathie diabétique, capacité à payer, etc.
  • Facteurs liés aux services de soins oculaires : par exemple répartition des unités de soins oculaires et du personnel de santé oculaire, disponibilité de services subventionnés ou de protection financière pour les sous-groupes les plus vulnérables.
Organisation d’un service de transport pour les personnes en milieu rural présentant une cataracte. MADAGASCAR © Henry Nkumbe
Organisation d’un service de transport pour les personnes en milieu rural présentant une cataracte. MADAGASCAR © Henry Nkumbe

Égalité et équité

Il est important de noter qu’un taux de traitement égal entre différents sous-groupes ne signifie pas forcément que les services fournis sont équitables. Par exemple, une enquête nationale menée au Nigeria sur la cécité et la déficience visuelle (Nigerian National Blindness and Visual Impairment Survey) a montré que près de la moitié (47 %) des patients opérés de la cataracte étaient des femmes, mais que par ailleurs les femmes représentaient les deux-tiers (67 %) des personnes aveugles par cataracte bilatérale dans le pays3. Ceci signifie que, pour réduire les inéquités en santé oculaire, il faut que les femmes représentent bien plus que 50 % des patients opérés de la cataracte au Nigeria.

Comment effectuer le suivi des inégalités ?

Vous pouvez incorporer le suivi des inégalités au système de recueil des données (électronique ou manuel) déjà en place dans votre établissement de santé. Le suivi est une activité cyclique, comme le montre la Figure 1.

Figure 1. Cycle de suivi des inégalités en santé*
Figure 1. Cycle de suivi des inégalités en santé*

Une fois que vous aurez choisi des indicateurs sociaux et sanitaires pertinents, ainsi que les sous-groupes que vous allez cibler, l’étape suivante consiste à recueillir les données. Si vous souhaitez montrer l’existence éventuelle d’inégalités dans l’accès à l’opération de la cataracte, vous pouvez par exemple recueillir à intervalles réguliers (par exemple tous les mois) le nombre de personnes opérées dans chaque sous-groupe.

Une fois que vous aurez recueilli ces données, vous pourrez par exemple calculer la proportion de personnes opérées dans chaque sous-groupe (par exemple en divisant le nombre de femmes par le nombre total d’opérations) et comparer les résultats entre eux. Ces chiffres sont généralement présentés sous forme de pourcentage (proportion x 100). Une autre façon de quantifier les inégalités consiste à calculer l’écart (absolu ou relatif) entre les sous-groupes (voir « Exemple pratique » à la page suivante).

Ceci peut être fait tous les mois, tous les trimestres et tous les ans, et vous pouvez communiquer ces résultats sur les inégalités avec le nombre total d’opérations réalisées dans chaque sous-groupe, sous forme de tableaux, cartes et graphiques clairs. Ces informations pourront ensuite être communiquées aux gestionnaires d’hôpitaux et autres administrateurs. Un exemple pratique est présenté à la page 9.

Si vous décidez d’étendre votre processus de suivi, essayez d’être réalistes en prenant en compte la faisabilité et la durabilité dans votre contexte. Il vaut mieux commencer par un petit nombre d’indicateurs (par exemple choix de subir une opération de la cataracte en fonction du sexe et en fonction du lieu de résidence rural ou urbain) et recueillir et analyser ces indicateurs avec précision et régularité, plutôt que de se lancer dans de nombreux calculs qui demanderont trop de temps et d’efforts et ne seront pas maintenus à long terme. Une fois que votre système de suivi sera bien rôdé, vous pourrez recueillir des indicateurs supplémentaires.

Le suivi est essentiel pour comprendre la nature et l’ampleur des inégalités de santé au sein des populations desservies par nos établissements de soins. Les informations recueillies doivent ensuite être utilisées pour améliorer les politiques, les programmes et les pratiques, afin de réduire les inégalités et atteindre notre objectif de santé oculaire universelle.

Pour plus d’informations, voir aussi le Manuel de suivi des inégalités en santé (en anglais) publié par l’OMS : www.who.int/gho/health_equity/handbook/en/

Références

1 Hosseinpoor AR, Bergen N, Koller T, et al. Equity-oriented monitoring in the context of universal health coverage. PLoS Med 2014;11:e1001727.

2 O’Neill J, Tabish H, Welch V, et al. Applying an equity lens to interventions: using PROGRESS ensures consideration of socially stratifying factors to illuminate inequities in health. J Clin Epidemiol 2014;67:56–64.

3 Abubakar T, Gudlavalleti MV, Sivasubramaniam S, Gilbert CE, Abdull MM, Imam AU. Coverage of hospital-based cataract surgery and barriers to the uptake of surgery among cataract blind persons in Nigeria: The Nigeria National Blindness and Visual Impairment Survey. Ophthalmic Epidemiol 2012;19:58–66.

4 World Health Organization. Handbook on health inequality monitoring with a special focus on low-and middle-income countries. Geneva: World Health Organization, 2013.

Exemple pratique

Female patient post-cataract surgery, wearing an eye patch, sitting on the floor.
Patiente se reposant après une opération de la cataracte durant une intervention de stratégie avancée. SOUDAN DU SUD © Adriane Ohanesian / Sightsavers

Supposons par exemple que votre centre de santé oculaire est situé dans une agglomération urbaine (population : 150 000 personnes) et dessert également la population du district rural aux alentours (soit une population de 350 000 personnes). Supposons également que vous organisez defaçon intermittente des interventions de stratégie avancée et que vous souhaitez en organiser davantage, car vous pensez que votre centre ne traite pas suffisamment de patients vivant en zone rurale.

Vous commencez par suivre les patients subissant une opération de la cataracte. Durant le premier trimestre, vous n’organisez pas de mission de stratégie avancée et les données recueillies de janvier à mars sont présentées dans le Tableau 1.

Tableau 1. Décompte des opérations de la cataracte et répartition par sexe et par lieu de résidence

Nombre d’opérations
Femmes Hommes Total
Milieu rural 4 31 35
Milieu urbain 91 94 185
Total 95 125 220

Vous pouvez calculer et comparer le pourcentage de patients opérés appartenant aux différents sous-groupes, par exemple :

  • 57 % des patients opérés (125 ÷ 220 x 100) étaient des hommes.
  • 43 % des patients opérés (95 ÷ 220 x 100) étaient des femmes.
  • 84 % des patients opérés (185 ÷ 220 x 100) vivaient en milieu urbain.
  • 16 % des patients opérés (35 ÷ 220 x 100) vivaient en milieu rural.

Vous pouvez démontrer plus avant l’inégalité entre hommes et femmes, ou entres habitants de milieu urbain et de milieu rural, en calculant l’écart absolu (soustraire le nombre le plus petit au nombre le plus grand) ou l’écart relatif (diviser le nombre le plus grand par le nombre le plus petit), comme le montre le Tableau 2.

Tableau 2. Mesure de l’inégalité : écart absolu et écart relatif

Écart absolu Différence Écart relatif Rapport
Sexe Hommes – Femmes 125 – 95 = 30 Hommes ÷ Femmes 125 ÷ 95 = 1,3
Lieu de résidence Milieu urbain – Milieu rural 185 – 35 = 150 Milieu urbain ÷ Milieu rural 185 ÷ 35 = 5,3

Dans votre rapport, il vous faudrait normalement inclure le Tableau 1 (qui montre le nombre d’opérations dans chaque sous-groupe) et comparer les pourcentages dans chaque sous-groupe. Vous pouvez en outre utiliser les informations concernant l’écart relatif et noter que vous avez opéré 1,3 fois plus d’hommes que de femmes et 5,3 fois plus de patients vivant en milieu urbain que de patients vivant en milieu rural.

Ceci vous indique que les habitants de milieu rural (notamment les femmes, car vous n’avez opéré que quatre femmes vivant en milieu rural) n’utilisent pas vos services autant que les personnes vivant en milieu urbain.

Supposons maintenant que, lors du trimestre suivant, vous ayez décidé de renforcer votre stratégie avancée et que vous ayez organisé deux missions entre avril et juin. Le Tableau 3 montre les données recueillies d’avril à juin.

Tableau 3. Décompte des opérations de la cataracte après les interventions de stratégie avancée

Nombre d’opérations
Femmes Hommes Total
Milieu rural 35 41 76
Milieu urbain 62 59 121
Total 97 100 197

Tableau 4. Mesure de l’inégalité après les interventions de stratégie avancée

Écart absolu Différence Écart relatif Rapport
Sexe Hommes – Femmes 100 – 97 = 3 Hommes ÷ Femmes 100 ÷ 97 = 1,0
Lieu de résidence Milieu urbain – Milieu rural 121 – 76 = 45 Milieu urbain ÷ Milieu rural 121 ÷ 76 = 1,6

Vous pouvez en conclure que les missions de stratégie avancée ont réduit efficacement les inégalités liées au sexe et au lieu de résidence. Par la suite, vous pourrez par exemple utiliser ces données pour plaider en faveur de l’organisation de missions de stratégie avancée à intervalles réguliers. Il serait également souhaitable de continuer à relever ces données tous les trimestres afin d’identifier les changements éventuellement nécessaires.