RSOC Vol. 19 No. 28 2022 pp 35. Publié en ligne 16 février 2023.

Mise en oeuvre d’un programme intégré de soins oculaires primaires au Rwanda

Wanjiku Mathenge

Professeur d’ophtalmologie, Université du Rwanda ; Directrice de la Formation et de la Recherche, Rwanda International Institute of Ophthalmology, Kigali, Rwanda.


Ces agents de soins oculaires primaires apprennent à positionner les échelles d’acuité visuelle. RWANDA © Ceke Mathenge CC BY-NC 4.0
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Le Rwanda a mis en oeuvre une stratégie nationale de soins oculaires primaires qui a permis au cours des cinq dernières années de dépister 2,4 millions de personnes et d’orienter plus de 200 000 personnes vers des soins oculaires secondaires.

Le Rwanda est un pays enclavé situé dans la vallée du Grand Rift en Afrique ; sa population est estimée à 13 millions d’habitants. Le premier Plan national de lutte contre la cécité au Rwanda a été rédigé en 2002. Les tentatives de mise en oeuvre de ce plan ont toutefois été entravées par le manque de personnel formé en soins oculaires à tous les niveaux du système de santé, ce qui a fortement réduit l’accès de la population aux services. Le ministère de la Santé du Rwanda, avec le soutien d’organisations non gouvernementales (ONG) internationales, a réalisé combien il était important de mettre en place un programme de soins oculaires primaires (SOP) afin de permettre à tous d’avoir accès aux soins oculaires et à des lunettes abordables.

Les premières tentatives d’élaboration de programmes de SOP étaient des projets individuels gérés par des ONG internationales. L’étude de ces projets a conclu que leurs résultats étaient décevants, car l’amélioration de l’accès aux soins n’était pas pérenne1. Cependant, les leçons tirées de cette étude ont été utilisées pour élaborer un nouveau programme complet de SOP qui, avec les changements apportés dans le système de santé, a permis une meilleure organisation des services de soins oculaires et un renforcement de la collaboration entre les parties prenantes sous la direction du ministère de la Santé.

Un programme de formation aux SOP bien adapté, destiné aux infirmiers de soins généraux, a été élaboré sur la base des mêmes principes, compétences et protocoles que le programme de SOP de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la région africaine2. En l’espace de trois ans, une équipe spécialisée constituée de cinq techniciens en ophtalmologie clinique a formé 2 000 infirmiers dans tous les établissements publics de soins de santé primaires du Rwanda, et les infirmiers formés ont effectué plus d’un million de consultations3. À la fin de la cinquième année, 2,4 millions de patients avaient fait l’objet d’un dépistage, 2 797 infirmiers avaient été formés et 2 563 autres avaient bénéficié d’un perfectionnement professionnel. En outre, plus de 200 000 patients ont été orientés vers des établissements de soins de santé secondaires. La formation en SOP a été intégrée au programme de l’école de formation des infirmiers, ce qui permettra de disposer d’un effectif durable et moins dépendant de la formation continue.

Les principaux facteurs ayant contribué à la réussite de ce programme sont les suivants :

  1. Une procédure d’orientation très claire et bien gérée entre les établissements de soins de santé primaires et les centres de soins secondaires. Ceci permet d’éviter que les établissements de soins de santé primaires ne soient contournés, et les infirmiers savent où orienter les patients qu’ils ne peuvent pas prendre en charge4.
  2. Un taux élevé de couverture de la population par des régimes d’assurance santé communautaires, ce qui permet de lever l’obstacle du coût des soins5.
  3. Une supervision durable des infirmiers grâce à la disponibilité de travailleurs paramédicaux bien formés, appelés techniciens en ophtalmologie.
  4. L’engagement fort et le soutien du ministère de la Santé du Rwanda. Ce ministère a assuré le leadership et l’influence politique qui ont permis d’apporter des changements dans le système, notamment en ce qui concerne les listes de médicaments essentiels et le code de bonnes pratiques des infirmiers ; tout ceci a permis la mise en place des activités de SOP6.
  5. Le développement d’un outil de suivi des soins oculaires (Eye Tracker tool) dans le cadre du système intégré de gestion des informations sanitaires du Rwanda (R-HMIS), ce qui a permis un meilleur suivi des flux de patients.
  6. L’intégration d’indicateurs sur les SOP dans le système rwandais de financement de la santé basé sur la performance. Ce système, qui subordonne les paiements à des produits ou à des résultats, a contribué à motiver davantage les infirmiers pour les activités de SOP7.

Références

1 Courtright P et al. Reaching rural Africans with eye care services: findings from primary eye care approaches in Rubavu District, Rwanda. Trop Med Int Health 2010 Jun ; 15 (6) : 692–6.

2 OMS. Manuel de formation aux soins oculaires primaires. Brazzaville : OMS, 2018. www.afro.who.int/fr/publications/manuel-deformation-auxsoins-oculaires-primaires

4 Republic of Rwanda Ministry of Health. Fourth Health Sector Strategic Plan: July 2018-June 2024. https://www.childrenandaids.org/node/541

5 Nyandekwe M et al. Universal health insurance in Rwanda: major challenges and solutions for financial sustainability case study of Rwanda community-based health insurance part I. Pan African Med J 2020 ; 37 : 55.

6 Mathenge WC et al. The Rwanda National Blindness Survey: Trends and use of the evidence to change practice and policy. Afr Vision Eye Health 2021 ; 80 (1) : a576.

7 Rusa L et Fritsche G. Rwanda: Performancebased financing in health. Dans: The World Bank. Emerging good practice in managing for development results: Sourcebook (2ème éd) 2007: 56–60. https://bit.ly/healthRW