RSOC Vol. 05 No. 05 2008 pp 06 - 09. Publié en ligne 01 janvier 2008.

Mise en place de services pour la prise en charge des amétropies : centres de soins oculaires primaires et missions de stratégie avancée

Kovin Naidoo

Directeur mondial des programmes, International Center for Eyecare Education (ICEE), 272 Umbilo Road, Durban, Afrique du Sud. Courriel : [email protected]


Dhivya Ravilla

Directrice du service d’optique, Aravind Eye Hospital, 1, Anna nagar, Madurai 625 020, Tamil Nadu, Inde. Courriel : [email protected]

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La prise en charge des vices de réfraction ou amétropies, qui sont la deuxième cause la plus importante de cécité évitable, est devenue une priorité pour les programmes de soins oculaires.

Bien que de simples lunettes permettent de corriger les vices de réfraction, la prévalence des vices de réfraction non corrigés est cependant élevée. Ceci est dû en grande partie au coût et à l’inaccessibilité des services de prise en charge des amétropies et de distribution de lunettes, qui ne sont généralement offerts que dans les centres de soins oculaires secondaires et tertiaires.

Les optométristes et les ophtalmologistes qui offrent ces services sont généralement très occupés à dispenser tout un ensemble d’autres soins oculaires. Par conséquent, le nombre d’examens de la réfraction oculaire qu’ils ont le temps de réaliser est en deçà des besoins de la communauté. Par ailleurs, les patients doivent souvent parcourir d’importantes distances pour se rendre dans ces centres de soins oculaires secondaires et tertiaires, ce qui en limite l’accès.

Lorsque les personnes ont subi un examen de la réfraction oculaire et obtenu une ordonnance pour des verres de correction, il faut également qu’elles aient accès à un service qui distribue des lunettes à un prix abordable. Dans la mesure où la plupart des détaillants de lunettes sont regroupés dans les grandes villes, l’accessibilité représente un obstacle important pour les communautés vivant en milieu rural.

Pour résoudre le problème des vices de réfraction non corrigés dans les pays à faibles et moyens revenus, il est donc important de fournir des services complets – c’est-à-dire à la fois examen de la réfraction oculaire, prescription et distribution de lunettes – au niveau primaire de soins oculaires, où ces services seront le plus accessibles pour la communauté.

La mise en place de services complets de prise en charge des vices de réfraction au niveau primaire requiert les éléments suivants :

  • une personne dûment formée pouvant mesurer la réfraction oculaire et fournir des conseils sur les vices de réfraction, dans le cadre d’un service plus général d’examen oculaire
  • l’équipement nécessaire pour tester l’acuité visuelle, mesurer la réfraction oculaire et fournir les lunettes de correction
  • des lunettes que le patient considérera comme acceptables et d’un prix abordable.

Pour améliorer l’accès à des services complets de prise en charge des vices de réfraction au niveau primaire, deux options stratégiques peuvent être proposées :

  1. Intégrer les services de prise en charge des vices de réfraction à tous les niveaux de délivrance des soins oculaires et de contact avec les patients, y compris au niveau primaire, comme c’est le cas dans les « centres de la vision » que l’on trouve en Inde (centres de soins oculaires primaires)
  2. Intégrer la prise en charge des vices de réfraction dans les services offerts par les missions dans le cadre de stratégies avancées (MSA), pour rapprocher les soins oculaires primaires des communautés.

Centres de soins oculaires primaires (« centres de la vision »)

Si l’on peut, tout à la fois et dans un même lieu, distribuer des lunettes et mesurer la réfraction oculaire, cela améliorera sans doute la durabilité du service de prise en charge des vices de réfraction et cela augmentera le nombre de patients qui en font usage. Le centre de soins oculaires primaire ou « centre de la vision » est un modèle qui permet de combiner au sein d’un même lieu de délivrance des soins ces deux composantes de la prise en charge des vices de réfraction, non loin du lieu de résidence des communautés.

Vente de lunettes de lecture durant une mission de stratégie avancée. CÔTE D’IVOIRE. Ferdinand Ama
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Les centres de soins oculaires primaires desservent environ 50 000 personnes et offrent les services suivants :

  • examen de la réfraction oculaire pratiqué par un réfractionniste ou un optométriste, au moyen d’une simple échelle de Snellen et d’un jeu de verres correcteurs, afin de déterminer la meilleure correction possible et d’établir une ordonnance
  • distribution de lunettes, en offrant au patient un choix de montures.

Évaluer la demande

Lorsqu’on projette d’établir un centre de soins oculaires primaire, l’appréciation de la demande potentielle pour des lunettes est une étape importante dans l’élaboration du projet.

La prévalence des vices de réfraction varie d’une tranche d’âge à l’autre. Lorsqu’on dispose de données fiables sur la répartition par âge de la population aux niveaux du pays et du district, on peut estimer le taux de vices de réfraction dans chaque tranche d’âge (de préférence en se basant sur des données personnelles ou sur des études menées dans la région) ; on peut alors calculer la demande totale, comme le montre le Tableau 1 (qui utilise des données disponibles sur l’Inde).

Tableau 1. Appréciation de la demande pour des services de prise en charge des amétropies, dans une population de 50 000 personnes en Inde (en se basant sur les données existantes)

Tranche d’âge % de la population totale Nb. de personnes dans chaque tranche d’âge % présentant des vices de réfraction dans chaque tranche d’âge Nb. de personnes dans chaque tranche d’âge présentant des vices de réfraction
Préscolaire (0-5 ans) 12 % 6 000 inconnu (mais faible) inconnu (mais faible)
Scolaire (6-20 ans) 34 % 17 000 5 % 850
Adultes 21-45 ans 37 % 18 500 10 % 1 850
Adultes >45 ans (âge de la presbytie)* 17 % 8 500 90 % 7 650
Total 100 % 50 000 10 350

* Peuvent aussi avoir besoin d’une correction pour la myopie

Dans la plupart des cas, on peut s’attendre à ce que 20 % de la population ait besoin de services de prise en charge des vices de réfraction. Un centre de soins oculaires primaire desservant une population de 50 000 personnes pourra donc s’attendre à une clientèle ou « part de marché » potentielle suffisamment importante pour qu’il soit viable sur le plan économique.

Marketing

Étant donné le faible taux de couverture et de pénétration des services de soins oculaires primaires existants, un « centre de la vision » ne doit pas seulement se préoccuper des patients qui le fréquentent spontanément : il faut activement rechercher les personnes pouvant avoir besoin d’une correction.

Les stratégies de marketing, visant à promouvoir les services offerts par le centre, doivent être spécifiques pour chaque tranche d’âge, comme cela est suggéré dans le Tableau 2.

Tableau 2. Stratégies de marketing pour une population en Inde

Tranche d’âge Stratégies
Préscolaire (0-5 ans)
  • Sensibilisation de tous au strabisme et à l’amblyopie
  • Réseau de contacts avec les pédiatres pour assurer une orientation-recours précoce
Scolaire (6-20 ans)
  • Examens ophtalmologiques en milieu scolaire
Adultes 21-45 ans
  • Examens ophtalmologiques sur le lieu de travail
  • Services de prise en charge des amétropies dans le cadre de camps mobiles offrant des soins oculaires complets
Adultes >45 ans (âge de la presbytie)
  • Sensibilisation de tous aux avantages présentés par la correction de la presbytie
  • Services de prise en charge des amétropies dans le cadre de camps mobiles offrant des soins oculaires complets

Les test préliminaires de la vision sont effectués par des agents de terrain ou des enseignants (dans les écoles et les collèges) dûment formés, afin d’identifier les personnes dont l’acuité visuelle est inférieure à 7/10 (ou inférieure à 5/10 pour les enfants scolarisés). Ces personnes sont alors orientées vers le centre de soins oculaires primaire, où elles subiront un examen plus poussé. Lorsqu’on s’attend à ce qu’un grand nombre de personnes aient besoin de verres de correction dans une école, dans un collège ou sur un lieu de travail, on peut alors offrir sur place des services complets, allant de la mesure de la réfraction oculaire à la distribution de lunettes.

Tableau 3. Équipement de base requis pour la prise en charge des vices de réfraction au centre de soins oculaires primaire

Équipement nécessaire pour mesurer la réfraction oculaire Équipement nécessaire pour fournir des lunettes (optiquelunetterie)
  • Échelle de Snellen
  • Échelle de mesure de l’acuité visuelle de près
  • Jeu de verres correcteurs d’essai
  • Monture d’essai
  • Skiascope à fente (recommandé)
  • Cylindre croisé de Jackson (recommandé)
  • Crayon ou marqueur
  • Meuleuse manuelle
  • Meuleuse semiautomatique
  • Tournevis
  • Raineuse
  • Pince à ajuster

Il est essentiel d’avoir en stock les éléments suivants :

Montures. Il faut disposer de nombreux types de montures, pour répondre aux variations de goût, quelles soient d’ordre local ou personnel. Dans la mesure où les gens sont disposés à payer plus cher pour des lunettes qu’ils jugent seyantes, ceci fournira les revenus nécessaires à la continuation des services offerts par le « centre de la vision ». Il faut aussi avoir en stock des montures de petite taille pour les enfants.

Verres de correction. Il ne faut avoir en stock que des verres correcteurs dans les puissances les plus courantes – les autres pourront être commandés. En planifiant bien le stock, on peut parvenir à distribuer sur place environ 85 % des lunettes prescrites. Ceci requiert toutefois un stock grossièrement équivalent à 10 fois le nombre de commandes prévues. Par conséquent, la proportion de lunettes que l’on pourra distribuer sur place va dépendre du volume que l’on peut se permettre de stocker.

Autres accessoires. Étuis à lunettes ; produits et fournitures d’entretien des lunettes.

Missions de stratégie avancée

Les services de prise en charge des vices de réfraction offerts dans le cadre de missions de stratégie avancée ne peuvent être qu’une solution à court terme pour répondre aux besoins. Toutefois, une stratégie avancée peut jouer un rôle important dans le soutien des centres permanents de santé ou de soins oculaires ; les missions organisées peuvent également améliorer la réputation du prestataire de soins et réduire les dépenses des patients en répondant sur place et sur-le-champ aux besoins de ces derniers.

L’International Centre for Eyecare Education (Centre international pour l’éducation en santé oculaire ou ICEE) organise des missions de stratégie avancée (MSA) dans le Kwazulu-Natal, une province d’Afrique du Sud. L’ICEE a envoyé des équipes dans des régions isolées et rurales, par transport routier et aérien – dans ce dernier cas grâce à un partenariat avec la Croix-Rouge (Red Cross Air Mercy Services) et avec le ministère de la santé sud-africain.

L’ICEE est très sensible aux nombreux problèmes que peuvent susciter les consultations dans le cadre de MSA et les services de prise en charge des vices de réfraction en général. Par conséquent, le centre organise ses missions de façon à minimiser tout impact négatif. Les problèmes potentiels sont, entre autres :

  • les lunettes gratuites créent une attente chez les patients et ceux-ci préfèrent attendre le retour des services gratuits, qui la plupart du temps n’a jamais lieu
  • les programmes menés par les organisations non gouvernementales (ONG), indépendamment des services du gouvernement, ont un impact négatif sur le secteur public. Les patients attendent le retour de l’ONG, au lieu d’utiliser les services (parfois limités) à leur disposition
  • les verres de correction recyclés mal assortis entraînent souvent des complications visuelles et ne sont de surcroît pas très seyants ; ils ne doivent être utilisés qu’en dernier ressort.

Les composantes-clés de la stratégie avancée de l’ICEE

Créer de bons rapports. Pour s’assurer de la coopération et du soutien du ministère de la santé, l’ICEE organise ses consultations dans des centres de soins oculaires primaires ou des hôpitaux en milieu rural. Les centres de santé locaux aident à faire de la publicité pour ces consultations.

Équipement. Celui-ci comprend un jeu de verres de correction, une monture d’essai, un cache-œil, un ophtalmoscope, un skiascope, une échelle en E de Snellen, une règle pour mesurer la distance interpupillaire et un mètre à ruban. Les services de la Croix-Rouge (Red Cross Air Mercy Services) amènent par transport aérien un réfractomètre automatique.

Durabilité. Afin de rendre ces services aussi financièrement abordables que possible, l’ICEE ne fait aucun profit. Toutefois, afin d’assurer la pérennité des services, l’ICEE évalue ce que ces derniers lui coûtent et demande aux patients une contribution financière en conséquence. Le nombre de patients reste élevé grâce aux efforts de plaidoyer menés au sein de la communauté par les centres de santé locaux et par le ministère de la santé ; il en résulte que les services offerts sont viables sur le plan économique.

Stratégie de retrait. La stratégie de retrait de l’ICEE consiste à passer le relais des services de réfraction aux prestataires de soins au niveau local. L’ICEE forme du personnel local (infirmiers spécialisés en ophtalmologie) aux services de réfraction et préconise le recrutement d’optométristes. Lorsque le programme de l’ICEE a été lancé, il n’y avait pas d’optométristes travaillant dans le secteur public ; il y en a 13 à présent. Sur les 11 districts sanitaires desservis par les missions de l’ICEE, seuls quatre ont encore besoin de ses services. Ceci illustre la conviction que les missions de stratégie avancée ne sont qu’une solution à court terme : elles aident à démontrer qu’il existe un besoin de services, ce qui pousse les gouvernements et autres prestataires à développer des services permanents.

Lunettes. Les lunettes prêtes à porter (dont les deux verres sont de la même puissance) sont distribuées immédiatement. Les lunettes faites « sur mesure » sont fabriquées, puis envoyées au centre de santé où a eu lieu la consultation. Avec un équipement de base et un petit stock de verres et de montures, certaines lunettes permettant de corriger des amétropies simples peuvent même être montées et données sur-le-champ.

Recherche de cas. Le dépistage en milieu scolaire et dans la communauté est crucial pour augmenter le nombre de patients et profiter au maximum de la présence du personnel. Grâce à un financement de l’USAID, l’ICEE a formé 50 « dépisteurs » qui se rendent chaque jour dans les écoles pour dépister la baisse d’acuité visuelle. Le département de la santé au niveau de la province a accepté de recruter ces dépisteurs quand le financement arrivera à son terme ; à long terme, ceci renforcera les capacités en ressources humaines.

Bénévoles. Si nécessaire, on peut intégrer des bénévoles dans les programmes de stratégie avancée, qui travailleront en respectant l’esprit de la mission. Il n’est pas dans l’intérêt du programme de changer de stratégie lorsque des bénévoles s’avèrent disponibles et de revenir ensuite sur cette décision.

Plaidoyer par les MSA. Les programmes de l’ICEE ciblent des régions où il n’existe pas encore de services et où il y a de fortes chances qu’un centre de santé oculaire puisse s’implanter par la suite. Pour ce faire, l’ICEE collabore avec les missions de stratégie avancée menées par le gouvernement, en ajoutant la prise en charge des amétropies aux services déjà offerts. Ceci permet de démontrer l’utilité des services de prise en charge des vices de réfraction.

Conclusion

Les missions dans le cadre d’une stratégie avancée peuvent potentiellement faciliter le plaidoyer et permettre à court terme de satisfaire des besoins dans des endroits où il n’existe que peu ou pas de services. Afin que ces programmes aient le plus d’impact possible, il faut veiller aux points suivants :

Qualité des soins. S’assurer que les missions de stratégie avancée n’offrent que des soins de qualité ; adopter des protocoles de gestion et de procédure très clairs.

Cohérence. Développer des directives appropriées concernant la structure du programme, la tarification des services et les types de lunettes offerts dans différentes régions, ainsi que les protocoles permettant d’assurer la qualité constante des soins. Convaincre les autres prestataires de soins d’adopter une approche similaire.

Offrir des services complets. Les services de prise en charge des vices de réfraction doivent être liés à un ensemble complet de soins oculaires et de santé en général ; ceci peut être fait soit en offrant directement l’ensemble de ces services, soit en mettant en place un système approprié de dépistage et d’orientation-recours.

Il est important d’exploiter au maximum le potentiel des services de réfraction, afin d’atteindre les objectifs de VISION 2020 : le Droit à la Vue : restaurer la vue des millions de personnes dont la cécité ou la déficience visuelle est due aux vices de réfraction. En augmentant le nombre de personnes à qui l’on offre des services de prise en charge des vices de réfraction, on augmente les revenus générés, ce qui crée en retour une économie d’échelle qui assure la pérennité de ces services. Tout le monde y gagne.