RSOC Vol. 05 No. 06 2008 pp 35 - 36. Publié en ligne 01 août 2008.

Plaider en faveur des femmes pour promouvoir l’égalité des sexes dans l’accès aux soins oculaires

Paul Courtright, Susan Lewallen

Kilimanjaro Centre for Community Ophthalmology PO Box 2254, Moshi, Tanzanie.


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Une monitrice explique à un fils que sa mère a besoin d’une opération de la cataracte. TANZANIE. © Paul Courtright
Une monitrice explique à un fils que sa mère a besoin d’une opération de la cataracte. TANZANIE. © Paul Courtright

Actuellement, 64 % des personnes aveugles dans le monde sont des femmes1. Cet état de fait s’explique par trois raisons principales :

  • dans beaucoup de pays, les femmes vivent plus longtemps que les hommes et sont donc plus exposées aux causes de cécité liées à l’âge (telles que le glaucome et la dégénérescence maculaire liée à l’âge)
  • certaines affections cécitantes, comme le trachome et la cataracte, affectent plus fréquemment les femmes que les hommes, quel que soit leur âge
  • les femmes et les filles n ’utilisent pas les services de soins oculaires aussi souvent que les hommes et les garçons.2,3,4

Certains pays, comme le Pakistan5 et la Tanzanie6,7, ont mis en place des stratégies qui leur ont permis d’augmenter l’utilisation des services par les femmes. Toutefois, la plupart des communautés, des dirigeants politiques, et même certains personnels de santé, n’ont pas conscience du problème. Pour assurer l’égalité des sexes dans l’accès aux services de soins oculaires, il faut mener un plaidoyer à tous les niveaux : au niveau national et aux niveaux du district et de la communauté.

Changer les rôles et les attentes traditionnellement attribués aux hommes ou aux femmes dans la société n’entre pas dans le cadre des programmes de santé oculaire. Cela étant dit, les problèmes d’inégalité entre les sexes qui entravent l’atteinte des objectifs de VISION 2020 doivent être affrontés et résolus.

Les femmes ont autant que les hommes besoin de services de soins oculaires. CÔTE D’IVOIRE. © Ferdinand Ama.
Les femmes ont autant que les hommes besoin de services de soins oculaires. CÔTE D’IVOIRE. © Ferdinand Ama.

Au niveau national

Au niveau national (par exemple gouvernement national ou ministère de la santé), les actions de plaidoyer doivent se fixer comme objectifs :

  • faire reconnaître aux responsables politiques qu’il existe des inégalités entre les sexes dans l’accès aux soins oculaires
  • persuader les responsables politiques de s’engager à trouver des solutions pour améliorer l’accès aux soins oculaires pour les femmes de tout âge.

Des données provenant de centres de soins locaux, de districts ou d’un pays donné seraient très utiles pour démontrer l’ampleur du déséquilibre entre les sexes dans l’accès aux soins, mais très souvent ce type de données n’est pas disponible. Vous pouvez cependant vous appuyer sur des données mondiales, comme les rapports de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS)8, pour informer les responsables au sein du gouvernement et d’autres organisations de la situation, des besoins et des solutions possibles. Beaucoup d’organisations et de gouvernements ont un département, un ministère ou une section qui s’occupe des problèmes d’inégalité entre les sexes ; ce peut être utile de contacter des personnes-clés dans ces sections et de travailler avec elles au niveau national.

Les efforts de plaidoyer doivent aussi être axés sur le suivi des données de VISION 2020 en séparant les sexes. On note généralement toujours le sexe des patients qui se présentent dans les services de santé oculaire. Cette information est rapportée au niveau du district, mais elle n’est généralement pas transmise et rapportée au niveau national. Dans la plupart des contextes, combler cette lacune ne nécessiterait qu’une petite modification du format des comptes-rendus ; il sera beaucoup plus difficile de convaincre les responsables de faire en sorte que cela soit fait systématiquement. L’OMS, l’Agence internationale pour la prévention de la cécité (IAPB) et VISION 2020 pourraient contribuer à changer la situation en modifiant le format de leurs propres rapports et en exigeant que les données soient classées par sexe dans les comptesrendus à tous les niveaux. Les organisations non gouvernementales (ONG) devraient aussi systématiquement classer leurs données par sexe.

Au niveau du district

Pour commencer, il sera extrêmement utile de générer des données probantes au niveau local ; ceci peut être fait en rassemblant les données contenues dans les comptes-rendus des cliniques et des services de chirurgie (cataracte, glaucome et cataracte infantile) et en recueillant des données sur les ventes de lunettes. Des entretiens approfondis avec des hommes et des femmes peuvent permettre d’identifier les obstacles qui limitent l’utilisation des services par les femmes et les filles. Ces preuves vous permettront d’informer les autorités sanitaires de district et les ONG sur l’importance de garder à l’esprit les besoins spécifiques des femmes. Vous pourrez également utiliser ces données pour concevoir des programmes qui encourageront et faciliteront l’accès des femmes aux services de santé oculaire.

Au niveau communautaire

Au niveau communautaire, les efforts de plaidoyer doivent cibler à la fois les membres de la communauté et les prestataires de soins oculaires. D’après notre expérience, les principaux messages à transmettre à ce niveau sont :

Retrouver la vue c’est pouvoir contribuer à nouveau à la vie du foyer et de la communauté

Dans les pays en développement, beaucoup de communautés ne reconnaissent pas que les femmes ont autant que les hommes besoin de services de soins oculaires et d’opérations qui leur permettront de recouvrer la vue. Les familles pauvres doivent souvent prendre des décisions difficiles quant à l’utilisation de leurs maigres ressources. Elles se basent sur des préoccupations complexes concernant les coûts et les bénéfices imaginés et il est possible que ces familles ne perçoivent pas les bénéfices que retireraient les femmes d’une opération chirurgicale qui leur rendrait la vue. Il est donc important d’aider les familles à comprendre que le traitement chirurgical de la cataracte ou du trichiasis peut restaurer la vue et permettre aux femmes de contribuer à nouveau aux revenus de la famille.

Il faut opérer la cataracte lorsque la perte de vision perturbe les activités quotidiennes

En raison des facteurs bien connus qui limitent leur accès aux services de soins oculaires, les femmes ont généralement plus de chances d’être aveugles que les hommes lorsqu’elles se présentent pour la première fois dans les services de santé oculaire9. Une fois que les femmes deviennent aveugles, elles ont encore d’autres obstacles à surmonter (que ceux-ci soient imposés par la société ou par l’individu), ce qui limite encore plus leur accès aux services de soins oculaires10. Il est donc préférable de promouvoir l’idée qu’il faut se faire soigner dès que la baisse de vision commence à entraver les activités qui comptent pour la personne ou pour la famille.

Ce problème se trouve généralement aggravé lorsque les programmes ont des règles très rigides concernant l’acuité visuelle (AV) à atteindre pour recommander la chirurgie de la cataracte, par exemple lorsqu’on n’opère que les personnes dont l’AV est <1/10 ou <1/20. On a montré qu’une fois qu’on a dit aux patients : « votre cataracte n’est pas mûre, revenez plus tard », beaucoup d’entre eux ne reviennent que bien plus tard ou ne reviennent jamais11. Les limites rigides d’AV de ce type semblent être très courantes dans les contextes où il n’y a aucune assistance socio-psychologique et où on n’explique pas les bénéfices potentiels de la chirurgie de la cataracte à l’individu et à sa famille. Il est fortement recommandé d’opérer les patients qui présentent une déficience visuelle modérée, en plus des patients présentant une déficience visuelle sévère ou une cécité. Il est également toujours préférable d’associer le traitement chirurgical à une assistance socio-psychologique de qualité, lorsque la situation le permet.

L’intervention concerne tout particulièrement les personnes âgées

Il est souvent nécessaire de mener des actions de plaidoyer pour expliquer aux communautés que même les personnes âgées peuvent se faire opérer. Les gens se font beaucoup d’idées négatives, comme par exemple : « l’hôpital, c’est l’endroit où l’on va pour mourir », « je suis trop vieux/vieille pour me faire opérer », ou encore « personne ne pourra s’occuper de moi quand je serai à l’hôpital ». Les personnes âgées vivant dans la communauté ont souvent besoin d’aide pour accéder aux services. Le transport est l’obstacle le plus important pour ce groupe ; il est donc essentiel de travailler avec les communautés et les hôpitaux pour faire en sorte que les habitants âgés, les femmes en particulier, puissent se rendre jusqu’aux services de soins. Souvent, les femmes se sont rarement éloignées de leur communauté. L’expérience suggère que si des membres-clés de la communauté (par exemple les chefs religieux) comprennent que la chirurgie de la cataracte ou du trichiasis est une intervention relativement simple, bénéfique pour le patient, ils pourront alors jouer un rôle important en persuadant chacun de la valeur des soins oculaires, y compris dans le cas des personnes âgées.

Approches pour le plaidoyer dans la communauté

Pour transmettre aux communautés les trois messages de base évoqués ci-dessus, il faudra faire appel à de multiples approches ; il n’y a pas de solution unique qui convienne à toutes les situations. Ci-dessous, voici quelques points que vous devrez garder à l’esprit :

Pour s’adresser aux femmes, il faut aussi s’adresser aux hommes

Dans la mesure où les hommes ont souvent plus facilement accès aux ressources financières de la famille et prennent les décisions en dernier lieu, les initiatives de plaidoyer et de conseil socio-psychologique doivent également s’adresser à eux. Si une femme est mariée, il faudra s’adresser à son mari ; si elle est veuve, il faudra entrer en contact avec son fils aîné. Dans certains contextes, les chefs de village ou les chefs religieux peuvent avoir une influence sur les décisions familiales. Les agents de santé doivent être prêts à discuter avec ces groupes et ces personnes, afin de les sensibiliser aux besoins des femmes. Ce peut être utile d’impliquer dans des activités de plaidoyer des hommes dont la femme a été opérée de la cataracte et qui reconnaissent les bienfaits de l’intervention.

Une approche particulière pour les veuves

Dans la plupart des pays en développement, une proportion importante des femmes âgées sont veuves. Dans certains contextes, les veuves sont victimes d’exclusion sociale et de stigmatisation et elles sont négligées. Il peut donc devenir particulièrement difficile d’améliorer l’accès des veuves aux soins oculaires, d’autant que leurs enfants peuvent vivent loin d’elles et n’avoir que très peu de contact avec leur mère. Les soins de santé oculaire, comme les interventions chirurgicales, nécessitent souvent le consentement d’un proche ; les agents de santé oculaire doivent utiliser tous les moyens possibles pour contacter les enfants des veuves, que ce soit en s’appuyant sur les structures communautaires ou en utilisant un téléphone portable. Ce sont les associations de femmes au niveau communautaire, lorsqu’elles existent, qui ont généralement le plus d’informations sur les veuves ayant besoin de services de soins oculaires. Ces associations peuvent s’avérer une aide précieuse pour encourager les femmes à utiliser ces services.

Les organisations religieuses peuvent être de puissantes alliées

Dans la plupart des contextes dans les pays en développement, les organisations religieuses sont des partenaires qui vous seront très utiles pour toucher un large public, les femmes en particulier. Les groupes religieux peuvent aussi aider les personnes qui n’ont pas les moyens de s’offrir des soins oculaires. C’est la communauté qui donne aux groupes religieux leur crédibilité et les femmes ont souvent leurs propres groupes au sein de ces organisations, même si elles n’occupent généralement pas des postes haut placés.

Conclusion

Réussir l’égalité des sexes dans l’accès aux services de soins oculaires est un objectif à long terme. Si l’on veut que les femmes bénéficient de VISION 2020 autant que les hommes, il est essentiel de mener des efforts continus et suivis de plaidoyer à tous les niveaux.

Références

1 Abou-Gareeb I, Lewallen S, Bassett K, Courtright P. Gender and blindness: a meta-analysis of populationbased prevalence surveys. Ophthalmic Epidemiol 2001;81: 39-56.

2 Courtright P, West SK. Contribution of sex-linked biology and gender roles to disparities with trachoma. Emerg Infect Dis 2004;10: 2012-16.

3 Lewallen S, Courtright P. Gender and use of cataract surgical services in developing countries. Bull World Health Organ 2002;80: 300-303.

4 Muhit MA, Shah SP, Gilbert CE, Hartley SD, Foster A. The key informant method: a novel means of ascertaining blind children in Bangladesh. Br J Ophthalmol 2007;91: 995-999.

5 Sightsavers International. Final evaluation report: 10 district comprehensive eye care programmes (NWFP and FATA, Pakistan). SSI, Haywards Heath, UK: 2004.

6 Geneau R, Lewallen, S, Paul, I, Bronsard A, Courtright P. The social and family dynamics behind the uptake of cataract surgery: findings from Kilimanjaro Region, Tanzania. Br J Ophthalmol 2005;89: 1399-1402.

7 Geneau R, Massae P, Courtright P, Lewallen S. Using qualitative methods to understand the determinants of patients’ willingness to pay for cataract surgery: a study in Tanzania. Soc Sci Med (sous presse).

8 WHO Information Sheet on Gender and Blindness, 2002. www.who.int/gender/other_health/en/genderblind.pdf

9 Jefferis JM, Bowman RJC, Hassan HG, Hall AB, Lewallen S. Use of cataract services in eastern Africa: a study from Tanzania. Ophthalmic Epidemiol (sous presse).

10 Chibuga E, Massae P, Geneau R, Mahande M, Lewallen S, Courtright P. Acceptance of cataract surgery in a cohort of Tanzanians with operable cataract. Eye (sous presse).

11 Vaidyanathan K, Limburg H, Foster A, Pandey. RM. Changing trends in barriers to cataract surgery in India. Bull WHO 1999;77: 104-109.