RSOC Vol. 08 No. 09 2011 pp 04 - 05. Publié en ligne 09 janvier 2011.

Prévenir la cécité cornéenne en partenariat avec les communautés

Hannah Faal

Conseillère pour les programmes de développement/systèmes de santé, Sightsavers, 21 Nii Nortei Ababio Road, PO Box KIA 18190, Airport, Accra, Ghana.

Related content
Les projets de développement communautaire aident à lutter contre les causes les plus courantes de cécité cornéenne. NIGER.  © WHO (blackc@who.int) / Marko Kokic (mk@marko-kokic.com)
Les projets de développement communautaire aident à lutter contre les causes les plus courantes de cécité cornéenne. NIGER. © WHO ([email protected]) / Marko Kokic ([email protected])

La prévention de la cécité cornéenne nécessite que les communautés elles-mêmes agissent et que les gouvernements et les organisations non gouvernementales mettent en place des services de santé et de développement. Pour être efficaces, les agents de santé doivent comprendre comment s’articulent les différents aspects de la prévention. Celle-ci a lieu à trois niveaux :

  1. Prévention au niveau primaire : actions ou interventions mises en œuvre pour prévenir la survenue de la maladie.
  2. Prévention au niveau secondaire : actions mises en œuvre pour prévenir les complications d’une affection existante et/ou la survenue d’une déficience visuelle à la suite d’une affection existante.
  3. Prévention au niveau tertiaire : après le traitement chirurgical ou autre, actions mises en œuvre pour restaurer la fonction visuelle ou diminuer l’incapacité résultant des complications de la maladie, soit par exemple une greffe de cornée (voir page 11).

La communauté peut influencer le cours des événements pour que la personne présentant une affection cornéenne soit vue ou prise en charge par le personnel de santé oculaire.

Prenons l’exemple de l’ophtalmie du nouveau-né. Un agent de santé n’aura que peu ou pas d’influence sur les aspects suivants :

  • Facteurs de risque et causes médicales immédiates, par exemple comportement sexuel des parents et présence de Neisseria gonorrhea.
  • Facteurs contributifs et facteurs sociaux, par exemple absence de collyre antibiotique dans la salle d’accouchement, pauvreté, travail dangereux, accès insuffisant à l’eau et à un assainissement de base, ou encore préférence de la communauté pour les tradipraticiens, etc.

La communauté, au contraire, peut potentiellement influencer tous ces facteurs, que ce soit en modifiant les comportements des individus ou en faisant pression pour obtenir des aménagements au niveau communautaire. Le rôle de l’agent de santé oculaire consiste à informer et à aider la communauté à modifier les facteurs évoqués ci-dessus, afin que celle-ci puisse s’impliquer activement dans la prévention de la cécité cornéenne.

Les médicaments traditionnels (ici portés autour du cou) peuvent retarder les premiers soins. GAMBIE. © Sightsavers
Les médicaments traditionnels (ici portés autour du cou) peuvent retarder les premiers soins. GAMBIE. © Sightsavers

Premières étapes

Pour mettre en œuvre un programme efficace de prévention de la cécité cornéenne, il est très important de :

  • Prendre en compte les causes générales de cécité cornéenne au sein de la communauté, comme la carence en vitamine A, la rougeole, etc.
  • Se donner pour but de comprendre les membres de la communauté, se baser sur ce qu’ils connaissent déjà, les encourager et les aider à demander de meilleurs services.
  • Avoir connaissance des services de développement et de santé disponibles dans la communauté, soutenir ces services et les utiliser le mieux possible.

En d’autres termes :

  • ne pas se concentrer uniquement sur une affection particulière
  • ne pas ignorer les croyances, les connaissances et les compétences des membres de la communauté
  • ne pas s’isoler des autres services de santé.

Que vous ayez l’intention d’améliorer un programme de prévention existant ou d’en concevoir un nouveau, il sera toujours utile de vous informer le plus possible sur les besoins de la communauté et sur la manière dont elle pourra apporter son soutien à votre programme. En procédant ainsi, vous ferez en sorte d’impliquer le plus de personnes possible dès le départ.

Pratiquer une analyse de situation est toujours une bonne façon de débuter : cet exercice permettra de clarifier ce que vous savez sur la communauté et ce qu’il vous reste à apprendre. Vous pouvez vous poser les questions qui suivent pour commencer :

  • Quelles sont les connaissances et les impressions de la communauté sur les causes et le traitement de la cécité cornéenne ?
  • Quelles sont les méthodes de communication existantes et traditionnelles utilisées par la communauté ?
  • Comment les connaissances et les croyances de la communauté sont-elles susceptibles d’influencer le contenu des messages de santé et la façon dont ils seront présentés ?
  • Quelles compétences existant au sein de la communauté pourraient être utiles au programme de lutte ?
  • Quelles sont les portes d’entrée possibles pour amorcer la prise en charge : le domicile, l’école, les tradipraticiens ou les pharmacies ? Quels sont les premiers soins prodigués ?

Prévention primaire

La prévention de la cécité cornéenne au niveau primaire est particulièrement pertinente dans le cas des causes de cécité suivantes :

  • carence en vitamine A et rougeole
  • ophtalmie du nouveau-né
  • trachome
  • traumatismes oculaires.

Il existe de nombreux facteurs sociaux liés aux affections cornéennes, tels que la pauvreté, un accès à l’eau et un assainissement insuffisants, une alimentation trop pauvre et des pratiques agricoles présentant un risque pour les yeux. D’autres facteurs peuvent également entrer en jeu, comme le prix élevé des traitements, la difficulté de se procurer des lunettes de protection ou des médicaments. Un bon programme de prévention devrait aider la communauté à obtenir les services de santé et autres moyens d’assistance dont elle a besoin, que ce soit en mobilisant les ressources de la communauté elle-même ou en faisant pression auprès du gouvernement pour obtenir de l’aide.

Le programme doit fournir des informations de santé sur les facteurs de risque, sur la meilleure façon de les éviter, sur ce qu’il faut faire en cas de problème oculaire et doit préciser où il faut se rendre pour obtenir des soins. Vous obtiendrez peut-être un soutien supplémentaire si vous collaborez étroitement avec le service de promotion sanitaire du système de santé local ou national.

Il est essentiel de communiquer clairement. Servez-vous de ce que vous avez appris lors de l’analyse de situation pour planifier des activités de communication, par exemple en faisant appel aux canaux de communication traditionnellement utilisés par la communauté et qui lui conviennent. Dans les zones urbaines, vous pouvez mobiliser les médias et également utiliser des affiches. Dans les zones rurales, une réunion des anciens du village sera peut-être plus efficace. Vous pouvez également intégrer les messages d’éducation sanitaire dans le programme scolaire.

Prévention secondaire

La cornée est transparente et sensible à la douleur. Par conséquent, les patients présentant une affection ou un traumatisme de cornée présentent souvent de la photophobie : leurs yeux larmoient et leur vision se brouille. Ces symptômes pénibles incitent le patient lui-même ou la personne qui le prend en charge (dans le cas d’un enfant) à agir rapidement.

En raison de la douleur qu’elles éprouvent, certaines personnes vont pratiquer l’automédication, avec des médicaments qu’elles auront obtenus soit auprès de membres de leur famille soit auprès d’un prestataire de soins local comme un tradipraticien ou un pharmacien.

Ces premières tentatives de soins peuvent être nocives ; elles sont également susceptibles de retarder le moment où le patient va se rendre à l’établissement de santé le plus proche pour recevoir un traitement approprié. Ces deux facteurs, prise en charge inadéquate et retard à la mise en œuvre des premiers soins, contribuent souvent plus à l’opacification cornéenne que la cause initiale.

Lutter contre la cécité cornéenne en renforçant les systèmes de santé

Si vous avez une connaissance précise des systèmes de santé qui desservent la communauté, vous pourrez alors faire en sorte que le nouveau programme utilise au maximum les ressources disponibles et ne surcharge pas les services existants. Si vous le concevez avec soin, ce programme renforcera les systèmes de santé existants et permettra de mieux servir la communauté à l’avenir.

Beaucoup de programmes de santé et de développement déjà en place (comme les programmes de vaccination contre la rougeole, de soins périnataux, de nutrition, ou d’amélioration de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement) contribuent de manière significative à lutter contre les causes les plus courantes de cécité cornéenne. Il est très important de soutenir ces programmes en informant les décideurs et les agences de financement de l’impact de ces programmes sur la prévention de la cécité. Ceci aura pour effet de motiver plus encore les personnes impliquées et pourra même améliorer leurs perspectives de soutien financier et politique.

Vous pouvez aider à renforcer les aspects suivants des systèmes de santé existants :

Ressources humaines

  • Avec l’aide de la communauté, identifiez les individus qui peuvent fournir des soins à domicile ou former d’autres personnes. Il peut par exemple s’agir de professionnels à la retraite (professionnels de la santé ou enseignants) qui sont revenus vivre dans leur communauté. Vous pouvez apporter votre soutien à ces personnes soit directement, soit par le biais de structures de santé primaires existantes.
  • Collaborez avec les personnels de santé en place, y compris les tradipraticiens. Assurezvous par exemple qu’ils connaissent les dangers des collyres corticoïdes et qu’ils comprennent pourquoi il est très important d’instiller un collyre antibiotique ou antiseptique dans les yeux des nouveau-nés.
  • Formez tous les agents de santé à diagnostiquer précocement les pathologies cornéennes et à orienter les patients concernés.

Produits médicaux et vaccins

  • Assurez-vous que les équipements et médicaments indispensables, comme les lampes torches, les collyres antibiotiques ou antiseptiques, sont disponibles à tout moment là où on doit les utiliser : dans les salles d’accouchement, chez les accoucheuses traditionnelles, dans les écoles, etc.
  • Apportez votre soutien aux initiatives en place pour fournir des vaccins et maintenir la chaîne du froid.

Informations sur la santé

  • Recueillez et analysez des informations sur l’impact des affections et traumatismes cornéens sur la communauté. Par exemple, faites en sorte que l’ophtalmie du nouveauné soit une maladie à déclaration obligatoire et enregistrez le nombre d’enfants atteints de rougeole ou de xérophtalmie.
  • Rassemblez des preuves sur l’efficacité d’interventions ciblant la communauté, comme les programmes d’approvisionnement en eau et d’assainissement, les campagnes de vaccination ou les soins gratuits pour les enfants.
  • Utilisez ces preuves pour améliorer la conception des programmes et la délivrance des soins et pour faire pression auprès des autorités pour soutenir ces initiatives.

Financement des soins de santé

  • Travaillez avec la communauté pour faire en sorte que les soins d’urgence pour les infections ou traumatismes cornéens soient gratuits, en particulier pour les enfants, et pour que le coût du traitement ne soit pas un obstacle au recours aux soins.

Leadership et prise de décision

  • Travaillez avec les instances décisionnaires responsables du développement et de la santé de la communauté locale. Encouragez-les à allouer des ressources aux initiatives comme la construction de latrines et les soins à domicile. Encouragez les communautés à prendre les devants en matière de santé, par exemple en travaillant avec des groupes de développement communautaire. Certains membres de la communauté peuvent prendre la responsabilité de toutes sortes d’interventions, allant d’activités sanitaires liées au foyer, comme le nettoyage du visage, au plaidoyer pour obtenir de meilleurs services.
  • Soutenez et encouragez la communication entre la communauté et les décideurs au sein du système de santé, ainsi qu’entre différents groupes ou spécialités au sein du système de santé lui-même.

Conclusion

Le personnel de santé concevant ou mettant en œuvre un programme communautaire de prévention de la cécité cornéenne doit certes bien connaître et prendre en compte les causes médicales de l’opacification cornéenne, mais il doit aussi apprécier à leur juste valeur les facteurs de risque sociaux et environnementaux susceptibles de favoriser la survenue de cécité cornéenne dans une communauté. Il est important de reconnaître que la communauté peut et doit participer à cet effort de prévention et de rechercher activement des moyens pour obtenir sa participation.

Il est crucial de reconnaître l’impact des programmes de développement menés par d’autres ministères du gouvernement (éducation, agriculture, ressources en eau, développement communautaire, justice) sur la prévention de la cécité cornéenne. En conséquence, les personnels de santé oculaire se doivent de soutenir ces initiatives et de collaborer avec elles.

Pour mener à bien leur travail de prévention, les agents de santé oculaire doivent développer des compétences en dehors du domaine médical, comme la communication, la négociation, le plaidoyer, et la capacité à générer la participation des communautés.