RSOC Vol. 19 No. 28 2022 pp 40-43. Publié en ligne 16 février 2023.

Promouvoir la santé oculaire : pourquoi et comment

Ada Aghaji

Maître de conférences, College of Medicine, University of Nigeria, Enugu Campus ; Ophtalmologiste chef de Clinique, Department of ophthalmology, University of Nigeria Teaching Hospital, Enugu, Nigeria ; Attaché de recherche, International Centre for Eye Health, London School of Hygiene & Tropical Medicine, Londres, Royaume-Uni.


Clare Gilbert

Professeure de santé oculaire internationale, International Centre for Eye Health, London School of Hygiene &Tropical Medicine, Londres, Royaume-Uni.


La journée scolaire doit comporter des moments passés en plein air, car ceci réduit le risque de myopie chez l’enfant. NÉPAL © Ulie-Anne Davies CC BY-NC-SA 2.0
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La promotion de la santé oculaire est essentielle pour la santé et le bien-être des patients et de la communauté, et nous pouvons tous y contribuer.

Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, neuf personnes aveugles ou malvoyantes sur dix présentent une affection qui aurait pu être évitée ou traitée1. Ceci laisse à penser que des mesures préventives et la promotion de la santé oculaire pourraient jouer un rôle important dans la réduction de la cécité et des déficiences visuelles. Cependant, dans la plupart des pays, la promotion de la santé oculaire ne fait l’objet que de peu d’attention2.

Pourquoi la promotion de la santé oculaire est-elle nécessaire ?

De nombreux facteurs font que les gens restent en bonne santé ou tombent malades ; l’on peut citer notamment les conditions de vie, le niveau de revenu et le niveau d’éducation. Les gens sont également plus susceptibles de tomber malades s’ils ne savent pas comment préserver leur santé et celle de leur famille, ou comment et où se faire soigner en cas de maladie. Il en va ainsi pour de nombreuses affections oculaires. Par exemple, une personne est plus susceptible de développer un diabète de type 2 et une perte de vision due à une rétinopathie diabétique si elle ne connaît pas les causes du diabète, si elle n’a pas les moyens d’avoir une alimentation saine, si elle ne peut pas avoir une activité physique régulière ou si elle ne comprend pas l’importance de prendre régulièrement ses médicaments et de se faire examiner les yeux à intervalles réguliers. Les gens sont également plus susceptibles de tomber malades en l’absence de politiques en matière de logement abordable, d’eau potable et de sécurité au travail, par exemple.

Qu’est-ce que la promotion de la santé ?

La promotion de la santé est un processus qui permet à chaque personne de mieux contrôler sa santé et de l’améliorer3. En plus de l’existence d’un bon système de santé, trois autres facteurs sont nécessaires pour assurer la santé et le bien-être :

  1. Un environnement sain à la maison et au travail.
  2. Des compétences en matière de santé : savoir ce que l’on doit faire pour préserver sa santé et garantir sa sécurité, et où obtenir de l’aide en cas de besoin.
  3. Des politiques gouvernementales soucieuses des questions de santé ; par exemple des politiques qui veillent à ce qu’il y ait des endroits sûrs dans les zones urbaines pour l’activité physique.

La promotion de la santé est plus efficace lorsque l’on met l’accent sur le niveau de vie et le mode de vie, et lorsque l’on prend conscience qu’une bonne santé ne se limite pas à l’absence de maladie. Il est tout aussi important que certains groupes de personnes (par exemple, les personnes vivant avec le diabète et les experts médicaux) travaillent ensemble pour trouver des solutions pertinentes, réalisables et acceptables et pour renforcer les compétences qui permettent aux populations d’apporter elles-mêmes des changements efficaces dans leurs habitudes de vie. Ces concepts et ces actions doivent être adaptés au contexte local et doivent toucher les populations les plus difficiles à atteindre4.

Par où commencer ?

Pour bien commencer, l’on peut réfléchir aux différents groupes de personnes qui tireraient bénéfice des actions de promotion de la santé oculaire (par exemple les femmes enceintes, les enfants, les personnes diabétiques et les personnes âgées), et à la manière dont on pourrait les atteindre. Pour chaque groupe, pensez à ce que vous pourriez mettre en place dans ces trois domaines-clés pour améliorer la santé : un environnement sain, des compétences en matière de santé, et des politiques gouvernementales (voir Figure 1).

  • Environnement sain. Que faut-il introduire dans l’environnement, et qu’est-ce qui est nuisible et doit être éliminé ? Par exemple, l’accès à l’eau pour boire et se laver est essentiel pour la santé oculaire d’une communauté, tout comme l’élimination des déchets.
  • Compétences en matière de santé. Quelles sont les lacunes en matière de connaissances et quelles sont les idées fausses ou les croyances erronées qui ont cours dans la communauté ? Par exemple, pour que les membres de la communauté aient une bonne santé oculaire, ils ont besoin d’informations sur l’alimentation et l’exercice physique, sur l’importance des examens oculaires et des tests de glycémie, sur les avantages de la chirurgie de la cataracte et des verres correcteurs, et sur les endroits où ils peuvent se rendre en cas de problème oculaire.
  • Politiques gouvernementales. Quelles politiques peut-on mettre en place pour favoriser la santé, et quelles politiques sont potentiellement néfastes et devraient être supprimées ?

Figure 1 Exemples de promotion de la santé oculaire

Quel rôle pouvons-nous jouer dans la promotion de la santé oculaire ?

En tant qu’ophtalmologistes, optométristes, infirmiers spécialisés en ophtalmologie et membres du personnel paramédical, nous avons accès à des groupes tels que les femmes enceintes, les enfants, les personnes atteintes de diabète de type 2 et les personnes âgées, que ce soit sur notre lieu de travail ou dans la communauté où nous vivons. Nous pouvons former d’autres professionnels de la santé à la promotion de la santé oculaire, notamment dans les cliniques de soins prénatals, les consultations de prise en charge du diabète, ou dans les écoles. Par exemple, des personnels de santé oculaire ont formé des personnes travaillant dans des cliniques de santé maternelle et infantile sur les soins oculaires primaires, en particulier sur la prévention et la promotion de la santé oculaire, avec des résultats appréciables5. Les enfants scolarisés constituent un public captif pour la promotion de la santé oculaire. L’Agence internationale pour la prévention de la cécité (IAPB) a mis au point un kit d’activités scolaires contenant des documents de promotion de la santé oculaire ; il peut être téléchargé gratuitement6.

Dans le domaine des soins oculaires, le rôle de l’éducation à la santé est d’encourager l’adoption de comportements favorables à la santé oculaire et d’accroître le recours aux services de soins oculaires7. Dans le cadre de notre travail, l’éducation à la santé peut s’adresser aux individus, aux familles et aux communautés. Il peut s’agir d’encourager les membres de la famille à se faire examiner les yeux, en particulier en cas d’antécédents de maladies oculaires telles que le glaucome. Pour les patients diabétiques, nous pouvons expliquer l’importance des examens oculaires annuels et voir avec eux comment ils peuvent adopter un mode de vie plus sain.

La promotion de la santé passe aussi par l’amélioration de la qualité et de la quantité des services8 et nous pouvons y contribuer en rendant les soins oculaires plus accessibles, plus abordables et plus acceptables.

Les activités de stratégie avancée sont une excellente occasion de discuter des comportements favorables à la santé oculaire. Nous pouvons encourager les responsables et les décideurs régionaux à investir dans de nouvelles méthodes de travail qui accordent la priorité à la promotion de la santé. Nous pouvons également plaider pour des politiques qui encouragent les comportements sains, comme le port de lunettes de protection sur le lieu de travail, et des aires de jeu sûres dans les écoles. La Journée mondiale de la vue offre l’occasion aux prestataires de soins de santé oculaire de plaider en faveur de telles politiques, que ce soit dans les médias, sur le lieu de travail ou dans les écoles.

En tant que professionnels de la santé oculaire, nous devrions faire de notre mieux pour intégrer la promotion de la santé oculaire dans notre travail de tous les jours et devenir des ambassadeurs de la santé oculaire.

Références

1 Burton MJ et al. The Lancet Global Health Commission on Global Eye Health: vision beyond 2020. The Lancet Global Health 2021 ; 9 (4) : e489–e551.

2 OMS. Rapport mondial sur la vision. Genève : OMS, 2019. La version en français peut être téléchargée sur la page : https://www.who.int/publications/i/item/9789241516570

3 OMS. Health Promotion (en anglais). https://www.who.int/health-topics/health-promotion

4 Grabowski D et al. Principled promotion of health: implementing five guiding health promotion principles for research-based prevention and management of diabetes. Societies 2017 ; 7 (2) : 10.

5 Mafwiri MM et al. Mixed methods evaluation of a primary eye care training programme for primary health workers in Morogoro Tanzania. BMC Nursing 2016 ; 15 : 41.

6 Agence Internationale pour la Prévention de la Cécité. Comment aimer ses yeux. https://www.iapb.org/fr/world-sight-day/how-to-love-your-eyes/.

7 Hubley J, Gilbert C. Eye health promotion and the prevention of blindness in developing countries: critical issues. Br J Ophthalmol 2006 ; 90 (3) : 279–84.

8 Hubley J. Communicating health: an action guide to health education and health promotion. 2ème ed. Oxford : Macmillan, 2004.


Formation du personnel en SOP : conseils pratiques*

Les consultations dans cette clinique prénatale offrent l’opportunité de promouvoir la santé oculaire auprès des femmes enceintes. NIGERIA © Ada Aghaji CC BY-NC 4.0

*Cet encadré est extrait de l’article : D Etya’ale. Mise en oeuvre des soins oculaires primaires : comment procéder en pratique. Rev Santé Oculaire Comm (2010) vol 7 nº8 : 8–11.

Qui former ?

Dans bien des cas, les services d’ophtalmologie n’interviennent que tardivement dans le parcours du patient ; il importe donc d’identifier les services de premier recours sollicités en amont, afin d’identifier les personnes et services à impliquer dans les soins oculaires primaires (SOP). La réponse sera fonction des facteurs suivants :

  • les pathologies les plus prévalentes ou identifiées comme prioritaires par le programme national.
  • le personnel médical et paramédical disponible dans le pays.
  • les services de soins dont l’implication permettra d’obtenir le plus grand impact possible.

Méthodologie de la formation

En règle générale, parce que la plupart des formations en SOP sont souvent de courte durée (de deux à trois jours pour les agents communautaires à une semaine pour le personnel médical non spécialisé), il importe que ces formations ne soient pas simplement des « condensés » ou des « mini-cours » d’ophtalmologie, mais répondent plutôt à un certain nombre de critères précis qui seront, en général et à dessein, limités. Ainsi, quelle que soit leur durée, chacune de ces formations devra répondre aux exigences suivantes :

  1. La formation doit être la plus précise possible. Le formateur doit faire un effort délibéré pour limiter le « jargon de spécialiste » au strict minimum et s’assurer à chacune des étapes de la formation que chaque terme ou concept important est clairement expliqué et bien compris des étudiants.
  2. La formation doit être centrée sur les tâches à accomplir, c’est-à-dire construite autour d’un nombre limité de tâches et de compétences essentielles au travail futur de l’apprenant. Celui-ci devra maîtriser ces tâches à la fin de sa formation ; par exemple, comment, à partir d’un examen de base bien mené, suspecter un vice de réfraction, ou bien comment suspecter ou reconnaître un ulcère de la cornée, ou encore comment reconnaître une cataracte opérable.
  3. Il faut garantir qu’à la fin de la formation, chaque personne formée ait avec elle le petit matériel essentiel au travail pour lequel elle aura été formée.
  4. La formation doit s’assortir d’un mémento simple et précis qui rappellera à l’apprenant l’essentiel de sa formation et lui servira de guide pratique une fois rentré à son lieu de travail.
  5. Il faut inclure dans le programme de la formation la liste des centres de premier recours ainsi que le (ou les) centre spécialisé le plus proche, pour l’évacuation des cas graves ou urgents.
  6. Il faut inclure à la fin de la formation une lettre au superviseur de la personne formée, résumant les nouvelles compétences acquises par son candidat et sollicitant son plein soutien pour le travail futur de ce dernier.
  7. Enfin, il faut proposer à tous les participants un calendrier pour les premières visites de supervision sur le terrain.

Contenu de la formation

Le contenu détaillé de cette formation variera largement en fonction des différents contextes de mise en oeuvre des SOP. Par contre, et indépendamment du contexte, chaque programme de formation devrait, autant que faire se peut, comporter les composantes suivantes (Tableau 1) :

  1. Un volet promotion de la santé oculaire (souvent négligé dans les activités purement cliniques) dont la finalité est de promouvoir au sein de la communauté des attitudes, des pratiques et des comportements permettant de préserver le plus longtemps possible une fonction visuelle normale.
  2. Un volet préventif ayant comme principaux objectifs la prévention des principales causes de cécité évitable, ainsi que le dépistage et la référence précoces des principales affections oculaires au sein de la communauté.
  3. Un volet curatif dont l’importance relative dépendra du niveau et du type de personnel à former (médecin, infirmier, aide-soignant ou agent communautaire), mais dont les principaux objectifs seront la prise en charge des affections oculaires les plus simples, et surtout l’identification et le transfert rapides de tous cas susceptibles d’affecter négativement à court ou à moyen terme le pronostic visuel des personnes concernées.
  4. Un volet réhabilitation dont la fonction essentielle sera l’identification des personnes présentant des cécités irréversibles avérées et leur orientation vers les services de rééducation et de réhabilitation appropriés.

Tableau 1 Exemple de paquet d’activités d’un programme de soins oculaires primaires (SOP)

Composante SOP Activités Lieux d’application et d’intervention Personnes/services à sensibiliser ou à impliquer*
Promotion et sensibilisation
  • Éducation sur les principales causes de cécité évitable ou curable
  • Éducation sur les comportements, attitudes et gestes qui favorisent une bonne santé oculaire
  • Communautés
  • Lieux de culte
  • Groupements et associations (particulièrement féminines)
  • Écoles
  • Centres de santé
  • Hôpitaux
  • Agents de santé communautaires
  • Guérisseurs traditionnels
  • Maîtres d’école
  • Élèves
  • Personnels de santé
  • Leaders communautaires et d’opinion
  • Médias
  • Volet préventif
    • Immunisation
    • Hygiène et assainissement
    • Nutrition
    • Prévention des accidents oculaires
    • Consultations prénatales
    • Prévention de l’ophtalmie du nouveau-né
    • Dépistage de la cataracte et du glaucome congénital
    • Communautés
    • Lieux de culte
    • Groupements et associations (particulièrement féminines)
    • Écoles
    • Centres de santé
    • Hôpitaux
    • Agents de santé communautaires
    • Guérisseurs traditionnels
    • Parents
    • Techniciens santé/environnement
    • Infirmiers en santé publique
    • Sages-femmes
    • Services pédiatriques
    • Services mère et enfant (SME)
    Volet clinique et curatif
    • Premiers soins des accidents oculaires
    • Détection et prise en charge des affections oculaires les plus simples
    • Détection et transfert en urgence des affections oculaires graves ou à potentiel élevé de le devenir à court terme
    • Détection et orientation des cas de cécité curable comme la cataracte
    • Communautés
    • Centres de santé
    • Hôpitaux
    • Agents de santé communautaires
    • Guérisseurs traditionnels
    • Infirmiers
    • Médecins
    • Sages-femmes
    Réhabilitation
    • Identification des cas avérés de cécité irréversible
    • Orientation vers les services appropriés de rééducation et de réhabilitation
    • Communautés
    • Lieux de culte
    • Groupements et associations (particulièrement féminines)
    • Écoles
    • Centres de santé
    • Hôpitaux
    • Parents
    • Enseignants
    • Agents de santé communautaires
    • Guérisseurs traditionnels
    • Techniciens santé/environnement
    • Infirmiers en santé publique

    *Les personnes qui seront impliquées directement et celles qui ne seront que sensibilisées varient en fonction du contexte pour une même activité.