RSOC Vol. 11 No. 13 2014 pp 20 - 21. Publié en ligne 16 juillet 2014.

Quand la trabéculectomie a échoué

Ian Murdoch

Maître de conférence et chef de clinique ophtalmologique, Department of Epidemiology and International Eye Health, Institute of Ophthalmology, Londres, Royaume-Uni.

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Figure 1. Needling en cas de cicatrice fibreuse au bord du volet scléral: • point d’entrée à distance de la sclérotomie • mouvement de balayage pour créer une ouverture en arrière du volet. Ian Murdoch
Figure 1. Needling en cas de cicatrice fibreuse au bord du volet scléral:
• point d’entrée à distance de la sclérotomie
• mouvement de balayage pour créer une ouverture en arrière du volet.
Ian Murdoch

Votre patient avait besoin d’une trabéculectomie et l’intervention s’est bien déroulée, mais la pression intraoculaire (PIO) est maintenant plus élevée qu’elle ne l’était avant l’opération et vous avez le sentiment d’avoir échoué. Que faire ? Les questions développées dans cet article, qui est basé sur mon approche personnelle, vous aideront à mettre en place un plan d’action.

De quand date l’opération ?

Si l’intervention a eu lieu il y a moins de trois mois, alors une prise en charge postopératoire classique doit être mise en œuvre (voir page 17). Durant les trois premiers mois après l’opération, une PIO élevée se manifeste parfois chez certains patients. Cette élévation peut se produire dès la quatrième semaine postopératoire chez certains groupes ethniques africains, mais elle survient plus généralement entre six et huit semaines après l’opération. Ce phénomène fait en fait partie du processus de remodelage de la plaie et se résout ensuite naturellement par un bon résultat postopératoire1. La difficulté consiste à faire la distinc- tion entre cette élévation passagère de la PIO et une PIO élevée due à une cicatrisation fibreuse et un échec chirurgical qu’il faut tenter de corriger par tous les moyens possibles (page 17).

Au-delà de trois mois après l’intervention, une PIO élevée indique clairement un échec de l’intervention.

Y a-t-il une fonction résiduelle ?

Il est crucial de ne pas oublier l’objectif de la trabéculectomie, soit d’empêcher que le glaucome ne continue d’endommager le nerf optique. Parfois la PIO mesurée après l’opération est proche de la PIO préopératoire, mais néanmoins le glaucome n’évolue plus. Dans ce cas, inutile d’intervenir ! Le fait suivant permet peut-être d’expliquer en partie ce paradoxe : après une trabéculectomie, lorsque l’on mesure la PIO à intervalles réguliers pendant 24 heures, celle-ci est souvent remarquablement stable, ce qui n’est généralement pas le cas lorsque le glaucome évolue.

Une autre option consiste simplement à recommencer un traitement oculaire hypotonisant. Très souvent ceci s’avère suffisant, comme le montrent les chiffres de « réussite partielle » dans les essais cliniques sur les résultats de la trabéculectomie. Pour optimiser le traitement local, pensez à regarder de près le dossier du patient pour déterminer quel groupe de médicaments était le mieux toléré et le plus efficace avant l’intervention.

L’environnement est-il défavorable au succès de l’intervention ?

Cet environnement défavorable peut être une maladie oculaire locale concomitante, une inflammation conjonctivale due à une allergie ou une blépharite, une pathologie palpébrale ou encore une intervention chirur- gicale antérieure. Il vous faut prendre en charge tous ces cas avant l’opération ou bien développer une stratégie pour minimiser l’impact de ces pathologies secondaires sur la réussite de l’intervention.

Des facteurs externes peuvent également contribuer à créer un environnement défavorable. Il peut s’agir de facteurs sociaux, par exemple lorsqu’un patient vit seul et ne peut instiller son collyre ou lorsqu’une patiente fait peu de cas de son bien-être et se consacre en priorité à ses enfants et ses autres responsabilités. Lorsque vous le pouvez, essayez de contribuer à la mise en place d’un environne- ment propice au rétablissement. Demandez par exemple à un parent du patient de lui administrer son collyre ou aidez le patient à prendre des dispositions qui amélioreront sa prise en charge postopératoire. Envisagez de prescrire des stéroïdes injectables plutôt qu’un régime intensif d’instillations de collyre. Fixez des rendez-vous postopératoires qui conviennent à l’emploi du temps du patient.

Est-il possible de « ressusciter » la trabéculectomie ?

Pour répondre à cette question, il faut procéder à un examen minutieux au verre à gonioscopie pour vérifier que la sclérotomie est ouverte et ne présente pas d’obstruction interne. Notez également la mobilité, le degré d’inflammation et la vascularisation de la conjonctive. Lorsque vous examinez la bulle de filtration, gardez à l’esprit que les deux causes d’échec les plus importantes sont : une cicatrice fibreuse au bord du volet scléral sans soulèvement des tissus sus-jacents ou bien une encapsulation du volet de trabéculectomie avec soulèvement des tissus.

La libération à l’aiguille ou « needling » n’est pas une science exacte, mais les études de résultats suggèrent qu’on arrive plus fréquemment à obtenir une baisse de la PIO en ayant recours au needling (une ou plusieurs fois) et en injectant sous la conjonctive des agents anti-cicatrisants2,3.

Si le needling est indiqué, comment procéder ?

Comme pour tout geste clinique, ce sont les résultats qui comptent, plutôt que le menu détail de votre technique comparée à celle d’un collègue. Nous souhaitons tous le meilleur résultat possible et un minimum de complications.

Un bon champ opératoire est essentiel. Utilisez suffisamment d’anesthésique (j’utilise une anesthésie topique suivie par une injection sous-conjonctivale de lignocaïne à 2 %), un blépharostat, un agent vaso- constricteur (j’utilise de la phényléphrine parce qu’elle est pratique en consultation) et de la povidone iodée (ou produit semblable). Cela fait toute la différence.

Un needling à la lampe à fente a l’avantage de vous permettre d’évaluer immédiate- ment l’effet sur la pression oculaire et d’évaluer l’œil à intervalles réguliers après la procédure. Ce sera plus difficile à faire si vous effectuez cette libération à l’aiguille entre deux opérations pendant une journée au bloc bien remplie. D’un autre côté, si vous êtes déjà au bloc opératoire vous pourrez immédiatement mettre en œuvre une inter- vention chirurgicale plus complexe si celle-ci s’avère nécessaire. Certains collègues utilisent des aiguilles de calibre 25 à 30, ou des lames MVR ; d’autres sont plus aventu- reux. Personnellement j’utilise une aiguille de calibre 30 à la lampe à fente et une lame micro MVR au bloc opératoire.

La plupart des praticiens utilisent une voie d’abord conjonctivale à distance de la cicatrice fibreuse à perforer, puis effectuent un petit mouvement de balayage pour ouvrir un canal de drainage de taille suffisante (Figure 1). Planifiez votre abord avec soin et ne libérez à l’aiguille que la zone qui fait obstruction à l’écoulement de l’humeur aqueuse.

La complication la plus courante après une libération à l’aiguille est l’hémorragie, soit sous la conjonctive ou dans la chambre antérieure. Si votre champ de vision n’est pas bien dégagé, alors arrêtez-vous et réessayez une autre fois.

En cas d’hyphéma, il faudra rassurer le patient car sa vision sera affectée : attendez d’être sûr qu’il n’y a plus d’hémorragie active. Laissez le patient se reposer pendant 30 à 60 minutes, puis vérifiez qu’il n’y a pas encore présence d’une hémorragie et élévation de la PIO, puisque la présence de sang peut parfois complètement bloquer l’écoulement. Une fois que la situation s’est stabilisée, prenez en charge comme pour un hyphéma après une trabeculectomie : laissez le patient rentrer chez lui et revoyez-le dans un délai maximal d’une semaine, comme il convient.

L’autre complication pouvant survenir après une libération à l’aiguille est une hypotonie oculaire. À ce jour, je n’ai eu à effectuer qu’une seule reprise chirurgicale en raison de cette complication. Si la profondeur de la chambre antérieure a diminué de façon importante, conseillez au patient de se reposer et observez la situation pour voir si la chambre antérieure ne se reforme pas spontanément. Si c’est le cas, la marche à suivre est la même que pour une basse pression après trabéculectomie. Si la chambre antérieure ne s’est pas reformée spontanément, la meilleure solution est d’essayer de la reformer avec du gas ou du viscoélastique et d’observer le patient à intervalles réguliers aussi souvent que nécessaire. Certains cas d’infection ou d’aiguilles égarées ont été rapportés, mais ils sont fort heureusement rares. La plupart des praticiens utilisent une antibiothérapie prophylactique locale. Les corticoïdes en pré- et postopératoire demeurent un des piliers du traitement pour empêcher la cicatrisation fibreuse à répétition.

Les corticoïdes et le 5-fluorouracile (pages 18–19) en injections sous-conjonctivales sont les agents anti-cicatrisants les plus couramment utilisés. Faites très attention à ce qu’ils ne pénètrent pas dans la chambre antérieure ; si cela se produit malgré vos précautions, lavez abondamment au bloc opératoire. La mitomycine C est maintenant employée plus fréquemment et la littérature mentionne d’autres agents supplémentaires utilisés avec plus ou moins de succès, comme l’interféron, le hyaluronate de sodium et le bévacizumab.

Que faire si le needling est contreindiqué ou a échoué ?

Ceci dépend de tous les facteurs mentionnés plus haut et de ce qu’il est possible de faire dans votre unité de soins. Les options les plus courantes sont : l’ablation du corps ciliaire au laser diode (cyclodiode), une nouvelle trabéculectomie à un deuxième site, une reprise de la trabéculectomie existante et l’implantation de tubes de drainage.

Références

1 Scott DR, Quigley HA. Medical management of a high bleb phase after trabeculectomies. Ophthalmology 1988;95(9):1169–1173.

2 Broadway DC, Bunce PA, Bunce C, et al. Needle revision of failing and failed trabeculectomy blebs with adjunctive 5-fluorouracil: survival analysis. Ophthalmology 2004;111(4):665–673.

3 Rotchford AP, King AJ. Needling revision of trabeculectomies, bleb morphology and long-term survival. Ophthalmology. 2008;115(7):1148–1153.