RSOC Vol. 19 No. 28 2022 pp 30-32. Publié en ligne 16 février 2023.

Qu’est-ce que la santé oculaire primaire ?

Clare Gilbert

Professeure de santé oculaire internationale, International Centre for Eye Health, London School of Hygiene &Tropical Medicine, Londres, Royaume-Uni.


Hannah Faal

Professeure adjointe de santé oculaire internationale, University of Calabar Teaching Hospital, Calabar, Nigeria.


Luke Allen

Attaché de recherche clinique, International Centre for Eye Health, London School of Hygiene &Tropical Medicine, Londres, Royaume-Uni.


Matthew Burton

Directeur, International Centre for Eye Health, London School of Hygiene &Tropical Medicine, Londres, Royaume-Uni


© Ulrich Eigner CC BY-NC-SA 2.0
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La santé oculaire primaire – tout comme la santé primaire – doit inclure non seulement la prestation de services de soins de santé, mais aussi des politiques et actions de soutien multisectorielles, ainsi que l’autonomisation des membres de la communauté pour qu’ils prennent soin de leurs yeux.

Beaucoup d’entre vous connaissent la notion de « soins oculaires primaires » et savent que l’on entend par là les soins oculaires de base dispensés au premier point de contact avec les services de santé, généralement par des professionnels de santé travaillant dans des établissements de santé communautaires ou primaires. Dans ce numéro, nous soutenons que les soins oculaires primaires devraient être considérés comme faisant partie intégrante de la santé primaire, telle qu’elle est définie par l’Organisation mondiale de la santé (voir encadré). Ce terme englobe non seulement la prestation de services normalement entendue par la notion de « soins oculaires primaires », mais également les deux composantes de promotion sanitaire que l’on trouve dans la définition de la santé primaire : les politiques et les actions multisectorielles, d’une part, et l’autonomisation des personnes et des communautés, d’autre part. Pour souligner cette distinction, nous avons utilisé le terme « santé oculaire primaire » dans ce numéro de la Revue de Santé Oculaire Communautaire.

La santé primaire définie par l’Organisation mondiale de la santé

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et d’autres organismes reconnaissent de plus en plus le rôle de la santé primaire et préconisent son renforcement pour améliorer la santé des populations. L’OMS définit la santé primaire comme « une approche pansociale de la santé qui vise à maximiser la santé et le bien-être pour l’ensemble de la population à travers trois composantes :

a. Soins primaires et fonctions essentielles de santé publique, qui représentent le coeur d’un système de santé intégré

b. Politiques et actions multisectorielles

c. Autonomisation des personnes et des communautés. »

Chacune de ces composantes comporte plusieurs éléments qu’il convient d’expliquer.

Dans la composante a, le terme « soins primaires » fait référence aux services cliniques fournis par des professionnels de santé travaillant dans la communauté. Dans les pays à revenu élevé, ces soins peuvent être dispensés par des médecins de famille ; dans les pays à faible revenu, des infirmiers de soins généraux ou autres personnels cliniques assurent ces services dans des établissements de soins de santé primaires. Cela signifie que le type et le niveau des soins dispensés sont très spécifiques au contexte. La notion de « fonctions essentielles de santé publique » peut inclure toute une série d’activités, telles que le dépistage de maladies ou de facteurs de risque de maladies comme l’hypertension, ainsi que des mesures préventives spécifiques, notamment la vaccination. Un « système de santé intégré » signifie que la santé primaire constitue la base essentielle de la fourniture de soins de santé à une population et qu’il existe des mécanismes adéquats d’orientation du niveau primaire vers le niveau secondaire.

Dans la composante b, la notion de « Politiques et actions multisectorielles » fait référence au fait que des politiques dans des secteurs autres que celui de la santé peuvent avoir une influence importante sur les résultats en matière de santé. Il peut s’agir de politiques qui touchent à divers aspects de la vie, tels que le logement, les transports, l’urbanisme, l’assainissement, la qualité de l’air, etc., ou de politiques spécifiques qui renforcent la santé primaire. En effet, il est admis que de nombreux facteurs sous-jacents augmentent le risque de maladie, notamment le surpeuplement, la pollution de l’air, l’absence d’eau potable et d’assainissement, ainsi que le manque de transports publics pour se rendre dans les établissements de soins. Des politiques sont nécessaires pour traiter et limiter ces facteurs sous-jacents. Pour être efficaces, ces politiques doivent être financées et mises en oeuvre de manière appropriée.

Dans la composante c, la notion d’« Autonomisation des personnes et des communautés » signifie que la population connaît les causes des maladies, les bons comportements en matière de santé, où il faut se rendre en cas de maladie ; cette notion comprend également l’inclusion des personnes atteintes d’un handicap visuel irréversible. On peut également parler à la population des dangers potentiels de l’utilisation de remèdes traditionnels ou de remèdes maison. Chaque personne possédera alors les connaissances (compétences de santé) et les capacités nécessaires pour apporter des changements.

Les activités visant à améliorer les compétences de santé, à créer un environnement sain et à encourager des politiques gouvernementales favorables à la santé (les activités brièvement décrites dans les parties b et c ci-dessus) sont connues sous le nom de promotion de la santé ou promotion sanitaire (voir page 40).

Figure 1 La santé oculaire primaire (en bleu) est une composante de la santé primaire (en vert) et elle consiste en des services intégrés de santé primaire et de santé publique, ainsi qu’en une promotion de la santé (en orange), qui comprend des politiques et actions multisectorielles et l’autonomisation des personnes et des communautés

Qu’est-ce que la santé oculaire primaire ?

Si l’on se réfère aux trois composantes de la santé primaire telle que définie par l’OMS (voir encadré à la page 30), la santé oculaire primaire comprend :

a. Les soins oculaires primaires et les fonctions essentielles de santé publique pour la santé oculaire, dispensés par des professionnels de santé dans des établissements au sein de la communauté. Le type et le niveau des soins oculaires fournis dépendent du contexte local.

b. Les politiques et les actions multisectorielles : il s’agit de politiques qui réduisent les facteurs de risque des affections oculaires, comme un bon approvisionnement en eau et un bon assainissement, ou qui améliorent l’accès aux soins oculaires, comme de meilleurs transports publics.

c. L’autonomisation des personnes et des communautés. Les populations savent comment prévenir les affections oculaires et sont en mesure de recourir à des services de soins oculaires en cas de besoin.

Les composantes b (« Politiques et actions multisectorielles ») et c (« Autonomisation des personnes et des communautés ») constituent ensemble la promotion de la santé. Pour en savoir plus, lire l’article sur la promotion de la santé inclus dans ce numéro en page 40.

Qui peut contribuer à la santé oculaire primaire ?

Les soins oculaires dispensés au niveau primaire varient d’un pays à l’autre et même au sein d’un même pays, en fonction des ressources disponibles. Certains pays disposent de personnel ophtalmologique spécialisé comme les optométristes et les réfractionnistes, qui travaillent dans la communauté ou dans des établissements privés, gouvernementaux ou non gouvernementaux (comme les centres de la vision) où ils jouent un rôle essentiel dans la fourniture de soins oculaires primaires. Dans d’autres pays, les établissements de soins primaires sont dotés d’un personnel composé de divers professionnels de santé qui n’ont pas forcément de formation spécifique en matière de soins oculaires. Il peut s’agir de médecins, mais la plupart des soins sont dispensés par des professionnels paramédicaux tels que des officiers de la santé, des infirmiers et des sages-femmes, qui peuvent être formés et soutenus pour la délivrance de soins oculaires de base.

Étant donné qu’une grande partie des problèmes oculaires sont simples à diagnostiquer et à prendre en charge, il est logique que ce travail soit effectué au niveau des soins de santé primaires, laissant ainsi les ophtalmologistes hautement qualifiés – qui travaillent généralement dans des établissements de santé secondaires ou tertiaires – se concentrer sur les problèmes oculaires complexes.

Qui peut assurer la promotion de la santé oculaire ?

La majorité des établissements de soins de santé primaires disposent de professionnels de santé qui leur sont rattachés et qui travaillent principalement dans la communauté. Il y a notamment des agents de vulgarisation ou de santé communautaire, des infirmiers, des sages-femmes et des auxiliaires médicaux à domicile, pour n’en citer que quelques-uns. Ces personnels sont bien placés pour mener à bien des activités de promotion de la santé oculaire (voir page 40).

Comment améliorer la disponibilité de la santé oculaire primaire ?

Les professionnels de l’ophtalmologie ne pourront jamais, à eux seuls, atteindre l’ensemble de la population, y compris les groupes marginalisés tels que les personnes handicapées. C’est pour cette raison qu’il est essentiel d’intégrer la santé oculaire dans la santé primaire. Dans la plupart des pays, la majorité de la population vit à moins de 10 kilomètres d’un établissement de soins de santé primaires. Si le personnel qui travaille dans ces établissements ou qui y est rattaché était correctement formé et disposait de l’équipement, des médicaments, des documents pédagogiques et de toutes les autres ressources nécessaires, cela permettrait potentiellement à toutes les communautés, même les plus reculées, d’avoir accès à la santé oculaire primaire.

Il existe deux possibilités d’intégration des soins oculaires : premièrement, l’intégration dans la santé primaire offerte aux personnes de tous âges, et deuxièmement, l’intégration des soins oculaires dans les services destinés spécifiquement aux jeunes enfants (voir page 36).

La santé oculaire primaire, lorsqu’elle fonctionne bien, a le potentiel de provoquer d’énormes changements et d’entraîner une augmentation du nombre de personnes souffrant d’affections oculaires qui se rendent dans les services de soins oculaires, tout en réduisant la charge des centres secondaires qui sont submergés par des personnes souffrant d’affections oculaires simples qui auraient pu être prises en charge dans des établissements de soins de santé primaires.

Glossaire des termes utilisés

Santé primaire : approche pansociale de la santé (axée sur l’ensemble de la société) qui vise à maximiser la santé et le bien-être pour l’ensemble de la population grâce aux soins primaires et aux fonctions essentielles de santé publique qui constituent le coeur des services de santé intégrés, parallèlement à deux mesures de promotion de la santé qui sont la mise en oeuvre de politiques et d’actions multisectorielles, et l’autonomisation des personnes et des communautés1.

Soins primaires : ce sont des services cliniques fournis par des professionnels de santé dans des établissements de soins communautaires ou primaires. L’OMS définit les soins primaires comme une composante de la santé primaire qui facilitent les soins de premiers recours, l’accessibilité, la continuité, l’exhaustivité et la coordination des soins axés sur le patient2.

Santé oculaire primaire : il s’agit essentiellement de la notion de santé primaire appliquée à la santé oculaire. Comme la santé primaire, la santé oculaire primaire comprend les soins oculaires primaires (voir ci-dessous) et les fonctions essentielles de santé publique telles que le dépistage, la vaccination ou la supplémentation en micronutriments. Elle inclut également deux mesures de promotion de la santé oculaire : d’une part, des politiques et des actions visant à réduire les affections oculaires et à améliorer l’accès aux services de soins oculaires, et, d’autre part, l’éducation et le soutien des communautés afin qu’elles sachent comment prévenir les affections oculaires et recourir à des services de soins oculaires en cas de besoin.

Soins oculaires primaires : ce sont des services de soins oculaires cliniques dispensés par des professionnels de santé qui travaillent dans des établissements de soins communautaires ou primaires ou qui y sont rattachés. Ces soins comprennent la détection et la prise en charge des affections oculaires simples, ainsi que la détection des affections oculaires plus complexes et l’orientation des patients concernés vers des centres de soins de santé secondaires

Références

1 OMS. Cadre opérationnel pour les soins de santé primaires : de l’ambition à l’action. 2020. Disponible sur : https://apps.who.int/iris/handle/10665/351687

2 OMS et UNICEF. Déclaration d’Astana. 2018. Disponible sur : https://www.who.int/docs/default-source/primary-health/declaration/gcphc-declaration-fr.pdf


Intégration « verticale » des soins oculaires : les trois niveaux de soins oculaires*

*Cet encadré est extrait de l’article : AD Négrel. Des soins oculaires primaires à une prise en charge globale. Rev Santé Oculaire Comm (2010) vol 7 nº8 : 5–7.
Figure 1 Organisation des soins oculaires pour la mise en place d’un système de soins oculaires complets

Dans un système bien conçu, les prestations de soins oculaires primaires (SOP) se situent à la croisée de deux chemins :

  • Intégration « horizontale » dans les SSP : les SOP ne doivent pas être proposés dans un projet spécifiquement ophtalmologique qui méconnaîtrait le contexte socioéconomique et les autres problèmes de santé des membres de la communauté.
  • Intégration « verticale » dans l’ensemble du système de soins oculaires : les SOP sont le premier maillon d’une chaîne de prestations de soins oculaires qui doit être complète pour que la lutte contre la cécité devienne efficace (voir Figure 1).