RSOC Vol. 03 No. 02 2006 pp 41 - 42. Publié en ligne 09 août 2006.

Rapprocher les professionnels de la santé et les communautés

Sally Hartley

Senior Research Fellow, Institute of Child Health, University College London, 30 Guilford Street, London WC1N 1EH, Royaume-Uni.

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On apprend beaucoup lorsqu’on écoute les membres de la communauté. GHANA. Victoria Francis
On apprend beaucoup lorsqu’on écoute les membres de la communauté. GHANA. Victoria Francis

Introduction

Combler le fossé entre les professionnels de la santé et les communautés est une tâche difficile, qui implique d’établir une culture de participation communautaire et d’améliorer la communication entre ces deux groupes. Il n’est pas facile de communiquer efficacement. Les individus concernés ne parlent souvent pas la même langue, ont des niveaux d’instruction et de compétence différents, n’ont pas les mêmes priorités dans la vie et abordent généralement chaque situation de manière différente. En outre, la communication s’effectue en majorité de façon non verbale, au travers de gestes, d’expressions du visage et d’attitudes corporelles. Ceci est très important pour deux raisons. Premièrement, tout sentiment de pitié, de supériorité, de frustration, de dédain ou de respect, sera très certainement transmis de façon non verbale. Ce mode de communication alternatif transmet des messages qui ont beaucoup plus d’impact que ce qui est effectivement dit. Deuxièmement, beaucoup de ces messages non verbaux, à l’exception du ton de la voix, sont d’ordre visuel et, par conséquent, ne peuvent être reçus par les personnes qui ne voient pas suffisamment bien. Ces deux éléments combinés peuvent concourir à un effondrement de la communication.

Cet article a pour but d’examiner le processus de communication en termes de besoins, d’opportunités et de moyens. Il abordera également ce que les professionnels de la santé sont susceptibles d’apprendre auprès des membres de la communauté, ce qui est un des bénéfices potentiels d’une meilleure communication entre ces deux groupes. Il ne faut pas oublier que les personnes malvoyantes, ainsi que leur famille, font partie de la communauté.

Les membres de la communauté se réunissent pour parler de la prévention du trachome. TANZANIE. Victoria Francis
Les membres de la communauté se réunissent pour parler de la prévention du trachome. TANZANIE. Victoria Francis

Communication

Pour bien communiquer, il faut communiquer « dans les deux sens » et les individus concernés doivent participer chacun à leur tour. Une communication efficace peut servir à partager des idées, à donner des consignes, à poser des questions et à exprimer des sentiments. Trois conditions doivent être remplies.

La première condition préalable est l’existence d’un besoin ou d’un désir de communication. L’agent de santé doit souhaiter communiquer avec le membre de la communauté et ce dernier doit souhaiter écouter. Pour cela, il faut que chaque partie intéressée ait le sentiment que l’échange sera agréable et utile. Les agents de santé peuvent parfois avoir l’impression que la seule chose qui compte est ce qu’euxmêmes ont à dire au patient ou aux membres de la communauté. Ils passent souvent des heures à décider de ce qu’ils devront dire. Les membres de la communauté peuvent ne pas être prêts à écouter parce qu’ils ont d’autres préoccupations et des problèmes plus pressants. Dans l’une ou l’autre de ces situations, la communication ne sera vraisemblablement pas efficace. Il faut d’abord répondre aux questions suivantes : les groupes concernés éprouvent- ils un besoin de communiquer entre eux ? Si non, pourquoi ? Existe-t-il un moyen de résoudre cette situation ?

La deuxième condition préalable à une communication efficace est la création d’une opportunité. Par exemple, on aura peu de chance de communiquer efficacement si l’on ne dispose pas de suffisamment de temps. L’agent de santé est-il trop occupé ? Est-on face à une réelle opportunité de communiquer ? Le choix du lieu est également important. Si l’on prodigue des conseils d’ordre privé et personnel dans un endroit effrayant ou dans un lieu public, ceux-ci ne seront vraisemblablement pas entendus. Il faut se demander si le lieu choisi est vraiment le meilleur lieu possible pour avoir ce type de conversation avec un individu ou un groupe.

La troisième condition préalable concerne les moyens. Par ceci, on entend l’efficacité et la compatibilité des outils de communication choisis, comme l’existence d’une langue commune pour les échanges, la capacité des parties concernées à écouter et à parler (ou à lire et à écrire si c’est le moyen utilisé). Il faut se poser les questions suivantes : les parties intéressées disposent-elles d’un moyen de communication efficace ? Parlentelles la même langue, utilisent-elles le même dialecte et comprennent-elles les mêmes termes ? Si non, comment surmonter cette situation ?

En cas de communication efficace, que peut-on apprendre des membres de la communauté ? Les données semblent indiquer que les parties prenantes, c’est-àdire les personnes directement ou indirectement concernées par la « déficience visuelle » (par ce terme, nous entendons ici tous les défauts de vision, allant de la cécité aux vices de réfraction), s’accordent sur le fait que les membres de la communauté peuvent contribuer de façon positive à améliorer la qualité de vie des personnes souffrant de déficience visuelle. John Hubley1, tout comme Muhammod Sabur2, soulignent que la participation communautaire est un facteur important dans l’efficacité des soins oculaires. Ils fournissent des informations sur ce que peuvent faire les membres de la communauté pour améliorer les soins oculaires (une identification et un traitement précoce, ainsi qu’une bonne observance thérapeutique). Cependant, ces auteurs ne détaillent pas comment suivre ces recommandations. C’est en écoutant les membres de la communauté que l’on pourra répondre à cette question. En d’autres mots, les agents de santé savent répondre au « quoi » et les membres de la communauté savent répondre au « comment ». Chaque groupe possède donc sa propre expertise. Ce n’est qu’en combinant ces deux types de savoir que l’on parviendra à une solution véritable, par conséquent il est important que la communauté participe au développement des services. Si l’on veut pouvoir mettre en pratique les recommandations des professionnels de la santé, il faut interroger les membres de la communauté, les écouter et faire appel à leur expertise. Comme le dit un proverbe masaï : « Une seule tête ne peut contenir toute la sagesse ».

Cet enfant a retrouvé la vue après une opération de la cataracte. BANGLADESH.  Mohammad Muhit
Cet enfant a retrouvé la vue après une opération de la cataracte. BANGLADESH. Mohammad Muhit

Que peuvent apprendre les communautés aux prestataires de soins oculaires ?

Prévention et traitement ne sont pas tout

Lorsqu’on écoute les membres de la communauté, on se rend compte que la prévention et le traitement des affections oculaires ne représentent qu’une partie du problème. Tout le monde s’accorde à dire que 80 % des affections oculaires sont évitables, c’est-à-dire qu’elles peuvent être prévenues ou traitées. Par exemple, une étude récente a montré que 68 % de la cécité infantile au Bangladesh était évitable (32 % des cas aurait pu être prévenus et 36 % pouvaient être traités). Si les services ne se concentrent que sur la prévention et le traitement, 32 % des enfants aveugles au Bangladesh ne recevront aucune aide. Ces enfants sont exclus de la société, de la santé, de l’éducation et de l’emploi, et leurs besoins doivent être pris en compte, parallèlement à tout programme curatif.

Humilité

Lorsqu’on est à l’écoute des membres de la communauté, on se rend compte que les aveugles ou malvoyants sont souvent très courageux. Ils ont des pensées, des sentiments, des idées et des ambitions, comme tout le monde. Ils ont beaucoup à offrir aux personnes affectées de maladies oculaires semblables et peuvent offrir leur soutien et leur compréhension. Ils sont rejetés par leur famille ou leur communauté et ne sont souvent que très peu maîtres de leur propre vie. Leur existence est difficile et semée d’embûches. Beaucoup de membres de leur communauté ne comprennent pas leurs besoins.

La prise de conscience progressive des agents de santé s’accompagne souvent d’une leçon d’humilité. Elle les encourage à communiquer d’une meilleure manière et avec plus de respect. Ils commencent à percevoir leurs patients comme des individus et non pas comme des « yeux » ambulants ! Le respect du patient en tant que personne permet en retour de gagner son respect et sa confiance. Par conséquent, celui-ci comprendra et appréciera mieux les conseils qui lui sont prodigués (par exemple consulter sans attendre, suivre les recommandations thérapeutiques, modifier son mode de vie ou améliorer son environnement).

Plaidoyer

Les aveugles ou malvoyants ont souvent un rôle important à jouer en matière de sensibilisation de la communauté, d’éducation et de plaidoyer. Ils sont particulièrement bien placés pour le faire, car ils savent ce que c’est que d’être aveugle et ils savent également comment ils ont réussi eux-mêmes à surmonter les obstacles qu’ils ont rencontrés. Les familles des aveugles ou des malvoyants peuvent également vraiment se soutenir et se comprendre entre elles. Il n’y a personne de mieux placé pour expliquer les modalités d’un traitement que quelqu’un qui en a déjà l’expérience.

Les professionnels de la santé peuvent faciliter l’accès aux programmes de réhabilitation. OUGANDA. Kerstin Hacker/Sightsavers
Les professionnels de la santé peuvent faciliter l’accès aux programmes de réhabilitation. OUGANDA. Kerstin Hacker/Sightsavers

Problèmes rencontrés par les aveugles ou les malvoyants

Les différentes formes d’invalidité qu’éprouvent les aveugles ou les malvoyants sont généralement semblables à celles que rencontrent les personnes souffrant d’autres handicaps. Celles-ci incluent une intégration sociale diminuée, une inégalité de droits, une réduction de l’accès aux soins de santé et à l’éducation et des opportunités d’emploi réduites. Les prestataires de soins de santé peuvent faciliter l’accès des malvoyants à des programmes de réhabilitation à base communautaire, lorsqu’ils existent, ce qui leur permettra de mieux s’intégrer dans la société.

En conclusion, les agents de santé ont beaucoup à apprendre des membres de la communauté, à condition qu’ils sachent écouter. Ceci requiert de leur part une révolution conceptuelle : ils doivent cesser de penser qu’ils sont les seuls experts, reconnaître l’importance du savoir local et adopter un rôle plus difficile de facilitation et soutien. Ceci implique de reconnaître les malvoyants ou les aveugles et leur famille comme les membres les plus importants de la communauté. Il faut travailler de concert avec eux et avec d’autres membres de la communauté, afin d’obtenir la meilleure prévention et la meilleure observance thérapeutique possibles. Ce processus de participation communautaire révélera sans doute des stratégies locales qui pourront améliorer les services déjà en place. Il révélera également la grande force, le courage, l’humilité et la sagesse de ceux qui ont appris à vivre avec leur malvoyance ou avec celle d’un être cher. Ces personnes ont beaucoup à nous enseigner. Il nous faut écouter et apprendre.

Références

1. Hubley J. Community participation : ‘putting the community into community eye health’. Community Eye Health Journal. 1999 ; Vol 12 Issue 31.

2. Sabur M. Mobilising resources within the community : ‘mobilising the un-mobilised’. Community Eye Health Journal. 1999 ; Vol 12 Issue 31.

3. Muhit M. Magnitude and causes of childhood blindness in Bangladesh. Childhood Blindness Workshop. Dhaka, Bangladesh, 2004.