RSOC Vol. 07 No. 08 2010 pp 01 - 03. Publié en ligne 01 janvier 2010.

Toujours un défi

Björn Thylefors

Directeur (1980-98) du programme de prévention de la cécité de l’OMS, et directeur (2001-07) du programme de donation Mectizan®.

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Examen oculaire dans une communauté rurale. CÔTE D’IVOIRE. © Ferdinand Ama
Examen oculaire dans une communauté rurale. CÔTE D’IVOIRE. © Ferdinand Ama

En 1978, une conférence organisée à Alma- Ata, au Kazakhstan1, marqua une nouvelle orientation en termes de politique sanitaire. Elle mit en avant le concept de soins de santé primaires (SSP), basé notamment sur les principes d’accès universel aux soins, d’équité et de justice sociale et de participation communautaire aux programmes de santé. La conférence dressa la liste des composantes essentielles d’un tel programme de soins de santé primaires (voir encadré à la page 2).

Le concept de soins oculaires primaires (SOP), qui constitue le thème de ce numéro, résulte de cette nouvelle orientation et de l’application du principe des SSP aux soins oculaires. Il est utile de noter que les SSP, tout comme les SOP, ont toujours été considérés à la fois comme une approche globale, plus inclusive, de la politique de santé et comme un niveau de soins dans le système de santé.

Les soins oculaires primaires peuvent aider les personnes malvoyantes vivant dans des villages reculés. BURUNDI. © Adrian Hopkins
Les soins oculaires primaires peuvent aider les personnes malvoyantes vivant dans des villages reculés. BURUNDI. © Adrian Hopkins

C’était en soi une idée révolutionnaire que de s’intéresser de plus près à l’offre de soins au niveau communautaire ; en effet, la plupart des ressources et des activités se concentraient sur les soins hospitaliers, plus particulièrement sur les centres universitaires dans les grandes agglomérations. Le mouvement des SSP s’associa très rapidement à l’initiative « Santé pour tous en l’an 2000 », qui avait pour but de renforcer l’engagement des gouvernements et de leurs partenaires à offrir un accès raisonnable aux soins de santé à toutes les tranches de la population, y compris les plus pauvres et les plus isolées. Le thème « santé pour tous » a souvent été mal compris et considéré comme étant peu réaliste (ce qui se comprend si on l’interprète au pied de la lettre), mais il a cependant eu pour effet d’attirer l’attention sur les questions de santé publique dans les pays en développement. Dans ces régions, les SOP ont joué un rôle important dans les initiatives de SSP et ont engendré les premières tentatives de mise en place d’un système reliant les soins au niveau communautaire avec les niveaux supérieurs de soins oculaires.

Des soins oculaires primaires au PNLC

L’une des premières tâches du tout nouveau Programme de prévention de la cécité de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) fut de définir les composantes de base des SOP en termes à la fois programmatiques et techniques. Ceci fut fait grâce à la réunion d’un groupe de travail à l’OMS à Genève, en 1980, et cette première réunion servit d’inspiration à de nombreuses initiatives dans différents pays, impliquant un grand nombre de groupes de professionnels de la santé, d’organisations non gouvernementales, d’universités, etc.

Entre autres initiatives pour promouvoir le concept de SOP, le Programme de prévention de la cécité de l’OMS entreprit de produire avec ses partenaires des manuels et matériels pédagogiques pour former différents groupes de personnels de santé. Les ministères de la santé de nombreux pays développèrent leurs nouvelles politiques de santé avec une composante de SOP ; le plaidoyer pour les SOP et la reconnaissance des besoins en soins oculaires au niveau de la communauté furent également renforcés. Au final, ce mouvement aboutit à des plans nationaux de lutte contre la cécité, ce qui était un signe de progrès dans l’évolution vers l’amélioration des soins oculaires pour tous. En 1995, plus de 100 pays avaient créé un tel programme national de lutte contre la cécité ; l’initiative VISION 2020, lancée en 1999, avait pour but de renforcer et d’étendre ces acquis.

Les huit composantes fondamentales des soins de santé primaires

  1. Éducation pour la santé
  2. Assainissement du milieu
  3. Pratique de la vaccination au niveau communautaire
  4. Promotion d’une nutrition équilibrée
  5. Reconnaissance et mise en œuvre de certains traitements appropriés
  6. Fourniture de médicaments essentiels (« pharmacie villageoise », distributions de masse)
  7. Prévention maternelle et infantile
  8. Participation communautaire à la lutte contre les maladies transmissibles et/ou endémiques.

Les SOP 30 ans plus tard : qu’avons-nous appris ?

Aujourd’hui, 30 ans plus tard, quelles sont les leçons apprises et que pouvons-nous faire mieux et différemment ? Nous suggérons ci-dessous les principaux points à prendre en compte dans l’examen des SOP.

Volonté politique

Dans beaucoup de pays, les SOP ont perdu leur visibilité et leur caractère prioritaire, en dépit de l’engagement initial considérable de nombreux gouvernements. Bien souvent, l’orientation de la politique de santé et le plan national de lutte contre la cécité n’ont pas vu le jour au-delà du document initial et sont restés de bonnes intentions sans application pratique, ne s’accompagnant pas d’un budget spécifique, et les priorités, axées sur les besoins des soins hospitaliers, n’ont pas vraiment changé. L’initiative VISION 2020 a certes eu un effet positif sur l’engagement politique des gouvernements et cette initiative demeure la perspective d’avenir la plus encourageante. Il reste cependant beaucoup de travail à accomplir …

Volonté professionnelle

Dans l’ensemble, les prestataires de soins oculaires, des infirmiers aux spécialistes, se sont bien impliqués ; toutefois, le rôle et l’engagement des personnels de santé primaire reste très variable. Très souvent, les agents de santé généraux sont très occupés et les notions essentielles en soins oculaires ne leur sont pas toujours enseignées de façon efficace. On néglige ainsi les aspects suivants de la formation : expérience pratique, suivi et évaluation, compterendu et stage de formation continue/recyclage. Ceci entraîne très facilement le désintérêt et la démotivation du personnel en question. Dans certains contextes, le personnel travaillant en périphérie reçoit très peu de feedback de la part du personnel spécialisé travaillant dans un niveau de soins supérieur, alors que ce feedback est absolument crucial.

Infrastructure et approvisionnement

Un système de santé primaire qui fonctionne bien n’est pas bon marché ; il requiert des investissements considérables pour assurer le fonctionnement de dispensaires ou centres de santé locaux ainsi que la liaison avec les niveaux secondaire et tertiaire du système de soins et le transport des patients. L’entretien d’installations locales a souvent été problématique, tout comme l’approvisionnement régulier en consommables allant des pansements aux médicaments.

Couverture

Le taux de couverture de la population-cible par un système de SOP est extrêmement important ; malheureusement, dans la plupart des pays, cette couverture est encore beaucoup trop réduite (voir le commentaire de Daniel Etya’ale en page 4). C’est là une insuffisance évidente de la mise en œuvre des SOP aujourd’hui : elle ne s’est faite que localement à échelle réduite et pas à l’échelle d’un pays. Bien entendu, l’expérience acquise lors de la mise en œuvre de projets-pilotes est très utile, mais une mise en œuvre des SOP à grande échelle est absolument indispensable. C’est à cette échelle que se mesureront les résultats à long terme, une fois que l’enthousiasme pour le projet-pilote aura diminué.

Qualité des soins

Les services de SOP doivent être considérés comme satisfaisants et adéquats par la population locale. Si ce n’est pas le cas (que ce soit en raison d’un personnel local trop peu nombreux ou peu motivé, ou encore en raison d’un manque de communication, de files d’attente trop longues, du manque de médicaments ou de frais non prévus), la crédibilité des services de SOP sera rapidement remise en question. Si le centre de santé local et son personnel ne sont pas en mesure de fournir les premiers soins et de proposer une orientation-recours vers des services spécialisés, alors d’une part les patient ne reviendront pas et, d’autre part, ils tenteront d’obtenir des soins oculaires ailleurs, souvent à leur détriment.

Besoin et demande

Il est très important que les SOP répondent aux besoins réels en soins oculaires dans le contexte local, même si la demande initiale ne porte que sur des affections aiguës. En effet, les croyances et traditions locales jouent un rôle important et il se peut que la population ne sache pas que certaines affections peuvent être traitées et les considère comme inévitables.

L’avenir des soins oculaires primaires

Il serait opportun aujourd’hui d’étudier de manière détaillée la mise en œuvre des SOP dans le monde et d’envisager comment les SOP pourraient servir de base à de nouvelles initiatives et être mis en œuvre à plus grande échelle. Voici donc en guise de conclusion quelques suggestions pour réactualiser les SOP et leur donner un nouvel élan :

  • Utiliser le thème de VISION 2020 pour relancer l’engagement politique envers les SOP et les initiatives de SOP dans tous les programmes nationaux.
  • Renforcer l’implication des différents groupes de personnels de santé oculaire dans les initiatives de SOP en leur offrant l’opportunité de travailler au sein de la communauté. On pourrait intégrer ce type d’expérience professionnelle au programme de formation de ces groupes de personnels ; cela pourrait même engendrer des vocations.
  • Créer des groupes de ressources par le biais de comités constitués de membres du ministère de la santé, d’organisations non gouvernementales, d’universitaires et de donateurs intéressés, afin de mettre en œuvre les SOP à une plus grande échelle dans le cadre du programme VISION 2020. Ceci pourrait donner un nouvel élan aux SOP et permettre d’atteindre le taux de couverture indispensable qui fait encore défaut dans beaucoup de pays.
  • Entreprendre les recherches opérationnelles nécessaires pour évaluer comment les SOP pourraient permettre, ou ont permis, de renforcer d’autres activités de santé oculaire (comme la chirurgie de la cataracte) et pour identifier les autres besoins de la communauté en soins oculaires.

Une telle évaluation détaillée des SOP à l’échelle mondiale serait très utile aujourd’hui, après plus de trente ans d’efforts pour surmonter les défis présentés par les soins de santé primaires.

En attendant, ce numéro spécial de la Revue de Santé Oculaire Communautaire présente un ensemble de réflexions sur les SOP et leur mise en œuvre, ainsi que des témoignages sur certaines initiatives mises en place, en insistant plus particulièrement sur les pays francophones d’Afrique.

Références

1. Les soins de santé primaires : rapport de la conférence internationale sur les soins de santé primaires, Alma-Ata, 6-12 septembre 1978. Rapport coparrainé par l’Organisation mondiale de la Santé et le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance. Série Santé pour tous, N° 1. Genève : OMS, 1978.