RSOC Vol. 12 No. 14 2015 pp 05 - 06. Publié en ligne 20 juillet 2015.

Traitement des MTN par la distribution de masse de médicaments

Adrian Hopkins

Directeur, Mectizan Donation Program, Georgia, États-Unis. www.mectizan.org


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Distribution de masse d’azithromycine. OUGANDA.  Elizabeth Kurylo / International Trachoma Initiative
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L’appellation « maladies tropicales négligées » (MTN) regroupe un ensemble de maladies qui peuvent entraîner des incapacités, une mort prématurée et un ralentissement du développement physique et mental. Deux d’entre elles, le trachome et l’onchocercose, peuvent entraîner une perte visuelle et une cécité. Les MTN, qui affectent les personnes démunies et ignorées par la société, ont été elles aussi ignorées au profit de la lutte contre le paludisme, la tuberculose et le SIDA et elles empêchent les populations affectées de sortir du cercle vicieux de la pauvreté et du retard de développement.

Les MTN peuvent être regroupées en deux catégories. La première catégorie, qui fait l’objet de cet article, regroupe les maladies contre lesquelles il existe des outils (diagnostic/cartographie facile au niveau de la communauté) et des médicaments qui peuvent être utilisés en toute sécurité pour traiter des populations entières par distribution de masse de médicaments (DMM). Ces maladies sont souvent désignées « MTN à chimiothérapie préventive ».

La deuxième catégorie (qui ne sera pas abordée ici) regroupe les MTN dont le diagnostic est plus difficile et coûteux et/ou qui nécessitent une prise en charge thérapeutique individualisée.

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a publié un guide très complet sur la DMM, Chimioprévention des helminthiases chez l’homme, qui peut être téléchargé gratuitement1. Le Tableau 1 est une version élargie du tableau inclus dans ce document. Il est important de consulter le guide avant de mettre en place une DMM. Toutefois, la situation évolue en permanence et de nouvelles recherches peuvent engendrer de nouvelles stratégies.

Tableau 1. Directives thérapeutiques actuelles pour les cinq MTN à chimiothérapie préventive*

Maladie Médicaments et posologie Seuil d’administration de la chimioprévention Fréquence des interventions
Trachome Azithromycine 20 mg/kg à l’aide d’une toise à comprimés. Dose max. de 1 g chez l’adulte

Pommade à la tétracycline chez l’enfant <6 mois

TF (trachome folliculaire) >30 % parmi les enfants de 1 à 9 ans : traiter toute la population du district pendant au moins 5 ans

30 %≥ TF ≥10 % parmi les enfants de 1 à 9 ans : traiter toute la population pendant au moins 3 ans

10 %> TF ≥5 % parmi les enfants de 1 à 9 ans : traitement ciblé basé sur les sous-districts

TF <5 % : ne mettre en oeuvre que les composantes CH, N et CE de la stratégie CHANCE

Une fois par an. Intégrer le traitement dans une stratégie CHANCE (Chirurgie, Antibiotiques, Nettoyage du visage, Changement de l’Environnement)
Onchocercose Ivermectine 150 μg/kg à l’aide d’une toise à comprimés, pour tous les membres de la communauté de plus de 5 ans (ou 90 cm), sauf les femmes enceintes, les femmes qui allaitent durant la 1ère semaine après l’accouchement et les personnes gravement malades Lutte contre la maladie : prévalence de nodules ≥20 % ou prévalence de microfilaires dans la peau ≥40 %

Élimination de la maladie : En cours de discussion. L’APOC utilise le seuil suivant : prévalence de nodules ≥5 %

Une ou deux fois par an (exceptionnellement quatre fois par an)
Filariose lymphatique Albendazole 400 mg pour les adultes et les enfants de plus de 2 ans plus diéthylcarbamazine 6 mg/kg dans les pays exempts de coendémie avec l’onchocercose ou ivermectine 150 μg/kg dans les pays de coendémie avec l’onchocercose Prévalence de l’infection ≥1% Une fois par an. Associer le traitement à une prise en charge de l’éléphantiasis et une chirurgie de l’hydrocèle
Géohelminthiases (ver rond, ankylostome, trichocéphale) Albendazole 400 mg pour les adultes et les enfants de plus de 2 ans ou mébendazole 500 mg

Prévalence ≥50 % : traiter les enfants d’âge scolaire deux fois par an et également les adultes fortement exposés

50 %> Prévalence ≥ 20 % : traiter les enfants d’âge scolaire une fois par an

Prévalence <20 % : traitement individuel Les enfants d’âge préscolaire et les femmes en âge de procréer doivent également être traités (dans le cadre de programmes de santé maternelle et infantile)

Une ou deux fois par an en fonction de la prévalence. Mettre également en oeuvre des stratégies d’approvisionnement en eau et d’assainissement
Schistosomiase Praziquantel 40 mg/kg à l’aide d’une toise à comprimés pour les adultes et les enfants de plus de 4 ans (ou 94 cm) Prévalence ≥50 % : traiter les enfants d’âge scolaire et les adultes fortement exposés

50 %> Prévalence ≥ 10 % : traiter les enfants une fois tous les deux ans

Prévalence <10 % : traitement individuel

Une fois par an. Des périodes d’interruptions du traitement peuvent être programmées si la prévalence diminue. Mettre également en oeuvre des stratégies d’approvisionnement en eau et d’assainissement

*Adapté à partir du guide : Chimioprévention des helminthiases chez l’homme1

Co-administration

Beaucoup de ces médicaments peuvent être administrés en même temps, en un seul paquet, ce qui rend la distribution beaucoup plus efficace. L’ivermectine doit être administrée en même temps que l’albendazole pour éliminer la filariose lymphatique (FL) ; ces deux médicaments sont également la meilleure option pour lutter contre les géohelminthiases. Par conséquent, lorsqu’une population reçoit un traitement combiné pour lutter contre la FL et l’onchocercose, les géohelminthiases seront traitées en même temps. Le praziquantel, utilisé pour traiter la schistosomiase, peut également être administré en même temps que l’ivermectine et l’albendazole. Dans les zones de prévalence très élevée, il est préférable de distribuer les médicaments séparément durant le premier ou les deux premiers cycles de DMM, afin de limiter les effets indésirables causés par la mort des vers en cas de charge parasitaire élevée (voir plus loin).

En cas de DMM combinant plusieurs médicaments, il faut aborder les questions suivantes durant la phase de planification :

Chaîne d’approvisionnement

Il y a deux problèmes-clés à résoudre. Premièrement, il faut planifier à l’avance de façon à ce que les différents médicaments soient acheminés dans le pays à temps pour la distribution. L’OMS simplifie ce processus en mettant à disposition des pays un formulaire de demande commune de médicaments pour la chimioprévention ; les bureaux nationaux de l’OMS facilitent également l’importation de la plupart des médicaments. L’approvisionnement en azithromycine et ivermectine est coordonné avec ces envois mais n’est pas encore complètement intégré au système de l’OMS. Deuxièmement, les différents médicaments doivent être acheminés en temps opportun des entrepôts du gouvernement aux régions où doit avoir lieu la DMM. Ceci nécessite une bonne planification logistique au niveau national.

Quels comprimés administrer ensemble ?

Les stratégies thérapeutiques varient en fonction de l’épidémiologie. Chaque district sanitaire doit avoir une idée précise des MTN à chimiothérapie préventive présentes dans le district et des médicaments nécessaires pour la DMM. Les directives de l’OMS en matière de chimiothérapie préventive indiquent précisément les médicaments nécessaires et quand il faut les administrer.

Stratégies thérapeutiques

Ce qui compte ici, c’est qu’il existe une politique claire de stratégie thérapeutique, que ce soit au niveau national ou au niveau du district, et que toutes les activités soient coordonnées entre elles.

Les pays où existent des programmes soutenus par l’APOC (Programme africain de lutte contre l’onchocercose) ont une grande habitude des DMM à l’échelle communautaire. Le traitement par ivermectine devra continuer pendant plusieurs années et il est donc important que les systèmes de distribution soient durables.

Le déparasitage des enfants d’âge scolaire est généralement organisé à l’école, les médicaments étant très souvent distribués par les instituteurs. Le déparasitage des enfants d’âge préscolaire est quant à lui associé aux interventions sanitaires ciblant les moins de cinq ans. Dans certains pays, certains jours ou semaines sont consacrés à la santé maternelle et infantile. Lorsque la population est infectée par le trachome, il faut observer un délai d’une à deux semaines entre l’administration d’azithromycine et celle d’autres médicaments.

À jeun ou pas ?

On recommande généralement de prendre l’ivermectine à jeun et le praziquantel au contraire après un repas. En fait, il est essentiel de nourrir les enfants avant de leur donner du praziquantel et ceci doit être une priorité afin de réduire les effets associés au traitement.

Suivi et évaluation

Les activités spécifiques liées à la lutte contre chaque maladie doivent faire l’objet d’un suivi attentif. Au début, il faut généralement calculer le taux de couverture, soit le nombre de personnes ayant besoin d’un traitement qui ont effectivement avalé les comprimés. Parfois, on demande uniquement le taux de couverture, mais même dans ce cas il faut le vérifier périodiquement par des enquêtes de couverture.

Toutefois, lorsque des objectifs d’élimination ont été fixés pour certaines maladies, il faut mesurer l’efficacité du traitement et cette évaluation varie suivant la MTN considérée. Les programmes luttant contre plusieurs MTN à la fois s’efforcent à l’heure actuelle d’utiliser des indicateurs communs ou faciles à mesurer pour évaluer et guider leurs interventions.

Lorsque les programmes de lutte évoluent vers des objectifs d’élimination de la maladie, il faut mettre en place un suivi spécifique qui permettra de décider quand on pourra arrêter le traitement. L’OMS a déjà publié des directives pour certaines maladies.

Spécificités de chaque maladie

Le Tableau 1 précise certains aspects spécifiques des interventions contre chaque maladie. La lutte contre le trachome, grâce à la stratégie CHANCE, est l’intervention la plus complète. L’accès à une eau salubre et à un bon assainissement sont également requis pour maintenir les acquis du traitement contre les géohelminthiases. Les patients présentant un lymphoedème secondaire à une FL doivent avoir accès aux soins de la peau nécessaires pour prévenir les accès de fièvre aigus et douloureux et pour augmenter leur mobilité. La FL peut également entraîner un hydrocèle qui devra faire l’objet d’une intervention chirurgicale. La prise en charge de la morbidité doit faire partie du traitement et elle est l’un des deux piliers du programme d’élimination de la FL.

Précautions et effets indésirables graves (EIG)

N’importe quel médicament peut entraîner des EIG. Fort heureusement, il s’agit d’événements extrêmement rares et les médicaments utilisés pour la DMM sont parmi les plus sûrs.

Lorsque la charge parasitaire est importante chez les patients atteints d’onchocercose, le traitement peut entraîner douleurs, fièvre et oedème, en fonction du nombre de vers présents. Ces effets ne durent qu’un ou deux jours et doivent faire l’objet d’un traitement symptomatique. Le traitement à l’ivermectine de patients présentant un taux élevé de co-infection par la loase peut entraîner un ensemble de symptômes, qui peuvent dans de rares cas entraîner des anomalies neurologiques et même un coma. En cas d’infection par Loa loa, il est important de solliciter l’avis d’experts avant de commencer un traitement, que celui-ci soit individuel ou à l’échelle de la communauté.

L’azithromycine peut entraîner de légers maux d’estomac. Dans de très rares cas, l’albendazole peut entraîner une réaction cutanée grave, un syndrome de Stevens-Johnson.

Avant le traitement, le personnel de santé impliqué dans la DMM doit se familiariser avec les effets indésirables éventuels et y sensibiliser la population sans exagérer. Il doit ensuite notifier rapidement tous les cas d’effets indésirables et traiter les patients concernés de manière appropriée.

La DMM ne suffit pas

Le traitement des MTN à chimiothérapie préventive par DMM est de première importance. La distribution répétée du médicament peut réduire la prévalence de la maladie. Toutefois, afin de maintenir les acquis de la DMM, nous devons fournir des efforts considérables pour améliorer l’apport en eau salubre, l’assainissement et l’hygiène. En outre, la prise en charge de la morbidité associée au trachome et à la filariose lymphatique requiert des interventions spécifiques. La distribution de masse de médicaments ne suffit pas et il ne faut pas négliger ces autres mesures.

Référence

1 Organisation mondiale de la Santé. Chimioprévention des helminthiases chez l’homme : Manuel à l’intention des professionnels de la santé et des administrateurs de programmes. Genève, Suisse : OMS, 2008.