RSOC Vol. 16 No. 21 2019 pp 10-11. Publié en ligne 01 août 2019.

Traitement d’urgence : kératite microbienne

Simon Arunga

Ophtalmologiste et chargé de cours en formation clinique, Mbarara University and Regional Referral Hospital Eye Centre, Mbarara, Ouganda


Matthew Burton

Professeur de santé oculaire internationale, International Centre for Eye Health ; chef de clinique, Moorfields Eye Hospital, Londres, Royaume-Uni.


Kératite microbienne avec injection ciliaire, infiltrat cornéen et hypopion. Noter également la présence de lésions satellites dans la partie supérieure. © Simon Arunga
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Une kératite microbienne doit être diagnostiquée rapidement et traitée immédiatement si l’on veut éviter une perte de vision importante.

La kératite microbienne est une infection de la cornée dont la cause peut être une bactérie, un champignon ou un protozoaire (par ex. du genre Acanthamoeba). Dans les pays à faible ou moyen revenu, la prise en charge de cette affection peut s’avérer plus difficile en raison de la consultation plus tardive des npatients, de l’utilisation de remèdes oculaires traditionnels et du manque de services diagnostiques (Figure 1), de médicaments efficaces et de services pouvant réaliser des kératoplasties.

Figure 1 Frottis de cornée. La kératite microbienne doit être prise en charge dans un centre ayant les installations et le personnel nécessaires pour réaliser des analyses de microbiologie © John Dart

Notre expérience en Afrique de l’Est suggère que la plupart des patients se rendent dans un centre de santé primaire dans les 24 à 48 heures suivant l’apparition des symptômes, mais qu’il faut attendre encore deux semaines avant qu’ils ne se rendent dans un service de soins oculaires ; il peut alors être trop tard pour sauver l’oeil. Il est donc capital que tous les personnels de santé, y compris les agents de santé primaire qui interviennent en première ligne, sachent identifier la kératite microbienne à un stade précoce, administrer un traitement immédiat, orienter les patients vers un service spécialisé et s’assurer qu’ils s’y rendent rapidement.

Détection de la kératite microbienne

Nous avons abordé en détail le tableau clinique de la kératite microbienne dans un numéro récent de la Revue1,2.

Les patients présentent généralement une diminution de l’acuité visuelle, une douleur oculaire, un écoulement et une rougeur oculaire. Le recueil des antécédents peut parfois révéler un traumatisme ou l’utilisation de médicaments oculaires traditionnels.

Commencez d’abord par mesurer et noter l’acuité visuelle, puis examinez l’oeil et recherchez des signes éventuels de kératite microbienne.

Matériel nécessaire

  • Lampe torche émettant une lumière vive, ophtalmoscope direct ou ophtalmoscope de poche Arclight3.
  • Bandelettes de fluorescéine.
  • Source de lumière bleue. Vous pouvez utiliser un simple filtre (fine feuille de plastique) de couleur bleue ou votre lampe torche si elle émet une lumière bleue.
  • Loupes binoculaires ou simple paire de lunettes de lecture ; celles-ci vous aideront à visualiser les plus petits détails, comme par exemple un corps étranger dans la cornée.

Signes

Recherchez la présence éventuelle des signes suivants :

  • Injection ciliaire : rougeur oculaire qui s’étend jusqu’aux branches des artères ciliaires antérieures.
  • Infiltrat(s) cornéen(s) : dépôts blancs dans la cornée.
  • Hypopion : dépôt blanc visible dans la partie inférieure de l’iris (voir photographie ci-dessus).
  • Érosion de l’épithélium cornéen, colorée en vert par la fluorescéine (Figure 2).

Notez (et schématisez si nécessaire) toutes vos observations, y compris la taille, forme et localisation des lésions éventuelles.

Prise en charge initiale

Figure 2 Une coloration à la fluorescéine permet de confirmer la présence d’une érosion de cornée © Simon Arunga
Figure 3 Kératite microbienne. L’atteinte de l’épithélium cornéen est colorée en vert par la fluorescéine © Simon Arunga

Une érosion de cornée (Figure 2) peut évoluer vers la kératite microbienne (Figure 3). Au niveau primaire, administrez une pommade oculaire au chloramphénicol trois fois par jour pendant trois jours. Recherchez la présence éventuelle d’un corps étranger dans la cornée et envoyez le patient dans un service spécialisé le cas échéant. En l’absence de guérison dans un délai de 72 heures, traitez comme une kératite microbienne.

Si vous suspectez qu’il s’agit d’une kératite microbienne, envoyez d’urgence le patient dans un service spécialisé. Prescrivez un collyre antibiotique à large spectre et recommandez au patient de l’instiller toutes les heures, jour et nuit (tant que le patient est réveillé), jusqu’à sa consultation dans le service spécialisé où vous l’envoyez. La kératite microbienne doit être prise en charge dans un centre ayant les installations et le personnel nécessaires pour réaliser des analyses de microbiologie (Figure 1) et un examen clinique complet. La prise en charge de la kératite microbienne, ainsi que la préparation de collyres antibiotiques fortifiés, ont été abordés en détail dans le numéro 16 de la Revue,1,2.

Orientation vers un service spécialisé

L’orientation vers un service spécialisé n’est pas simple pour le patient. Beaucoup de patients vivent en zone rurale et une orientation vers un service spécialisé les obligera à effectuer un long trajet pour se rendre en milieu urbain dans un grand centre de soins qu’ils n’ont jamais fréquenté, ce qui engagera également des dépenses considérables. Ce sont là des obstacles à surmonter, qui doivent être pris en compte lors du processus d’orientation des patients.

Dans votre lettre de recommandation, détaillez vos observations, y compris les résultats de votre examen de base, le traitement de première intention que vous avez administré et la raison pour laquelle vous envoyez le patient dans un service spécialisé. Contactez ensuite l’établissement de soins en question pour discuter de votre patient. Ce contact préalable permet également au service spécialisé d’effectuer les préparatifs nécessaires (par ex. préparation de géloses pour la mise en culture).

Il faut que le patient se sente soutenu et sache que quelqu’un l’attend dans le service où vous l’envoyez. À cette fin, il faudra peut-être lui donner un numéro de téléphone à appeler une fois arrivé dans le service.

Expliquez au patient pourquoi vous l’envoyez dans un service spécialisé et pourquoi cette consultation est urgente, sans quoi il risque de ne pas suivre vos conseils. Une kératite microbienne, particulièrement une infection fongique, tend à guérir lentement et une séance de soutien psychologique permettra de gérer les attentes du patient et empêchera le découragement de s’installer.

Préparatifs pour faire face à cette urgence

  • Équipez votre centre de soins avec le matériel nécessaire : lampe torche, bandelettes de fluorescéine et antibiotiques à large spectre.
  • Notez clairement les coordonnées du service spécialisé le plus proche et affichez-les à un endroit où tout le monde pourra les voir.
  • Faites en sorte que tous les membres de l’équipe de soins oculaires sachent comment préparer les antibiotiques à large spectre et aient accès à un document imprimé détaillant les consignes de préparation.
  • Imprimez un guide d’aide à la prise de décision thérapeutique et une liste de contrôle permettant d’assurer le bon déroulement de l’orientation. Affichez ces documents dans votre centre de soins.

Liste de contrôle pour une orientation réussie

  • Effectuer un examen de base (y compris mesure de l’acuité visuelle) et noter les résultats.
  • Commencer le traitement de première intention et prendre des notes détaillées.
  • Consigner clairement les raisons de l’orientation vers un spécialiste et en informer le patient.
  • S’assurer que le patient comprend le pronostic de guérison et le temps que cela prendra.
  • Prendre contact avec le service spécialisé où doit se rendre le patient.
  • S’assurer que le patient connaît les horaires d’ouverture du service spécialisé où vous l’envoyez et lui expliquer clairement comment s’y rendre.
  • Donner au patient le numéro de téléphone du personnel administratif à contacter une fois arrivé dans le service spécialisé, afin que la consultation ait lieu dans les plus brefs délais.

Références

1 MP Upadhyay et al. Diagnostic et prise en charge de la kératite microbienne. Revue de Santé Oculaire Communautaire volume 13 nº16 (2016) : 4–7.

2 A Leck et M Burton. Différenciation des kératites fongiques et bactériennes sur la base du tableau clinique. Revue de Santé Oculaire Communautaire volume 13 nº16 (2016) : 8–9.

3 http://arclightscope.com/

4 MP Upadhyay et al. Prise en charge de la kératite suppurative. Revue de Santé Oculaire Communautaire volume 8 nº9 (2011) : 6–8.