RSOC Vol. 04 No. 03 2007 pp 20 - 21. Publié en ligne 01 janvier 2007.

VISION 2020 au Ghana : l’exemple du programme de soins oculaires de Bawku

Michael Ekuoba Gyasi

Ophtalmologiste, Bawku Presbyterian Hospital, Bawku, Upper East Region, Ghana.

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Une équipe motivée et soudée contribue à la réussite du programme. GHANA. Bawku Hospital Eye Unit
Une équipe motivée et soudée contribue à la réussite du programme. GHANA. Bawku Hospital Eye Unit

Introduction

Le Ghana est un pays d’Afrique de l’Ouest délimité, au sud, par l’Océan Atlantique et au nord, à l’est et à l’ouest par les républiques du Burkina Faso, du Togo et de Côte d’Ivoire, respectivement. Sa population s’élève à 20 771 382 habitants. La prévalence de la cécité est de 1 %. Il y a actuellement 52 ophtalmologistes au Ghana (19 travaillent dans la capitale et ses environs) et 216 infi rmiers spécialisés en ophtalmologie (National Eye Care Secretariat). Le secteur de la santé représentait 7,9 % du budget du gouvernement en 2002. Il représente 12,3 % de celuici en 2006. La politique de sécurité sociale actuellement mise en œuvre couvre les frais de la plupart des interventions de chirurgie oculaire pratiquées couramment dans le pays.

Figure 1. Carte administrative du Ghana
Figure 1. Carte administrative du Ghana

Généralités

La ville de Bawku est située dans la région appelée Upper East Region. Sa population s’élève à 961 000 habitants. C’est la région la plus pauvre du Ghana, mais ses services de soins oculaires sont parmi les meilleurs du pays. Le programme régional de soins oculaires, essentiellement basé à l’hôpital, a débuté il y a environ trente ans, avec l’aide de l’association caritative Christoffel Blindenmission. Ce programme, basé à l’hôpital presbytérien de Bawku (Bawku Presbyterian Hospital), s’est développé jusqu’à devenir de facto un programme régional avec beaucoup de stratégies avancées, allant même au-delà de la région jusque dans la Northern Region et même au Togo et au Burkina Faso.

Les objectifs de ce programme sont :

  • fournir des services de soins oculaires de qualité, abordables pour tous les patients de la région et faciles d’accès
  • collaborer avec les parties prenantes pour développer un programme régional complet de santé oculaire, intégrant les services primaires de santé oculaire au système de santé primaire existant
  • collaborer à la formation des ophtalmologistes, des infi rmiers spécialisés en ophtalmologie et des agents de santé primaire, au Ghana et dans la sous-région d’Afrique de l’Ouest
  • développer un programme durable et devenir de moins en moins dépendants du soutien des donateurs.

Causes de cécité et de handicap visuel

Dans la région, les causes les plus fréquentes de cécité et de handicap visuel sont la cataracte, le glaucome et les défauts de réfraction non corrigés. Le trachome et l’onchocercose sont presque absents. Notre intervention a donc pour objectif d’éliminer la cécité et le handicap visuel dus à la cataracte et aux défauts de réfraction, de réduire la perte visuelle due au glaucome et de fournir des services de basse vision.

Résultats des services de soins oculaires

Cataracte

Entre 2000 et 2004, 9 933 opérations de la cataracte ont été réalisées dans le cadre du programme et plus de 97 % des patients opérés ont été implantés. La méthode utilisée est l’extraction extracapsulaire de la cataracte (EEC). Nous avons deux ophtalmologistes et un chirurgien de la cataracte et le nombre d’opérations de la cataracte augmente régulièrement depuis l’année 2000. Le Tableau 1 (ci-dessous) illustre le nombre d’opérations de la cataracte réalisées au cours des cinq dernières années.

Tableau 1. Nombre de cataractes opérées entre 2000 et 2004 par le programme de l’hôpital presbytérien de Bawku

Année Ghana Burkina Faso Total
2000 989 958 1 947
2001 866 728 1 594
2002 1 105 797 1 902
2003 1 294 632 1 926
2004 1 773 791 2 564

C’est grâce à notre réseau étendu de stratégies avancées que nous avons pu obtenir de tels résultats. Les services de stratégies avancées comprennent :

  • la mise en place de centres de chirurgie de la cataracte dans tous les hôpitaux de district dans le cadre de ces stratégies avancées
  • dans les hôpitaux de district, une plus grande participation des infi rmiers spécialisés en ophtalmologie dans la préparation du patient, la prise en charge postopératoire et l’aiguillage du patient vers le bon service en cas de complication
  • l’utilisation des agents de réhabilitation à base communautaire dans la recherche de cas et l’envoi des patients à l’hôpital
  • une assurance de qualité des soins chirurgicaux, par le biais d’un suivi continu et informatisé des résultats
  • une évaluation de la satisfaction des patients par une étude qualitative annuelle
  • un chirurgien de la cataracte pour aider les ophtalmologistes et les infi rmiers spécialisés en ophtalmologie à réaliser une anesthésie oculaire.
Figure 2. Taux de chirurgie de la cataracte en 2004 dans chaque région du Ghana
Figure 2. Taux de chirurgie de la cataracte en 2004 dans chaque région du Ghana

Le but de nos services de cataracte est de réaliser un nombre d’opérations supérieur à l’objectif fixé par l’atelier national VISION 2020, soit un taux de chirurgie de la cataracte (TCC) supérieur à 2 500 (par million d’habitants et par an). La Figure 2 illustre le TCC des différentes régions du Ghana.

Glaucome

Le glaucome est la deuxième cause de cécité et de handicap visuel dans la région. Au Ghana, le glaucome primaire à angle ouvert affecte 8,5 % des personnes âgées de 40 ans ou plus1 . Des études réalisées il y a déjà quelques années en milieu hospitalier dans la Upper East Region ont montré qu’environ 26 % des patients opérés d’un glaucome étaient âgés de moins de 40 ans.

Ces résultats concordent avec les données actuelles de nos registres hospitaliers2. En ce qui concerne le glaucome, notre stratégie d’intervention comporte les aspects suivants :

  • trabéculectomie en première intention pour les cas opérables, en utilisant ou non des anti-métabolites (beaucoup de chirurgiens dans le pays ne réalisent pas fréquemment cette opération)
  • traitement médical pour les cas inopérables et pour les patients dont l’opération n’a que partiellement réussi
  • dépistage continu « opportuniste » de tous les patients âgés de plus de 16 ans
  • conseil génétique pour les patients concernés
  • plaidoyer en faveur de l’inclusion des interventions fistulisantes dans la « couverture minimale » de la sécurité sociale de la région.

Cécité infantile

La plupart des causes de cécité infantile dans la région sont évitables. Le Programme élargi de vaccination (PEV), par le biais d’une collaboration intersectorielle avec les services de santé du Ghana, organise l’éducation en santé oculaire et la distribution de vitamine A. Des programmes de santé oculaire en milieu scolaire sont organisés en collaboration avec le ministère de l’éducation du Ghana (Ghana Education Service). Notre hôpital prend en charge les cas opérables de cécité infantile ; si nécessaire, nous envoyons les enfants dans le service d’ophtalmologie pédiatrique du centre hospitalier universitaire de Korle-Bu, à Accra.

Services de réfraction et de basse vision

Dans la mesure où il n’y a qu’un opticien dans la région (qui pratique dans le privé), c’est un infirmier spécialisé en ophtalmologie/ réfractionniste qui fournit la grande majorité des services de réfraction et de basse vision. À l’heure actuelle, tous les étudiants de la filière d’infirmiers spécialisés en ophtalmologie reçoivent une formation de base en matière de réfraction. De cette façon, des services de base en réfraction deviendront progressivement disponibles aux niveaux du district et de la communauté.

Gestion des ressources humaines

Nous disposons actuellement de 20 infirmiers spécialisés en ophtalmologie (soit un pour 45 000 habitants), de deux ophtalmologistes, d’un chirurgien de la cataracte, de deux réfractionnistes et d’un ensemble d’agents de santé primaire qui ont été formés dans le cadre de projets de réhabilitation à base communautaire. Les infirmiers utilisent parfaitement une lampe à fente et ses accessoires, un ophtalmoscope indirect, un skiascope et des outils de base dont l’usage est considéré comme le privilège de l’ophtalmologiste dans beaucoup d’hôpitaux du pays. De cette façon, les infirmiers possèdent les compétences nécessaires pour la prise en charge (pré et post-opératoire) des cas simples de cataracte. Ils sont également formés pour administrer une anesthésie oculaire et réaliser des opérations courantes comme la cure chirurgicale de l’entropion cicatriciel, l’excision du ptérygion, l’éviscération, etc. Ces responsabilités accrues sont source de fierté et de motivation. Elles permettent également aux docteurs de se consacrer aux interventions chirurgicales plus complexes et aux traitements par laser.

Recommandations et projets d’avenir

Actuellement, le TCC au Ghana (519) et dans la plupart des pays africains n’est pas suffisant pour atteindre les objectifs fixés par VISION 2020. Il faudrait pour cela revoir complètement la façon dont nous envisageons la pratique de l’ophtalmologie. Je me permets de proposer les suggestions suivantes :

Durée de la formation

La formation d’un ophtalmologiste généraliste dans le programme du Collège de Chirurgie d’Afrique de l’Ouest (West African College of Surgeons ou WACS) dure environ six ans. Au Ghana, seuls cinq ophtalmologistes ont été formés dans ce cursus au cours des vingt dernières années environ et la plupart d’entre eux ont passé presque dix ans en internat. Le cursus de deux ans semble trop court, mais la formation actuelle proposée par le WACS semble beaucoup trop longue si l’on considère les ressources technologiques disponibles actuellement dans la sous-région de l’Afrique de l’Ouest. Le cursus de trois ans qui existe en Afrique de l’Est semble être un bon compromis et nous devrions encourager les étudiants à le suivre.

Stratégies avancées en chirurgie de la cataracte

Ces services doivent être partie intégrante de tous les programmes de région. Il faut fournir aux programmes les ressources nécessaires pour les mettre en œuvre et pour surmonter les obstacles géographiques (et autres) à l’utilisation de ces services. D’après mon expérience, ceci représente une étape majeure pour augmenter le TCC.

Utilisation des ressources disponibles

Dans de nombreux hôpitaux, l’infirmier spécialisé en ophtalmologie a uniquement pour rôle de mesurer l’acuité visuelle et d’aider l’ophtalmologiste. La plupart de ces infirmiers peuvent être formés à la prise en charge post-opératoire des cas simples de cataracte et peuvent apprendre à réaliser une anesthésie oculaire et des interventions chirurgicales mineures. En hôpital de jour, ces infirmiers sont capables de prendre en charge beaucoup plus de patients que nous ne le pensons actuellement. Ceci libérerait l’ophtalmologiste et lui donnerait plus de temps pour réaliser des interventions chirurgicales. Ces suggestions peuvent sembler prêter à controverse, mais en réalité elles sont parfaitement applicables et ont été mises en œuvre avec succès dans d’autres endroits. Nous avons besoin d’une formation spécialisée, d’un système de supervision et de contrôle de la qualité des soins

Agents de réhabilitation à base communautaire (RBC) et infirmiers communautaires

Les agents des programmes de RBC et les bénévoles de la communauté peuvent être formés à diagnostiquer les patients présentant une cataracte et à les envoyer à l’hôpital de district. En outre, les soins de santé oculaires primaires devraient devenir partie intégrante de la formation des infirmiers communautaires qui existent dans tous les districts du Ghana, afin que ces infirmiers puissent jouer un rôle important en santé oculaire.

Chirurgiens de la cataracte

Les chirurgiens de la cataracte ne sont ni reconnus ni acceptés au Ghana, bien que leur importance ait été amplement démontrée dans d’autres pays d’Afrique3 . Au Ghana, au contraire, des assistants en médecine générale sont formés par un cursus d’un an après la formation d’infirmiers, puis envoyés dans les hôpitaux de district pour prendre en charge un grand nombre d’affections. D’après mon expérience en Gambie et ailleurs, les chirurgiens de la cataracte sont parfaitement à la hauteur de la tâche. Il est urgent de repenser notre position en ce qui concerne les chirurgiens de la cataracte si nous voulons atteindre le but que nous nous sommes fixé : l’élimination de toutes les causes de cécité évitable d’ici l’année 2020.

Références

1 Ntim Amponsah CT, Amoaku WM, Ofosu-Amaah S, et. al. Prevalence of glaucoma in an African population. Eye 2004;18: 491-497.

2 Verrey JD, Foster A, Wormald R, Akuamoah C. Chronic glaucoma in northern Ghana – a retrospective study of 397 patients. Eye 1990;4: 115-120.

3 Karimurio J. African Programme: Kenya. Comm Eye Health J 2000;13: 49-64.