RSOC Vol. 19 No. 27 2022 pp 2-5. Publié en ligne 21 septembre 2022.

Définition et diagnostic du glaucome : mettre l’accent sur la prévention de la cécité

Jibran Mohamed- Noriega

Maître de conférences, Département d’ophtalmologie, Centre Hospitalier Universitaire et Faculté de médecine, Autonomous University of Nuevo Leon, Mexique.


G Chandra Sekhar

Vice-président, VST Center for Glaucoma, LV Prasad Eye Institute, Hyderabad, Inde.


© Yaacov Pena CC BY-NC 4.0
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Une approche diagnostique axée sur les patients présentant un glaucome certain (ou clinique) optimise les chances de prévenir la déficience visuelle causée par cette maladie potentiellement cécitante.

Le terme « glaucome » fait référence à un groupe de maladies affectant le nerf optique et pouvant potentiellement entraîner la cécité. Le trait distinctif de tous les types de glaucome est la neuropathie optique glaucomateuse. Cette dernière se caractérise par une déformation du nerf optique (voir Figure 1), qui se manifeste par un amincissement diffus ou localisé de l’anneau neurorétinien et une perte péripapillaire de la couche des fibres nerveuses rétiniennes. Le type de glaucome, la gravité de la maladie, tout comme le risque de cécité, pourront être évalués en réalisant des examens gonioscopique et biomicroscopique, en explorant le champ visuel et en mesurant la pression intraoculaire (PIO).

Figure 1 Différentes formes de neuropathie optique glaucomateuse. A. Ratio cup/disc élevé. B. Amincissement localisé de l’anneau neurorétinien dans le quadrant supérieur. C. Amincissement diffus de l’anneau neurorétinien dans le quadrant inférieur. D. Amincissement de l’anneau neurorétinien et de la couche des fibres nerveuses rétiniennes dans le quadrant temporal inférieur. © Autonomous University of Nuevo Leon (UANL), Mexico CC BY-NC 4.0

Définitions du glaucome

La définition du glaucome chez l’adulte a évolué au fil des ans, en raison de l’évolution de nos connaissances sur la façon dont le glaucome affecte l’oeil, des techniques disponibles et des raisons sous-tendant certaines définitions. Nous pouvons à l’heure actuelle utiliser cette définition clinique du glaucome : « un schéma caractéristique de neuropathie optique glaucomateuse (par exemple, amincissement de l’anneau neurorétinien) accompagnée d’une perte de champ visuel correspondante ».

Certains patients peuvent présenter d’autres changements liés au glaucome avant de faire l’objet d’un diagnostic clinique. Ces changements peuvent inclure :

  • Un amincissement de la couche des fibres nerveuses rétiniennes ou de la couche des cellules ganglionnaires, qui peut être mis en évidence par tomographie à cohérence optique (TCO).
  • Autres changements fonctionnels, tels qu’une diminution de la sensibilité au contraste et des anomalies électrophysiologiques.

Toutefois, s’il s’est déjà produit des lésions glaucomateuses significatives sur le plan clinique, alors on peut généralement observer des changements papillaires ; il est très rare de diagnostiquer un glaucome par exploration du champ visuel ou par TCO en l’absence de changements papillaires.

Le présent article présente une façon d’aborder le diagnostic du glaucome chez l’adulte en mettant l’accent sur la prévention de la déficience visuelle. Cette approche distingue deux groupes de patients :

  • Patients présentant un glaucome certain, c’est-à-dire ceux qui ont des signes indéniables de neuropathie optique glaucomateuse. Ces patients doivent faire l’objet d’un suivi ; le risque de perte visuelle est imminent et il faut généralement envisager un traitement.
  • Patients présentant une suspicion de glaucome, c’està- dire ceux qui ont des signes potentiels de neuropathie optique glaucomateuse. Ces patients ne sont pas exposés à un risque immédiat de perte visuelle, en tout cas pas à court terme, et ils ne doivent généralement pas faire l’objet d’un traitement ; toutefois, ils peuvent ou doivent être suivis (ceci dépend du patient).

Nous allons nous concentrer ici sur la première catégorie de patients, ceux qui présentent un glaucome certain, car ils sont exposés à un risque de cécité plus élevé et devront vraisemblablement être suivis et traités par du personnel de santé oculaire plus expérimenté.

Examens essentiels

Les examens qui suivent sont nécessaires pour déterminer si un patient présente un glaucome certain devant être traité ou une suspicion de glaucome ; ils sont également essentiels au suivi de la maladie.

Meilleure acuité visuelle corrigée (MAVC). Bien que l’acuité visuelle ne se détériore que dans les stades avancés du glaucome, il est important de la mesurer à chaque consultation afin d’évaluer la fonction visuelle globale et d’écarter la possibilité d’autres affections.

Examen du segment antérieur à la lampe à fente. Ceci facilitera la détection de glaucomes secondaires (glaucome pseudoexfoliatif, glaucome pigmentaire ou glaucome uvéitique).

Évaluation de l’angle irido-cornéen (y compris examen gonioscopique). Ceci déterminera si le patient présente un glaucome à angle ouvert (GAO) ou un glaucome par fermeture de l’angle (GFA).

Observation de la papille optique. Ceci se fait à la lampe à fente avec un verre de contact de 90 dioptries ou similaire. La dilatation préalable de la pupille facilitera l’examen du nerf optique et permettra d’éliminer d’autres affections rétiniennes. Effectuez cet examen lors de la consultation initiale, puis une fois par an ou dès qu’un paramètre clinique change de manière significative (par exemple baisse de l’acuité visuelle, apparition d’une nouvelle métamorphopsie, etc.).

Examen du champ visuel. Réalisez une évaluation par périmétrie statique automatisée (on utilise couramment un périmètre Humphrey).

Tonométrie. Utilisez un tonomètre à aplanation de Goldmann.

Examens facultatifs

Si nécessaire, et si vous disposez de l’équipement qu’il faut, vous pouvez envisager les examens supplémentaires ci-dessous :

Mesure de l’épaisseur centrale de la cornée. Ceci peut permettre d’améliorer la précision des mesures réalisées avec un tonomètre de Goldmann, car cette méthode surestime la pression intraoculaire (PIO) chez les patients ayant une cornée épaisse et sous-estime la PIO chez les patients à cornée fine. Toutefois, les nomogrammes visant à « corriger » la PIO sont souvent inexacts à l’échelle de l’individu et ne sont donc pas recommandés. L’existence d’une cornée centrale de faible épaisseur pourra influencer la prise de décision, par exemple si la PIO-cible est atteinte chez un patient présentant une maladie évolutive : si l’épaisseur cornéenne centrale est faible, la vraie PIO sera vraisemblablement plus élevée que la mesure réalisée.

Tomographie à cohérence optique (TCO). Celle-ci peut faciliter l’examen du nerf optique et de la rétine. Les mesures les plus fréquemment utilisées sont l’épaisseur moyenne de la couche de fibres nerveuses rétiniennes circumpapillaires et celle de la couche des cellules ganglionnaires. Il faut cependant noter que chaque cycle d’innovation produit une nouvelle génération d’appareils dont les mesures sont incompatibles avec celles des appareils précédents ; par conséquent, les résultats ne peuvent pas être comparés dans un suivi à long terme.

Mesure de l’hystérèse cornéenne. Cette technique de tonométrie sans contact évalue également la réponse biomécanique de la cornée et peut s’avérer utile dans une évaluation du glaucome.

Caractéristiques d’un glaucome certain

Après examen initial ou unique

Lors d’un examen, qu’il s’agisse d’une consultation initiale ou d’une consultation isolée, les caractéristiques à rechercher pour diagnostiquer un glaucome certain et/ou la nécessité d’une intervention thérapeutique sont notamment :

  1. Perte localisée de l’anneau neurorétinien. L’utilisation de l’échelle de probabilité d’atteinte de la papille optique, dite DDLS (de l’anglais « Disc Damage Likelihood Scale ») est une bonne méthode pour évaluer la papille optique1.
  2. Stade de l’échelle DDLS ≥ 6.
  3. Ratio cup/disc > 0,8.
  4. Amincissement localisé de l’anneau neurorétinien, avec anomalie de champ visuel correspondante. Il est important d’identifier si la zone du nerf optique affectée correspond à la localisation de l’anomalie de champ visuel observée. Les représentations de la relation entre structure et fonction, comme par exemple la carte Garway-Heath, permettent au praticien d’identifier si les lésions observées sur l’anneau neurorétinien affectent le secteur correspondant du champ visuel (voir Figure 2).
  5. Figure 2 Schéma représentant le lien entre les quadrants du champ visuel en périmétrie standard automatisée et les zones péripapillaires de balayage en TCO. Ce schéma, basé sur le travail de Garway-Heath et al., montre la correspondance entre les zones du champ visuel et de la couche des fibres nerveuses rétiniennes péripapillaires, qui découle de la structure anatomique des faisceaux de fibres nerveuses (2). © Bizios, Heijl, Bengtsson, 2011 CC BY 2.0
  6. Une PIO > 35 mm Hg n’est pas suffisante pour diagnostiquer un glaucome, mais presque tous les patients ayant une PIO aussi élevée ont besoin d’une intervention hypotonisante. Les patients présentant un glaucome secondaire ou un glaucome primaire par fermeture de l’angle peuvent présenter une PIO élevée sans lésion papillaire. Il faut aussi envisager la possibilité d’une surestimation de la PIO, par exemple en cas de tonométrie sans contact ou de cornée très épaisse. Il est recommandé de mesurer à nouveau la PIO avant de commencer le traitement.

Après plusieurs examens consécutifs

Lors de la consultation de suivi, les signes évolutifs suivants permettront de confirmer définitivement un diagnostic de glaucome :

  1. Évolution d’une anomalie de champ visuel correspondant à la localisation d’un amincissement de l’anneau neurorétinien ou à une perte de la couche des fibres nerveuses rétiniennes.
  2. Évolution de la neuropathie optique glaucomateuse :

    − Augmentation du ratio cup/disc vertical > 0,2.

    − Aggravation de l’atteinte de la papille optique > 2 stades dans l’échelle DDLS.

    − Aggravation de l’amincissement de l’anneau neurorétinien (par ex. quadrant de l’anneau neurorétinien passant d’un amincissement à une perte totale ; ou encore, anneau neurorétinien préalablement homogène présentant à présent un quadrant aminci).

    − Augmentation significative de l’amincissement de la couche des fibres nerveuses rétiniennes mise en évidence par TCO.

    − Changement dans la direction des vaisseaux dû à des changements papillaires.

    − La détection d’une seule nouvelle hémorragie papillaire ne doit pas être considérée comme suffisante pour diagnostiquer un glaucome ou son évolution ; toutefois, les hémorragies papillaires augmentent le risque de développer un glaucome et de détérioration du champ visuel, particulièrement si elles se produisent à plusieurs reprises.

D’autres facteurs doivent également être pris en compte pour prendre la décision de traiter une personne présentant un glaucome et pour planifier ce traitement.

Les patients ayant un glaucome confirmé, soit les patients ayant le plus besoin d’être traités, peuvent être diagnostiqués à l’aide d’une lampe à fente, d’un tonomètre et de l’examen du champ visuel. Ceci devrait rassurer les praticiens n’ayant pas accès à d’autres outils, notamment à la TCO : leurs patients sont entre de bonnes mains, du moment qu’ils ont bénéficié d’un bon examen clinique et d’une analyse de leur champ visuel.

Quand suspecter un glaucome

L’identification d’une seule des caractéristiques ci-dessous ne suffit pas pour diagnostiquer un glaucome, mais elle doit éveiller les soupçons (se rapporter à la Figure 1 pour des exemples) :

  • Ratio cup/disc > 0,7 (cette valeur est valable pour les papilles de toute taille, mais lorsque la papille est de petite taille, un ratio cup/disc inférieur correspond à une lésion papillaire plus importante que dans le cas d’une papille de plus grande taille).
  • Amincissement diffus de l’anneau neurorétinien.
  • Atteinte de la papille optique ≥ stade 4 de l’échelle DDLS.
  • Hémorragies papillaires.
  • Aggravation significative de l’amincissement de la couche des fibres nerveuses rétiniennes mis en évidence par TCO.
  • Une PIO > 24 mm Hg augmente le risque de glaucome, particulièrement lorsque la cornée est mince.
  • Déficits de champ visuel anormaux (n’oubliez pas que toutes les maladies qui affectent les voies visuelles peuvent influencer les résultats de l’examen du champ visuel, par exemple la sécheresse oculaire qui affecte la cornée, la cataracte qui affecte le cristallin, les modifications au niveau de la rétine, y compris les AVC qui affectent les voies visuelles postérieures).
  • Une diminution des paramètres d’épaisseur mesurés en TCO.

Il est important de se souvenir qu’une image de TCO surlignant en rouge l’épaisseur de la couche des fibres nerveuses rétiniennes, de la couche des cellules ganglionnaires, ou encore celle de l’anneau neurorétinien, ne suffit pas pour diagnostiquer un glaucome chez le patient concerné. En effets, ces paramètres sont comparés à un ensemble de données normatives parmi lesquelles certaines tranches d’âge ou certains groupes ethniques sont sous-représentés. De la même façon, une image de TCO sur laquelle les paramètres sont surlignés en vert ne suffit pas pour exclure l’existence d’une neuropathie optique glaucomateuse et ne doit pas être considérée comme équivalente à un nerf optique « normal ». Les changements observés en TCO qui correspondent en réalité à un stade précoce de changements glaucomateux n’affectent normalement que le quadrant supérieur ou temporal inférieur de l’anneau neurorétinien ou de la couche des cellules ganglionnaires maculaires. Ces changements doivent généralement correspondre à des changements papillaires visibles lors de l’examen clinique et/ou à des changements au niveau du champ visuel (Figure 2).

Il est toujours important d’exclure les causes non glaucomateuses pouvant expliquer un rapport cup/disc important et un amincissement de l’anneau neurorétinien ou de la couche des fibres nerveuses rétiniennes.

Classification du glaucome

Une fois qu’il a émis un diagnostic de glaucome certain, le praticien doit se poser ces deux questions fondamentales :

  1. S’agit-il d’un glaucome primaire ou secondaire ?

    Il est important d’exclure les glaucomes secondaires qui pourraient bien comporter un risque élevé de cécité due au glaucome. Ces derniers comprennent les glaucomes dont la cause pourrait être traitée si elle était correctement identifiée (par exemple le glaucome néovasculaire) et les glaucomes liés à certaines maladies (par exemple glaucome uvéitique ou glaucome lié à une augmentation de la pression veineuse épisclérale) ou qui pourraient même menacer le pronostic vital (par exemple affections rhumatologiques ou fistules carotido-caverneuses).

  2. L’angle irido-cornéen est-il ouvert ou fermé ?

    L’examen gonioscopique est ici crucial.

    Le plan de traitement d’un patient présentant un glaucome est sensiblement différent selon que l’angle irido-cornéen (où a lieu le drainage de l’humeur aqueuse) est ouvert, étroit ou fermé ; l’examen gonioscopique a donc une importance vitale.

    Lorsqu’un patient reçoit un diagnostic de glaucome certain, il incombe aux prestataires de soins oculaires d’informer le patient et sa famille du risque accru de glaucome parmi les parents au premier degré.

Références

1 Bayer A, Harasymowycz P, Henderer JD, Steinmann WG, Spaeth GL. Validity of a new disk grading scale for estimating glaucomatous damage: correlation with visual field damage. Am J Ophthalmol 2002;133(6):758–63.

2 Bizios D, Heijl A and Bengtsson B. Integration and fusion of standard automated perimetry and optical coherence tomography data for improved automated glaucoma diagnostics. BMC Ophthalmol 2011;11(20).

Lectures complémentaires (en anglais)

European Glaucoma Society guidelines. www.eugs.org/eng/guidelines.asp

Foster PJ, Buhrmann R, Quigley HA, Johnson GJ. The definition and classification of glaucoma in prevalence surveys. Br J Ophthalmol 2002;86(2):238-42.

American Academy of Ophthalmology. Preferred Practice Pattern: Primary Open Angle Glaucoma. www.aao.org/preferred-practice-pattern/primary-open-angle-glaucoma-ppp

American Academy of Ophthalmology. Preferred Practice Pattern: Primary Angle Closure Disease. www.aao.org/preferred-practice-pattern/primary-angle-closure-disease-ppp