RSOC Vol. 20 No. 30 2023 pp 25-28. Publié en ligne 28 novembre 2023.

Le rétinoblastome : une maladie cécitante curable, rare et mortelle

Richard Bowman

Consultant clinique honoraire, International Centre for Eye Health, London School of Hygiene & Tropical Medicine, Royaume-Uni


Un diagnostic et traitement précoces peuvent sauver la vie d’un enfant atteint de rétinoblastome. INDE © Swathi Kaliki
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Chaque année, dans les pays à revenu faible et intermédiaire, des milliers de bébés et d’enfants perdent la vue et la vie à cause du rétinoblastome, un cancer oculaire traitable, généralement parce que ce dernier n’est pas détecté et pris en charge à temps.

Bien que le rétinoblastome soit relativement rare, il peut cependant avoir des conséquences accablantes pour les enfants qui en sont atteints. S’il est traité trop tard, il peut causer la perte de l’oeil, s’étendre au cerveau et entraîner la mort.

Le rétinoblastome ne touche pas tout le monde de la même manière. Dans les pays à revenu élevé, la maladie tue moins de 5 % des enfants atteints, car le diagnostic est précoce et ces enfants reçoivent rapidement un traitement spécialisé. En Afrique, en revanche, c’est souvent 70 % des enfants atteints de rétinoblastome qui meurent, la plupart du temps parce qu’ils ont consulté trop tard. Lorsqu’une mère se présente dans un centre de soins tertiaires avec un enfant atteint de rétinoblastome à un stade avancé, elle indique souvent qu’elle a eu plusieurs contacts avec différents professionnels de la santé pendant des mois, voire des années, mais qu’elle n’a pas bénéficié de l’orientation ou des soins dont l’enfant aurait eu besoin. Chaque professionnel de la santé ayant entre les mains ce numéro de la Revue de Santé Oculaire Communautaire a l’opportunité de corriger cette situation. Nous devons identifier et traiter les enfants atteints de rétinoblastome à un stade précoce, avant qu’ils ne soient défigurés ou ne perdent la vie.

Pour y parvenir, il nous faut adopter une approche multidisciplinaire à plusieurs niveaux qui prend en compte le système de santé dans son ensemble, et ce dans le cadre d’une collaboration internationale (voir page 29). Les actions de sensibilisation au rétinoblastome au sein des communautés, l’amélioration de la détection des cas et du diagnostic de la maladie, la mise en place de systèmes d’orientation adéquats, ainsi que des conseils et des traitements de qualité (y compris des prothèses de qualité), sont autant d’éléments nécessaires pour renforcer l’utilisation des services et sauver des vies.

Au niveau du ministère de la Santé

Les ministères de la Santé peuvent améliorer considérablement le dépistage et le traitement précoces du rétinoblastome. Ils peuvent notamment :

  • Organiser des campagnes de santé publique pour sensibiliser la population au fait qu’il faut consulter de toute urgence si l’on voit « quelque chose de blanc » dans l’oeil d’un enfant.
  • Inclure les techniques de base de l’anamnèse oculaire et de l’examen des yeux dans le programme de formation des infirmiers communautaires.
  • Subventionner l’accès aux traitements spécialisés pour les enfants atteints de cette maladie potentiellement mortelle.

Les parents doivent savoir qu’ils doivent consulter immédiatement s’ils remarquent quelque chose de blanc dans les yeux de leur enfant. Il faut souligner qu’il faut absolument qu’ils insistent si leur enfant se fait refouler par l’établissement de santé et qu’ils ne doivent accepter aucun refus s’ils sentent que quelque chose ne va pas.

Prise en charge d’un enfant atteint de rétinoblastome à Kinshasa. RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO © Équipe Pluridisciplinaire Oncologie Pediatrique Kinshasa

Un bon investissement

Dans les pays à revenu faible et intermédiaire, les investissements dans la détection et l’orientation précoces des enfants atteints de rétinoblastome présentent d’autres avantages en matière de prévention de la cécité infantile ; en effet, les mêmes signes (présence de quelque chose de blanc dans l’oeil) faciliteront également la détection précoce de la cataracte chez l’enfant. La détection tardive de la cataracte infantile est la principale cause de cécité curable chez l’enfant, alors que la cécité est tout à fait évitable si la cataracte est détectée et traitée à temps.

Au niveau communautaire

Les infirmiers et agents de santé communautaires recevant des enfants en consultation peuvent examiner les yeux de ces enfants, notamment lors des rendez-vous de routine pour la vaccination. La présence dans l’oeil de quelque chose d’anormal, blanc ou brillant, ou encore un strabisme, peut être le premier signe d’un rétinoblastome et nécessite une orientation en urgence vers un spécialiste. Écoutez les parents et/ou les personnes qui s’occupent des enfants. S’ils disent avoir remarqué quelque chose de blanc ou d’anormal dans l’oeil de leur enfant, ne mettez pas leur parole en doute, prenez leur observation au sérieux et demandez l’avis d’un spécialiste. En Tanzanie, des infirmiers communautaires ont été formés à l’examen du reflet rétinien avec un ophtalmoscope solaire facile à utiliser (Arclight). Les premiers résultats sont prometteurs : les infirmiers ont trouvé l’outil facile à maîtriser et il leur a déjà permis de détecter des cas de cataracte et de rétinoblastome. Les infirmiers peuvent apprendre à examiner le reflet rétinien durant l’examen général de l’enfant.

Des campagnes de sensibilisation peuvent contribuer à la détection précoce du rétinoblastome. INDE

Au niveau des centres de soins tertiaires

Dans les centres tertiaires, les histopathologistes jouent un rôle crucial : après ablation de l’oeil, l’enfant peut quitter l’hôpital complètement guéri ou avoir besoin d’une chimiothérapie ou d’une radiothérapie ; cette décision doit être fondée sur la détermination histopathologique précise du stade de la maladie (stadification) (page 34).

Collaboration internationale

Des initiatives de collaboration internationale, comme celle de l’Alliance Mondiale Contre le Cancer (voir page 29), ou encore le Commonwealth Eye Health Consortium, contribuent à promouvoir une approche multidisciplinaire du dépistage et traitement du rétinoblastome, mettant en jeu tous les niveaux du système de santé.

Des questions fondamentales de recherche clinique doivent encore être résolues. Par exemple, des chercheurs ougandais ont montré une amélioration de la survie lorsque l’on administrait une chimiothérapie avant l’intervention chirurgicale ; en effet, de très nombreux enfants présentaient une extension extraoculaire au moment de la consultation. Par contre, une petite étude menée en Tanzanie a montré que 60 % des enfants dont l’histologie était bonne après l’énucléation avaient bénéficié d’une excision complète de la tumeur avec un faible risque et n’avaient jamais eu besoin de chimiothérapie. Dans ces conditions, que faut-il privilégier, la chimiothérapie ou la chirurgie ? En combinant des recherches cliniques multicentriques et multi-pays, nous pouvons commencer à répondre à ces questions et éviter des tragédies inutiles.

Comme le montre ce numéro de la Revue de Santé Oculaire Communautaire, on observe actuellement une réelle dynamique et une détermination à améliorer les résultats pour les enfants atteints de rétinoblastome dans tous les pays du monde. Nous espérons que les informations pratiques et concises contenues dans ces pages aideront nos lecteurs à participer à l’amélioration du dépistage et du traitement du rétinoblastome.

Je suis un enfant, pas un cas clinique

Abby White

Directrice générale, World Eye Cancer Hope, Royaume-Uni www.wechope.org

Les patients atteints de rétinoblastome sont avant toute chose des enfants qui se trouvent souffrir d’un cancer oculaire. Lorsque l’on définit l’enfant comme un « cas clinique », cela a pour effet de le déshumaniser et de nous empêcher de penser pleinement au bien-être de cet enfant et de sa famille.

Un enfant atteint de rétinoblastome n’est pas un spécimen. C’est un individu avec des pensées, des émotions, des attentes, des rêves, des goûts et des dégoûts qui lui sont propres. Il peut susciter toutes sortes d’émotions chez le personnel qui le soigne. Ces enfants malades sont profondément aimés par leurs proches et la plupart des parents n’hésiteraient pas à perdre un oeil si cela pouvait épargner à leur enfant une telle souffrance.

L’évaluation de la valeur de chaque traitement doit se faire en gardant à l’esprit le bien-être complet de l’enfant. Nous devons penser au-delà du corps physique et prendre en compte le bien-être affectif de l’enfant, tout au long du traitement mais également longtemps après, jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge adulte.

Si, tous autant que nous sommes, nous faisons l’effort de ne plus penser en termes de « cas clinique » et de considérer pleinement l’enfant et sa famille, nous pourrons mieux guérir l’enfant et contribuer à ce qu’il grandisse heureux et en bonne santé.

Tableau 1 Rôles et responsabilités dans le dépistage, l’orientation et le traitement du rétinoblastome

Responsabilités individuelles
Parent ➔ Agent de santé/Infirmier ➔ Ophtalmologiste ➔ Centre ophtalmologique spécialisé
Demandez immédiatement de l’aide si vous voyez quelque chose de blanc au centre de l’oeil (la pupille) OU si vous prenez une photo et voyez un point rouge au centre d’un seul oeil (au lieu des deux).

Ne laissez personne vous refouler et n’en démordez pas tant qu’un médecin de l’hôpital n’a pas examiné les yeux de l’enfant à l’aide d’une lumière vive.

Il faut croire les parents s’ils disent avoir vu quelque chose de blanc dans la pupille et demander l’avis d’un spécialiste. Traitez la situation comme une urgence médicale.

Apprenez à examiner le reflet rétinien (page 45). Examinez tous les enfants lors des visites médicales de routine et lors des vaccinations.

Apprenez à reconnaître le rétinoblastome et à identifier un oeil nécessitant une énucléation. Informez les parents des bons résultats esthétiques de l’énucléation avec mise en place d’un implant. Montrezleur des photos d’enfants dont le traitement a donné de bons résultats.

Apprenez à réaliser une énucléation en enlevant plus de 15 mm du nerf optique. Examinez toujours le fond de l’autre oeil lorsque vous procédez à une énucléation : celui-ci peut présenter une petite tumeur pouvant être traitée au laser.

Orientez tous les enfants présentant des signes de rétinoblastome dans les deux yeux vers un centre national ou un centre spécialisé pour un traitement d’urgence.

Mêmes responsabilités que les ophtalmologistes, et également :

Apprenez à administrer les traitements locaux pour les tumeurs plus petites (généralement dans le deuxième oeil).

Créez des équipes pluridisciplinaires qui travaillent en étroite collaboration pour coordonner le traitement de chaque enfant.

Cette équipe comprendra des ophtalmologistes, des oncologues, des histopathologistes, des infirmiers, des spécialistes de l’enfance ou des ludothérapeutes, ainsi que du personnel de soutien psychologique.

Offrez des services de conseils généraux et génétiques aux parents et aux personnes qui s’occupent des enfants.

Orientez les parents vers d’autres formes de soutien pour l’apprentissage et le développement de leur enfant.

Responsabilités du ministère de la Santé
Mener des campagnes de sensibilisation pour informer les parents de l’existence d’un traitement et leur montrer quand il faut consulter un médecin. Veiller à ce que l’examen du reflet rétinien (page 45) soit inclus dans le programme de formation des infirmiers et des agents de santé. Veiller à ce qu’il y ait au moins un ophtalmologiste pour 100 000 habitants. Soutenir le développement de réseaux d’orientation et de centres nationaux pour le rétinoblastome. Offrir un accès subventionné au traitement spécialisé pour tous les enfants atteints de rétinoblastome. Proposer des services de dépistage pour les frères et soeurs, ainsi que des aides à l’hébergement ou au transport pour les parents ou les personnes qui s’occupent de ces jeunes enfants.